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Critique de 5Arabella


Après l'échec de Moby Dick paru en 1851 , puis de l'éreintement de Pierre ou Les ambiguïtés (1852) Melville se tourne vers les périodiques pour s'assurer un revenu minimum lui permettant de vivre. Ce type de publications a ses contraintes : il faut écrire des textes relativement courts, et le soucis de plaire au lectorat est toujours présent. Certains sujets ou audaces ne sont pas permis. Bartleby le scribe, écrit pendant l'été 1853 sera publié en novembre et décembre de la même année dans le Putnam's Monthly Magazine ; la publication en volume aura lieu en 1856, dans un livre regroupant d'autres textes parus d'abord dans des périodiques.

Nous sommes à Wall Street, comme le précise le sous titre (Une histoire de Wall Street). Un juriste nous décrit les employés de son cabinet, de façon caustique, même s'il exprime une certaine sympathie pour les personnes qu'il croque. Un surcroît d'activité l'oblige à prendre un nouveau scribe, son choix se porte sur Bartleby, qui paraît fiable et calme. Mais très vite le nouvel employé résiste à son employeur, et se refuse à de plus en plus de tâches, avec toujours la même formule : « Je préférerais ne pas ». Il semble ne jamais quitter le bureau, y vivre même. Finalement il se refuse à tout travail, quel qu'il soit, et se contente de regarder par la fenêtre. le juriste n'arrive pas à le faire changer d'attitude, les menaces n'y font rien, et Bartleby se refuse à quitter l'endroit, introduisant une perturbation de plus en plus sensible du fonctionnement normal. le patron en arrive à fuir les lieux, à déménager ses bureaux pour ne plus avoir à subir sa présence silencieuse. Les nouveaux locataires font appel à lui pour essayer de s'en débarrasser, la seule façon d'y arriver sera de le faire enfermer en prison, où il va se laisser dépérir.

Le début du texte donne la sensation du réalisme : nous sommes à Wall Street, dans un endroit reconnaissable, des allusions à des faits d'actualité ancrent le récit dans l'ici et maintenant. La description minutieuse des employés et de leurs habitudes, qui fait un peu penser à première vue aux descriptions balzaciennes, semble renforcer l'aspect concret. Mais l'arrivée de Bartleby semble dérégler le mécanisme, son comportement en contradiction avec les règles de l'endroit où il se trouve semble faire pénétrer une inquiétante étrangeté dans le quotidien le plus banal en apparence. Peut-être même que le changement de perspective qu'il provoque, interroge sur ce quotidien : va-t-il vraiment de soi, comme semblait le penser au départ le narrateur ? On en vient à s'interroger sur le sens des activités habituelles du lieu, les employés si minutieusement racontés au départ se mettent à ressembler à des pantins qui s'agitent un peu sans raison. Au final, on ne sait rien d'eux, de ce qu'ils pensent, de ce qu'ils vivent par ailleurs, on les voit juste agir, d'une façon particulière dans un contexte particulier, qui en vient, devant la distorsion introduite par Batleby, à apparaître vidé de sens. le cabinet juridique, qui semble un cadre par définition sérieux et austère, devient un lieu absurde. L'aspect burlesque (et très drôle) des descriptions premières y participe : au final tout cela est-il vraiment nécessaire, et ne serait pas une sorte de farce grotesque que la société et les individus qui la composent jouent ? Est-ce Bartleby qui est fou ou plutôt la société et Wall Street en particulier ? Tant qu'un consensus existe, il est possible de considérer que l'étude juridique est un lieu solide et nécessaire, en passant sur les bizarreries des individus, mais une fois que le doute sur la légitimité de l'endroit et de son fonctionnement est introduit, la question du dérèglement qu'il produit sur les individus est posée. La seule solution que trouve le narrateur est la fuite, preuve que les questionnements posés sont fondamentaux et lancinants.

Texte à la fois très drôle et très riche, malgré sa relative brièveté, Bartleby le scribe est rentrée à juste titre parmi les classiques de la littérature américaine du XIXe siècle.
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