Karpathia
Vous ne connaissez pas les règles strictes qui régissent le duel au pistolet dans la Vienne de 1830.
Vous ignorez tout des Valaques, des Saxons, des Tziganes, qui peuplent les Carpates. Vous ne savez pas s'ils parlent roumain, serbe, hongrois, allemand ou même français. de quoi vivent-ils ? Sont-ils sédentaires ou nomades, serfs ou affranchis,
Quels rôles jouent le seigneur des lieux, le pape orthodoxe, le chef des contrebandiers.
Le comte Korvanyi, héros de ce roman, ne connait pas beaucoup mieux que vous les réponses à ces questions. Ce sont pourtant celles qu'il aura à affronter tout au long de son histoire.
Après s'être battu en duel pour défendre ce qu'il pense être l'honneur de celle à qui il a l'intention de déclarer sa flamme, l'avoir épousé, et quitté l'armée qui ne correspond pas à ses aspirations de femme de militaire, il quitte Vienne pour rejoindre le domaine de ses ancêtres, massacrés cinquante ans auparavant par leurs serfs, et dont les propriétés sont depuis restées aux bons ( ?) soins de leurs intendants.
Leur installation ne va pas sans troubler le statu quo qui s'était installé depuis un demi siècle et durant lequel les différentes entités subissaient leur sort avec plus ou moins de résignation fataliste ou de débrouillardise (Nous sommes à la frontière de la Hongrie, de la Roumanie, pas trop loin de la Russie ou de la Turquie ; la contrebande est une richesse nationale).
Comme le comte et la comtesse ont ramené de Vienne leurs meubles, leurs chevaux et leurs propres intendants, la hiérarchie domestique de Downton Abbey vous paraitra d'une simplicité biblique comparée à celle qui règne au château de Korvanyi.
Le comte veut faire comprendre à tous que la pauvreté paresseuse qui régnait depuis deux générations fait partie du passé et qu'il faut mettre en valeur les richesses potentielles de l'immense domaine restées jusqu'ici largement inexploitées.
Quant à la comtesse, qui ne rêve que de chevaux et de chasse, elle considère le domaine comme une occasion magnifique de satisfaire à ses deux passions. Elle rêve donc de remplacer l'invitation formelle aux hobereaux du voisinage par une immense partie de chasse.
Outre les voisins invités obligés, on fera appel aux quelques militaires disponibles pour se prémunir de tous les incidents.
La chasse au gibier se transforme progressivement en une chasse au loup puis en une chasse à l'homme. Tout cela va tourner rapidement au drame et donnera à chacun l'occasion de manifester son identité.
L'histoire, en soi, est passionnante. Elle suppose de la part de Maths Menegros des années de recherches dont il faut lui savoir gré.
J'ai malheureusement trouvé que le détachement avec lequel il nous fait assister à cette cascade d'évènements aurait mérité davantage d'émotions dans la narration. La mort d'un duelliste devient un incident, même pour sa famille, dans la mesure où les règles protocolaires du combat ont bien été respectées. La mort d'un duelliste n'affecte pas trop sa famille dans la mesure où le duel a respecté les règles, la disparition ou le massacre d'un enfant par un loup (ou un vampire ; en 1830 leur race est encore bien vivante en Transylvanie) est décrite avec la précision d'un entomologiste étudiant le fonctionnement d'une fourmilière..
Et aucun des personnages n'engendre la sympathie. le comte est dur et inflexible, sa femme est futile, le pope joue double jeu. Les seigneurs sont lâches ou vaniteux, les militaires abandonnés par une lointaine hiérarchie. On ne peut s'identifier à aucun, ce qui, pour moi au moins, diminue l'intérêt que l'on porte aux évènements. le prix Interallié, qui a récompensé ce livre, montre que je suis sans doute passé à côté de certaines de ses qualités. Dans le denier numéro du Figaro Magazine, Christophe Buisson souhaite que ce roman soit porté à l'écran. Je pense aussi qu'une transposition dans l'image de cette histoire qui pourrait être une épopée lui rendrait justice. Elle nous permettrait en outre d'admirer les paysages de ces contrées mal commues.
Je souhaite retrouver le lecteur devant un grand écran.