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sur 2564 notes
Lu une première fois en 2018 en duo avec mon fils de 9 ans, et relu pour les cours de français de 5ème.
Même si mon p'tit loup peut se débrouiller seul, il goûte encore le plaisir de partager les lectures sympa avec sa maman.
La première fois, nous avions découvert Moby Dick dans un album illustré par Jame's Pruniet qui fut un grand moment d'émerveillement. L'album est de grande taille et les peintures à l huile sont magnifiques. On a l'impression de contempler des tableaux.
Cette fois, nous nous sommes penchés sur un roman en version poche et même si le plaisir des yeux n'y était pas, l'imagination a vite pris la suite.
On a très vite été captivé par le récit d'Herman Melville. Ça sent bon l aventure, la mer, le dépassement de soi, le danger, la survie.
Ishmael le héros aime bourlinguer, partir à l aventure. Sur terre, il ne tient pas en place. Il embarque avec Queequeg un homme de nouvelle Zélande qu' il prend d abord pour un cannibale et qui deviendra son ami à bord d' un baleinier. le capitaine du Pequod n a qu'une obsession: retrouver et tuer Moby Dick, une énorme baleine blanche rusée qu' il déteste.

Depuis sa précédente rencontre avec la baleine, le capitaine est devenu fou, ivre de rage et de rancoeur, assoiffé de vengeance.

Un incroyable face à face entre l homme et la nature.

2éme lecture aussi plaisante que la première peut être même meilleure.
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David Herbert Lawrence qui détestait la philosophie et surtout Kant, "la bête", aimait pourtant une autre bête, Moby Dick. Il lui consacre le chapitre 11 de ses Essays on Classic American Literature, et je ne vois pas bien ce qu'on pourrait dire de mieux sur le sujet que ce qu'en a dit ce provocateur surdoué. Evacuons la zoologie: Moby Dick est un grand cachalot (sperm whale) et non pas une baleine. Mais Moby Dick est aussi un symbole. Symbole de quoi? Melville, selon Lawrence, n'en était pas sûr lui-même et c'est bien tout l'intérêt de ce roman qui peut se lire au moins deux fois dans une vie; enfant pour l'aventure et plus tard, pour filer la métaphore jusqu'au au bout du filin, là où se plante le harpon. Trois jours de combat mystique perdu, pour Lawrence, c'est la malédiction de l'Amérique blanche qui entraîne dans sa noyade toutes les autres ethnies embarquées avec elle dans sa quête folle, pour quelques pièces. Moby Dick c'est aussi Jesus et Socrate que le pouvoir pourchasse et crucifie, causant sa propre perdition. "Captain Ahab", pour Melville, toujours selon Lawrence, c'est, déjà en 1851, le maniaque fanatique américain qui engloutit tout avec lui dans son projet de civilisation dérisoire et l'océan fait en sorte qu'il soit oublié pour toujours. "and the great shroud of the sea rolled on as it rolled five thousand years ago."
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Moby Dick, roman emblématique de Herman Melville, est un océan à lui seul, une lame de fond, un tsunami qui emporte tout, les éléments et les hommes avec. C'est une épopée, une tragédie antique, des forces souterraines et invisibles sont réunies ici pour conduire les personnages de ce récit dans une longue descente en enfer.
Les héros sont beaux, sont fiers, déjà abîmés par des siècles de misère et de fatalité. Savent-ils le destin qui les attend ? Même s'ils le savaient, je crois bien qu'ils iraient quand même dans cette aventure. Au fond, je pense qu'ils le savent déjà. Intimement.
Lorsque je me suis enfin décidé à lire ce roman il y a très peu de temps, j'en ai découvert une version tout à fait par hasard dans une édition pour la jeunesse, auprès de la médiathèque de ma commune. Cette classification m'a un peu surpris.
Moby Dick, sans l'avoir encore lu, je connaissais déjà un peu ce qui porte le récit, le dénouement aussi, une sorte de légende qui précède le roman, qui l'entoure, l'accompagne.
Moby Dick, bien sûr c'est une énorme baleine blanche. Peut-être, ou peut-être pas, mais c'est bien autre chose, c'est un mythe, un fantôme, une croyance, un désir, Moby Dick est bien autre chose qu'une baleine blanche...
Nous entrons dans ce récit en compagnie d'Ismaël, ancien instituteur de campagne. Peut-être par désillusion ou dépression nerveuse, il décide de prendre la mer comme d'autres décident de mettre fin à leurs jours.
L'argument général tient en peu de mots. Ismaël, jeune marin de commerce cherche à s'engager sur un baleinier. Il s'embarque à bord du Péquod en compagnie d'un ami harponneur du nom de Quequeg, un indien. Comme j'ai aimé ce personnage de Quequeg ! C'est le personnage que je préfère du roman, avec ses tatouages qui courent sur sa peau comme un livre et ses rites chamaniques. J'aurais tant voulu qu'il survive à cette épopée...
Il y a donc ce navire le Péquod, Ismaël se fond dans la masse anonyme des marins, ceux-ci sont témoins dès le début de l'embarquement de l'obsession vengeresse du capitaine Achab. Il y a cette folie incroyable d'un homme.
En effet, ce navire baleinier est commandé par le capitaine Achab, habité par l'idée fixe de tuer une baleine blanche du nom de Moby Dick, qui lui a arraché une jambe lors d'une précédente expédition de pêche.
Ismaël d'ailleurs est le narrateur du récit. Parfois sachant que tout va tourner très mal, je suis rassuré d'entendre à chaque page la voix du narrateur, je me suis dit qu'au moins celui-ci en aura réchappé. Parfois certains auteurs sont tordus, font même parler les morts dans la narration. Ici Ismaël sera le seul survivant de cette épopée dantesque. Je ne divulgue aucun mystère, tout cela se sait dès le début.
J'adore les baleines, de préférence vivantes, j'aime le chant des baleines, j'aime Jacques Prévert mais je me souviens qu'enfant, le poème intitulé La pêche à la baleine, de son recueil Paroles, où un marin pêcheur revient au pays comme l'enfant prodigue, jetant sur la table familiale une baleine, m'avait paru d'une cruauté à la fois cocasse et inouïe.
Alors forcément J'avais un léger a priori, je suis venu à ce roman en me disant que Moby Dick serait mon alliée dans ce récit, en imaginant jubiler à chaque fois que cette baleine mettrait en difficulté ou en péril les marins du Péquod. Oui je reconnais être entré dans ce roman avec un parti pris.
Et puis je me suis attaché aux multiples personnages. Tous les personnages sont ici magnifiques.
Mais Moby Dick est invisible, absente dans une large partie des pages qui jalonnent le roman. La tension est palpable dans l'attente, c'est la force du roman. Moby Dick, c'est un peu Apocalypse Now, c'est Dracula, c'est King-Kong, c'est le Vieil homme et la mer, c'est Alien... Il y a l'attente de la bête, sa rencontre future, attendue, attendre qu'elle surgisse enfin, tout cela est déjà palpable et fait la force du récit.
À cette lecture, j'y ai vu une oeuvre quasiment philosophique sur la destinée des femmes et des hommes, mais on pourrait aussi y voir comme une simple sortie de pêche, ce qui serait un peu réducteur me semble-t-il. Entre les deux visions, il y a sans doute plusieurs nuances et c'est aussi la force infinie de ce roman.
J'aime Ismaël, j'aime savoir qu'il survivra, il sera le seul rescapé du Péquod. Mais je suis triste qu'il n'y aura pas d'autres survivants...
Parfois les fureurs vengeresses sont capables de tout détruire, y compris ceux qui les animent et ceux qui y sont invités, c'est sans doute là la dimension tragique du récit.
Et puis ici des scènes sont décrites avec tant de réalisme. Chaque personnage est d'une construction ciselée à merveille. J'ai pleuré lorsque ce petit mousse fut puni pour désobéissance et la façon dont il fut puni...
J'y ai vu un livre intemporel, traversant les âges, les mers, les rivages, les ports et les pontons. J'y ai vu un récit capable d'atteindre nos rivages.
Il y a tellement de détails que je me suis dit, ce récit classé en livre de jeunesse sera-t-il perçu à sa juste teneur ? Dans ces messages ? Mais ce n'est pas à moi lecteur de porter quelconque jugement. Au contraire, si de jeunes lecteurs peuvent venir à la littérature par ce récit merveilleux, ce sera une magnifique aventure.
Lire, relire Moby Dick aujourd'hui en 2020 me semble plein de sens, une nouvelle manière de regarder cette oeuvre d'une autre manière, regarder la mer et l'humanité, proposer une approche forte sur le respect de l'environnement. Protéger les baleines et l'océan qui les berce.
Porter une attention à nos vies. Moby Dick est mon amie.
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Je viens de retrouver cette édition Milan Jeunesse dans l'un des derniers cartons de notre déménagement (au bout de presque deux ans...). L'adaptation du texte est honorable, et je mesure bien le défi que cela a dû représenter : raconter Moby Dick en une quarantaine de pages.
Mais surtout, surtout, il y a les illustrations de Jame's Prunier. Elles font de cet album une véritable splendeur, qu'on ne se lasse pas de feuilleter.
Le récit n'a plus beaucoup d'importance. Les tableaux multiplient les histoires à l'infini et sont des portes ouvertes sur l'imaginaire. On dirait le regard à la fois réaliste et mélancolique que poserait un Edward Hopper sur le temps de la marine à voile.
J'ai plus d'une fois lu ce livre, le soir, à mes enfants, et je m'y suis souvent perdu avec délices.
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Moby Dick est un classique de la littérature américaine que je m'étais toujours promis de lire. J'ai pu me tenir ma promesse grâce à une boîte à livres.

Je suis contente de ce voyage sur l'Océan Pacifique et les mers du monde à la recherche de Moby Dick, baleine blanche mythique avec qui le capitaine Achab a un compte à régler. Voyager à bord d'un baleinier du XIX ème siècle, c'est apprendre beaucoup de chose sur la navigation en général (sur les baleiniers en particulier) et sur les mammifères marins.

Mais lire Moby Dick, c'est surtout partir en voyage dans les méandres de l'esprit humain ; c'est accompagner le capitaine Achab dans sa folie et son désir de vengeance contre notre volonté. Si le narrateur Ismaël reste tout du long plutôt objectif, tenant son rôle d'observateur, il n'en va pas de même pour les autres personnages. Et c'est tout naturellement que le lecteur s'identifiera au personnage du second Starbuck, plus mesuré et clairvoyant, bien que non dénué d'empathie envers Achab. J'ai beaucoup aimé ce personnage !

Herman Melville a une très belle plume. Il agrémente son récit, assez noir finalement, de touches d'humour qui permettent de nuancer les émotions ressenties. Ses personnages sont tout aussi nuancés, très bien caractérisés et parfaitement attachants malgré leurs caractères fort différents. J'ai bien relevé de ci de là quelques connotations religieuses mais je ne m'y connais pas suffisamment pour en parler dans ce billet.

Ce que je retiendrai pour ma part de cette lecture, c'est une très belle plume, un beau voyage, et une belle surprise (je m'attendais plutôt à un récit d'aventures du type L'île au trésor alors que Moby Dick est clairement plutôt tourné vers la réflexion même si les aventures sont bien présentes).
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La richesse de la langue et du style ne peuvent passer inaperçus. Pour l'anecdote, je discutais avec un ami qui me soutenait qu'un bon écrivain devait pouvoir être reconnu à la lecture de n'importe quelle phrase prise au hasard dans l'un de ses livres. Un peu troublée par cette exigence, j'ai voulu lui démontrer que ces attentes étaient sans doute beaucoup trop hautes et j'ai saisi le volume de Melville à portée de main.

Sincèrement, je prend cette phrase au hasard :

« Âprement et régulièrement aiguillonnées par les sarcasmes de l'Allemand, les trois baleinières du Pequod avançaient maintenant presque de front et, dans cet ordre, le rattrapèrent momentanément. »

Pifomètre le plus pur ! Et je vous assure que n'importe quelle autre extrait du roman porte la marque de son auteur de manière indubitable. Cette simple découverte me fascine. Ces presque 600 pages m'ont tenu en haleine plusieurs jours, et par petites touches – Moby Dick est aussi une lecture éprouvante relevant d'avantage de l'effort que de la distraction. Mais quelle délice ! Il s'en est suivi – comme il se doit après la lecture d'un véritable chef d'oeuvre – une bonne semaine de « deuil » littéraire où toute lecture me paraissait fade, voire grinçante ou vaine, y compris les essais.

J'ai pu lire ça et là des chroniques enthousiastes quant à la dimension métaphysique de Moby Dick. A la lecture pourtant, j'étais d'avantage en position de monter dans une baleinière en saisissant mon harpon, qu'absorbée par des méditations vastes et bienvenues sur l'humanité, la vengeance et autre quête initiatique. Aujourd'hui, en tentant laborieusement de rassembler mes impressions, je ré-ouvre les pages cornées le mois dernier et constate a posteriori tous ces énoncés – pourtant limpides – sur les doutes, les failles et les travers de l'Homme. La dimension métaphysique est à peine sous-jacente, elle est explicite tout au long du roman. Herman Melville réussit l'exploit de nous parler au plus profond, tout en nous offrant un roman d'aventure époustouflant.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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J'ai lu ce roman mythique dans la version abrégée de l'école des loisirs. L'adaptation m'a semblé fidèle et elle a le mérite de rendre accessible aux collégiens un roman qui peut paraitre indigeste pour beaucoup.
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Ça sent l'iode et la sueur, la folie humaine, le défi individuel et collectif.

Enfin terminé le classique de l'été. Cette lecture est parfois fastidieuse mais intéressante tout de même, à la fois roman d'aventure et ouvrage de référence en cétologie et pêche à la baleine au XIXème siècle.

La première partie du roman est vraiment captivante, lorsque l'on suit les errements d'Ishmaël et sa rencontre avec Queequeg le harponneur. Puis à partir de l'embarquement sur le Péquod la lecture devient moins fluide, plus académique, on a parfois l'impression de lire un traité scientifique. Heureusement, les personnages hauts en couleur sont là pour briser la monotonie : Achab, Starbuck, Flask, Stubb etc... et toutes ces navigations sur tous les océans et par tous les temps. Ça sent l'iode et la sueur. L'aventure humaine, le défi individuel et collectif.

Ce roman déploie donc de multiples facettes, à la fois roman d'aventure maritime (on le trouve au rayonnage jeunesse des médiathèques), récit initiatique et conte sur la folie humaine. Mais "Moby Dick" c'est aussi une allégorie biblique et si comme moi on n'est pas un grand connaisseur du texte sacré, on passe certainement à côté d'un tas de choses, dites ou suggérées.

La lecture de Moby Dick est lente, mais le voyage sur les océans dure trois ans, et au rythme des vents, le lecteur avance, porté lui aussi par la folie singulière du peuple de la mer.
Lien : http://animallecteur.canalbl..
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Navigare necesse est, vivere non est necesse"
(Pompée le Grand)

L'idée que les combinaisons de tous les caractères de l'alphabet pourraient théoriquement résulter en un nombre certes vertigineux, mais néanmoins fini de textes écrits n'est pas insensée, loin de là! le mathématicien et écrivain allemand Kurd Lasswitz d'abord, puis l'argentin Jorge Luis Borges, s'en sont d'ailleurs inspirés pour construire deux célèbres nouvelles mettant en scène des bibliothèques aux dimensions colossales et labyrinthiques abritant la totalité des livres possibles et imaginables.
Un livre pourrait cependant, à lui seul, aspirer à circonscrire tout ce qui a été écrit ou tout ce qui resterait potentiellement à écrire? Au-delà de son extravagance apparente, à l'instar de la «bibliothèque-univers» de Lasswitz ou de Borges, cette idée saugrenue d'un «livre-univers» recouvrant l'amplitude du réel et renfermant celui-ci dans un espace-temps délimité, à l'aide d'une combinatoire particulière des caractères de l'alphabet, n'a pourtant cessé de nourrir à travers les âges le fantasme d'engendrer l'«oeuvre totale». Quête chimérique, dirons-nous, mais qui aura conduit toutefois, des écrits philosophiques et sacrés de l'Antiquité aux sagas nordiques, par exemple, ou, plus près de nous, de l'Encyclopédie aux cycles et aux romans-fleuve du XIX et du XXème siècles, à la mise en place de nombreuses entreprises littéraires caressant plus ou moins l'ambition d'accéder, selon la formulation très juste de Jacques Dubois, dans son essai «Les Romanciers du Réel», à une «expérience de totalisation : l'oeuvre comme une vaste entité organique, qui mime jusqu'au délire la multiplicité et la complexité du monde».
MOBY DICK en ferait certainement partie. Chez Melville, l'Océan, ainsi que la plus grandiose de ses créatures, le grand cachalot blanc, le Léviathan, incarnation du Mal absolu poursuivi jusqu'à la folie par le capitaine Achab, sont les piliers qui soutiendront l'architecture monumentale de son fascinant roman-univers.
«Oh ! mes amis, retenez-moi le bras ! car de vouloir seulement consigner mes pensées sur ce léviathan, j'en suis exténué et je défaille au déploiement de leur formidable envergure, dont l'étendue veut embrasser le cercle entier de toutes sciences, et les cycles des générations des mastodontes de toutes sortes, baleines et humains passés, présents et futurs, et la révolution complète de tous les panoramas des empires successifs et transitoires de la terre, et l'univers tout entier, et encore ses banlieues !». Sur un nouveau planisphère, revu et transfiguré par Melville, les mers et les océans n'occuperaient plus seulement les deux tiers de la surface limitée du globe terrestre ; comme par ailleurs, dans d'autres textes à ambition également «totalisante», les notions de «Dieu», ou de «Graal», ou encore de « Sertão » par exemple, chez l'écrivain brésilien João Guimarães Rosa, (dont je me sers ici, en les paraphrasant, deux de ses épithètes célèbres), dans MOBY DICK, pareillement, on peut affirmer que «l'Océan est partout » et que «l'Océan est aussi à l'intérieur de nous-même».
«Si vous voulez écrire un ouvrage puissant - nous confie Melville, tout en volant au passage la place à son narrateur, et s'adressant directement à son lecteur- choisissez un sujet puissant»! (Je me demande d'ailleurs, si l'on peut de nos jours entendre véritablement ce message «à la lettre», à une époque où nombre d'auteurs à succès semblent puiser l'essentiel de leur inspiration dans des sujets de société «à la page», transformés en romans à thèmes, émergeant peu ou prou de la grande cacophonie qui s'est emparée de notre temps présent volubile, parfois sans montrer suffisamment de recul ou de hauteur de vue, produisant, certes, des oeuvres avec plus ou moins de pertinence, mais la plupart du temps dépourvues de toute autre ambition en dehors de rester dans l'air du temps, ou, ce qui encore plus regrettable de mon point de vue, se complaisant dans un exercice d'autocontemplation narcissique guidé par des aléas ou par des règlements de compte personnels. Pourquoi pas? C'est peut-être ainsi, c'est la littérature de son temps, reflet de son temps. Personnellement, en tout cas, cette littérature-documentaire «en continu», souvent expéditive, parfois férocement périssable, ne me séduit guère. Et je ferme la parenthèse : ).
Revenons à MOBY DICK : Ismahel, le narrateur, se livrant, non sans danger, face à l'élément aquatique, lui aussi tel «Narcisse, parce qu'il ne pouvait pas s'emparer de l'image exquise et torturante qu'il apercevait dans la source (…) cette même image que nous voyons nous-même dans toutes les eaux des fleuves et des océans», ne peut donc éviter de prendre le large «à chaque fois qu'il bruine et vente dans mon âme et qu'il fait un novembre glacial ; chaque fois que, sans préméditation aucune, je me trouve planté devant la vitrine de marchands de cercueil». Aussi, en prenant la mer, Ismahel tente-t-il d'échapper à l'étroitesse et au poids d'une condition terrienne et éphémère, l'incomplétude et l'intranquillité qui l'assaillent cédant alors place à un sentiment de suspension temporelle et de vastitude océanique.
« Tous les hommes (…) nourrissent ou ont nourri, à un degré quelconque, des sentiments fort voisins des miens à l'égard de la mer», nous dit Ismahel. La philosophe Cynthia Fleury, en commentant ce passage dans son brillant essai «Ci-gît l'amer», écrira : «L'on comprend que ce motif de la mer n'est pas qu'une affaire de navigation, mais de grand large existentiel, de sublimation de la finitude et de la lassitude qui tombent sur le sujet sans qu'il sache quoi répondre - car il n'y a pas de réponse. Il faut dès lors naviguer, traverser, aller vers l'horizon, trouver un ailleurs pour de nouveau être capable de vivre ici et maintenant».
A la fois traité exhaustif de cétologie et d'histoire de la pêche à la baleine à travers les âges ; allégorie biblique inspirée par le récit de Jonas traitant de la vanité de l'homme à vouloir s'affranchir complètement de la nature divine du monde par l'affirmation de son libre-arbitre et de sa volonté souveraines ; tragédie aux accents antiques et élisabéthains ; épopée d'un lyrisme grandiose, homérique, vouée à l'éternel combat à l'intérieur de chaque homme, entre bien et mal, entre instinct de vie et désir d'anéantissement, entre harmonie et entropie…mais aussi roman d'aventures que la postérité aura définitivement classé comme «tous publics» (et lu effectivement, dans le temps en tout cas, sous sa forme originelle et intégrale -plus de 900 pages tout de même - par toute une génération de très jeunes lecteurs !), MOBY DICK, qui connut un échec cuisant au moment de sa parution en 1851, deviendra progressivement, trente ans après la disparition de son auteur, l'une des oeuvres les plus iconiques de toute la littérature mondiale. Qui ne connaît pas le personnage mythique de la baleine blanche nommée Moby Dick ? Adaptée en version abrégée, éditée sous d'innombrables formats et de nombreux supports différents (BD, dessin animé, film…), quel autre «oeuvre monumentale et totalisante» ayant au départ aspiré à «mimer jusqu'au délire la multiplicité et la complexité du monde» pourrait se vanter d'avoir autant de lecteurs potentiels et de lectures possibles, autant de notoriété à travers le monde et auprès d'autant de générations successives?
Véritable évangile cétologue, MOBY DICK se décline exactement en 135 versets, encadrés en amont, par un prologue dédié à l'étymologie du mot baleine et par des citations compilées «par un assistant bibliothécaire adjoint»(?), en aval par un bref épilogue. Chacun de ses 135 chapitres, outre leur rôle de transition et de liaison dans le déroulement de l'histoire du Péquod et de son équipage, ont quasiment tous existence et souffle propres, en tant que tels, unités autonomes, identifiables par un titre, mais avant et surtout, véhiculant un contenu et une approche littéraire particulières et dépassant par moments amplement le cadre de narration présumée réaliste du récit, aussi bien par la forme qu'ils revêtent que par le style qu'ils empruntent (digression scientifique ou historique, écriture théâtrale, intervention de la voix de l'auteur, y compris par des dialogues auteur/narrateur, «conscious stream», introduction d'éléments mythiques ou surnaturels, prose lyrique …). MOBY DICK affiche ainsi une liberté d'écriture qui préfigure largement l'éclatement narratif du roman moderne, à une époque (1850) où, sous d'autres latitudes, une littérature naturaliste qui commençait à s'affirmer avec application, ferait figure, force est de reconnaître, à côté de la prose de Melville, d'élève sage et bien disciplinée…
Sous une surface apparente, donc, d'un roman classique d'aventures maritimes, cette liberté renversante de création et de ton, l'ampleur des questions qu'elle soulève sur le sens de l'existence et sur la condition humaine en général, la profondeur des considérations qu'elle déploie autour des croyances et des valeurs d'usage dans la société de son époque, et plus globalement de notions morales intemporelles, telles celles de bien et de mal, font à mon sens de cette oeuvre unique et monumentale un des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature mondiale de tous les temps.
Je ne l'inclurai pourtant pas dans ma liste de «livres pour une île déserte». Pas besoin ! MOBY DICK, à lui seul, vaste île insubmersible, restera ancré définitivement au beau milieu de mon océan imaginaire de lecteur.

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Oeuvre monumentale autant par le talent de son auteur que la taille d'un des personnages principaux, Moby Dick nous entraine aussi loin sur l'océan que profondément dans l'âme humaine.

Jadis blessé par la mythique Baleine Blanche, le vieil Achab, capitaine du Péquod, ne se soucie guère de remplir ses barils d'huile de baleine. Ce qu'il cherche, c'est sa vengeance, celle qui l'a hanté toute sa vie, et qui le pousse encore aujourd'hui à parcourir la Terre.
Sa jambe d'ivoire calée sur le pont, il scrute les flots à la recherche de cette bosse blanche, de ce souffle que l'on entend parfois la nuit, et qui semble tourner autour du navire.

Le cachalot lui aussi attend le dernier combat...

Le navire où s'est engagé le héros, Ismaël, rencontre d'autres baleiniers au cours de son périple, et on sent au fil des pages que l'on approche de la fin, les deux vieux ennemis mortels vont se rencontrer, à nouveau, enfin, fatalement...

Un livre immense à lire absolument où l'on sent presque les embruns sur son visage, l'odeur de la mer, et où la haine palpable d'un homme résonne à chaque page, tandis que la force inexorable de la nature se chargera de rendre sa justice...
Merci monsieur Melville.
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