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Critique de batlamb


Rien de tel qu'une Véranda ensoleillée pour faire plus ample connaissance avec Herman Melville. Au début de la nouvelle initiale, nous prenons place dans une riante campagne américaine, riche en métaphores filées. La veine héroï-comique de Melville rejaillit avec éloquence, au travers d'une prairie jonchée de comparaisons royales à l'emporte-pièce, comme autant de pâquerettes semées au fil du chemin tracé vers une montagne mystérieuse et attrayante.

Le parcours iconoclaste de cette nouvelle permet d'explorer les réalités qui se cachent sous le verni reluisant des contes de fées. Tout occupé à rêvasser d'Obéron et de Titania, le narrateur dérive vers les ombres « étranges » et dérangeantes qui rôdent dans les paysages d'aspect enchanteur. Quand on vient les regarder d'un peu trop près, on fait du même coup la connaissance des créatures qui s'y dissimulent, humaines, trop humaines.

Ce texte sert de programme et de strapontin à ceux qui suivent, où Melville n'a de cesse de scruter ce qui se cache derrière des façades opaques, parfois trompeuses… Des façades semblables aux murs de Wall Street et au visage de « Bartleby », nouvelle incluse dans le recueil (j'ai déjà parlé de ce texte ailleurs, donc je n'y reviens pas).

Puis vient ensuite le court roman Benito Cereno, qui présente à son tour une efflorescence de signes à décrypter tels des hiéroglyphes : comme Bartleby, ce texte comporte des comparaisons intrigantes avec l'ancienne Égypte.
Et encore plus explicitement que dans Bartleby, le point de vue avec lequel l'histoire est présentée n'est pas fiable. le « généreux capitaine Amasa Delano » met des bâtons dans les roues au lecteur, en interprétant tout de travers alors que la vérité est sous son nez. Melville crée ainsi une tension et un malaise dans un navire où couve quelque chose de théâtral et de macabre. L'ombre d'Edgar Poe plane sur ce récit, car Benito Cereno fait penser à un mélange entre La lettre volée et (surtout) l'une des dernières partie des Aventures d'Arthur Gordon Pym, que je ne nommerai pas précisément, pour ne pas divulgâcher.

La dernière réplique du personnage éponyme semble par ailleurs prophétiser le « the horror » de Joseph Conrad, bien qu'elle soit moins métaphysique car elle désigne ici une figure humaine diabolisée. Enfin, le récit est alourdi par une volonté de tout expliquer inutilement dans l'épilogue, alors que tout est déjà joué et l'essentiel compris. Cela en fait une oeuvre moins convaincante que celles de Poe ou même de Conrad. Mais elle constitue un trait d'union intéressant entre les deux.

On rencontrera aussi des nouvelles plus mineures, mais toujours écrites dans un style archi-reconnaissable, à base de syntaxe complexe et de tropes foisonnants (ce qui sert autant à esbaudir le lecteur qu'à créer un décalage comique avec le sujet). le Marchand de Paratonnerre démontre un grand sens de la satire, rejouant à mots (pas si) couverts la rupture foudroyante entre le catholicisme et le protestantisme suite à la dénonciation des « indulgences ». Et le campanile reprend le thème classique du créateur fou contre lequel se retourne sa création, mélange du Frankenstein de Shelley et de L'homme au sable d'Hoffmann (puisqu'un automate est impliqué). le résultat est hélas assez moralisateur, mais traversé d'une ironie plaisante, aux accents très bibliques : la tour symbolisant l'hubris, ça devrait parler à tout le monde sur... Babelio.

Hormis Benito Cereno, la partie maritime de l'oeuvre de Melville n'est finalement représentée que via la série de petits récits intitulée « Les îles enchantées », donnant une image insolite de l'archipel des Galapágos, où le tragique et le comique continuent de s'entrecroiser étroitement, alors que se rejoue une version burlesque de l'histoire des Etats-Unis, entre royauté évincée et esclavagisme, sans oublier l'industrie naissante, à laquelle sont comparés les volcans locaux. Pour ajouter à cet art du décalage, chaque « esquisse » s'ouvre avec un extrait de The Faerie Queene de Spencer en guise d'épigraphe, et l'ensemble comporte de multiples allusions et références souvent parodiques (Darwin et ses études sur les tortues des Galápagos, un Robinson Crusoe au féminin…), ce qui achève de plonger ces îles dans une identité, et même une temporalité complètement chaotique. Même les chiens peuvent devenir soldats, et le narrateur (Melville ?) se rêve en brahmane juché sur une tortue soutenant la voûte céleste. La dérive à travers ces îles est donc aussi une dérive de sens, le triomphe des tropes melvilliens au sein des tropiques libérés de toute téléologie autre que celle de la fiction ludique.
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