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Guy Ducrey (Éditeur scientifique)
EAN : 9782221078631
1376 pages
Robert Laffont (31/03/1999)
4.28/5   9 notes
Résumé :
Huit romans de la décadence : Le mime Bathylle de Jean Bertheroy ; Monsieur de Bougrelon de Jean Lorrain ; Albert de Louis Dumur ; Le Chercheur de tares de Catulle Mendès ; Escal-Vigor de Georges Eekhoud ; Les hors nature de Rachilde ; Le Soleil des morts de Camille Mauclair et Penses-tu réussir ! de Jean de Tinan

Fin-de-siècle est à la fois synonyme de décadence et de modernité. Décadence des moeurs, d'abord. Jamais on ne crut dénombrer autant de per... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Albert est l'itinéraire d'une imparable décadence, une anti-évolution fatale et résolue, une cacobiographie dénaturée, à laquelle condamne la conscience hyperesthésique de la réalité blanche sans ambages, sans illusions et sans symboles.
Premièrement on naît et vagit : c'est hasard entropique, qui est-on pour naître ? Où voit-on qu'il y réside un mérite ou une destinée ? Toute généalogie est sérendipité.
On éprouve et on témoigne : faible évangile au regard du siècle insignifiant et bête où l'on existe. C'est assez laid et morne, tout cela ; ça obéit à des règles plutôt stupides, tout compte fait ; il faut tout rehausser de beaucoup. C'est objectivement une affaire, rien de plus, et pourtant une entièreté, une finitude, un vide profond dans de certaines formes superficielles – couleurs et mouvements. Esquisse sale et mal faite. Un défaut, une approximation, un malentendu, avec de rares velléités exagérément vantées, idéalisées, aisément abattables. Des préjugés de beauté – surestimes par aveuglement ou par consolation.
On simulacre et on carriérise : compromissions avec le temps, insinuer douceâtrement sa place, usurpant et copiant d'officielles vertus. S'oblitérer suffisamment le souhait et s'altérer la conscience pour se trouver de l'estime, omettre et évacuer le dégoût. Gratter le pur, les parois, comme dans un trou tiédi. Se blottir, se confire, s'accommoder de la contagion du corps faufilé. Confiteor et confitures : prier avec du sucre.
On naufrage et on agonise : dans ce pot, parmi des millions d'étagères, bof et zut. Et le local chuta : bruit net de verre et de l'organe séché qui s'écrase, un impact d'une provisoireté patente et incontestable, fracas mou sans écho. La mémoire ? Peuh ! qui s'intéresse longtemps à une conserve ? C'est tombé, voilà, on a plutôt après ça son récipient à maintenir près du mur, le plus loin possible du précipice. Se figurer boîte infrangible, et, pour cela, déconsidérer avec l'oubli les relativités chues.
Tout événement constitue l'arbitraire prétexte pour entretenir la rétention d'un soupir d'à-quoi-bon. On n'apprend guère : tout est déjà su, au fond, on ne fait que se renseigner sur des ordres et des hiérarchies différents, étrangers, arbitraires. Si on s'exalte par saccades : élans factices, comme l'autruche battant des ailes, on n'ira point plus haut. Lire Shakespeare, se croire Roméo : mais Roméo est une baudruche exhaussée par un vent, de l'enflure soufflée par une certaine convention qu'on aime à reconnaître pour se rassurer à défaut d'autre modèle, à défaut surtout d'imagination réelle, à défaut d'un véritable ailleurs de l'âme. On n'a toujours que les valeurs où l'on a traîné et que l'on a trop traînées avec soi, comme des parfums fanés et puants.
Albert doit choisir, comme tout le monde, parce qu'il faut. Pas dépressif, lucide, désir d'idéal par envie de sens, et puis juste pion, poète, hédonique, pessimiste, catatonique et enfin mort. Une succession, pas un parcours, moins un itinéraire. Tout raté, pas moyen d'accomplir quelque chose : le monde est trop bas et le sens trop haut. Décalage de l'être à la société comme de l'être à l'au-delà. Pas même pathétique, l'émotion se mérite, ici rien de transfigurable, rien d'une jésucrucifixion. Une drôle d'impasse, sans plus, sans sublimité, fatalité sans fatalisme : la vie comme état inchangeable, comme définition inflexible, avec, à cause de la vitalité, de très vaines tentatives de dépassement. Des curiosités successives, échouées et pas même tellement décevantes. Il fallait tenter et voir : impulsion, réflexe, instinct, sans plus. le médiocre fatidique n'est jamais tragique, comme tout ce qui se regarde de loin et avec ennui. Une mécanique. Ça bouge et ça cesse de bouger.
Et ce style assorti : Dumur goûte la dénaturation du langage, l'anti-spontanéité du verbe, souvent plaisamment excentrique ou profondément poétique, léger ou bien lourd – comme le fond. Pas naturel : mainte expérience, ni fluide pour l'esprit, pas d'habituation – littéraire. Des artifices élaborés, sapience de savantasse, mot déplacé, déparé, résistant à l'entrain, examiné – dissection. Spirituel et monstrueux. Évidemment, c'est un roman sur rien autant que sur le rien, sur l'anéantissement de l'essor, invariable annonce d'échecs désémus, intrigue sur la négligence délibérée d'une histoire, où tout ramène au sentiment d'une étrangeté, d'un dérangé, de l'idéal même d'une fiction, récit systématiquement inutile – de l'art, démonstration de style, insuffisant car oeuvre uniquement sur l'insuffisance foncière d'exister, ontologique essence de vanité avec sa forme exactement congruente, contenant ensemble sa beauté intrinsèque et son défaut ad hoc.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Indispensable pour toutes les amoureuses de littérature fin-de-siècle. Belles présentations de Guy Ducrey. Et puis, les bouquins sont gros ! J'aime !
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
A vrai dire, j'avais une espérance : celle de devenir fou. Je savais bien que j'étais, que j'avais toujours été sur le point de devenir fou. Mais je ne l'avais jamais été, et je ne l'étais pas. Etre fou ! mais c'est l'ambition légitime de tous les hommes dignes du nom d'hommes. Je sais, je sais, il y a les gâteux, les baveux, et les agités féroces, qu'on met en cages ! Exceptions. Il y a surtout, en plus grand nombre, les bons fous rêveurs, qui s'éblouissent délicieusement, comme les bergers d'une idylle de rêve, d'un papillon posé à la fleur des pommiers dans la cour de Charenton ! il y a les mères qui, assises sur un banc, retrouvent, dans le bercement sous un châle, l'illusion du premier-né ; il y a celui qui se croit empereur ! il y a celui qui se croit dieu ! et cet empereur-là ne perdra jamais de batailles ; et ce dieu n'aura jamais d’athées.

Catulle Mendès, Le Chercheur de tares.
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Il y a bien des genres de suicides. On peut arrêter un train en marche, se jeter en Seine, se laisser choir du haut de Notre-Dame, se priver de nourriture, s'intoxiquer, s'inoculer le choléra-morbus, assassiner une famille afin d'être guillotiné, avaler du verre pilé, fumer de l'opium, s'ouvrir les veines comme Sénèque, se transpercer comme Caton, se pendre comme Judas, se planter des clous dans la tête, se brûler à petit feu, entrer dans une fourmilière, s'offrir en pâture aux crocodiles, se révolter contre les Anglais, se faire piquer par un aspic, boire du plomb fondu, voyager chez les anthropophages, réciter d'une seule haleine le monologue de Charles Quint, dormir les pieds en l'air, respirer des fleurs capiteuses, coucher avec un succube, s'absinther ou s'asphyxier au charbon.
Albert avait choisi le revolver.

Louis Dumur, Albert
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Une poésie triste, familière, née de la pauvreté, de l'odeur des feuilles et du brouillard, émane de ce paysage, qui essaie d'être la campagne derrière un mur abritant trois millions d'existences et qui s'imprègne d'elles, frissonne sous leurs souffles, se recueille avant de les laisser prévoir. On dirait qu'aux portes de la ville immense se suspend un instant l'adieu de la nature reconduisant le passant qui va pénétrer dans le chaos : on dirait qu'avant de l'abandonner elle veut lui donner un regret, se faire plus exquise et plus nostalgique. Un charme étrange se révèle en cette nature souillée, qui languit épuisée jusqu'aux bords des remparts, et qui, de tout l'égout commençant les banlieues, a tiré sa mélancolique beauté.

Camille Mauclair, Le Soleil des morts
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Les grandes énergies en étaient dépensées, il n'y restait que les sensations raffinées, l'efflorescence fragile des délicatesses, la curiosité, le rare. L'élite ainsi demeurait comme les Byzantins occupés de controverses minutieuses et savantes, dans un empire illusoire et exténué, cerné par le grand submergement des barbares. Elle prolongeait un art admirable et maladif, fin comme les visages de ceux qui vont mourir de langueur, et dressait dans la jouissance égoïste et bousculée de l'époque sa noblesse inutile et ses œuvres hésitantes, ne persistant que pour l'honneur. Elle eût dû s'imposer comme une féodalité, elle devenait une congrégation, mal tolérée, et tournait le dos à la vie : c'était bien ce que Manuel Héricourt avait dit, et André de Neuze, en rentrant dans l'existence active de l'hiver, en demeura écœuré. L'odeur de décadence montait de cette élite, en somme, comme de la foule ; mais c'était une odeur exquisement fanée et captivante, comme ces parfums que la chimie sait extraire des plus odieuses pourritures.

Camille Mauclair, Le Soleil des morts
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J'ai été de toutes les émeutes. Comme je suis vieux, j'ai même connu M. Thiers, qui s'habillait en garde national pour le plaisir de tirer sur le monde. Il était si petit qu'il était obligé d'acheter son uniforme chez les marchands de joujoux, et il tirait avec un tout petit fusil. Ça ne fait rien, il tirait. Il tirait mal, parce qu'il ne pouvait pas viser très haut. Il tuait tout de même ; on souffrait plus longtemps, voilà tout. Et, quand il avait été vainqueur, on lui mettait dessous un plus haut piédestal ! Il ressemblait à une puce de Napoléon, sur la pyramide d'Égypte.

Catulle Mendès, Le Chercheur de tares
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