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EAN : 9782742796700
192 pages
Actes Sud (06/04/2011)
3.75/5   6 notes
Résumé :
Le 11 mars 2004, à Madrid, des bombes explosent dans quatre trains de banlieue.
Il y aura cent quatre-vingt-onze morts et un grand nombre de blessés. Lorsque Vladimir, écrivain raté devenu correcteur, apprend la nouvelle, il est en train de travailler sur une traduction des Démons de Dostoïevski, et alors que toute l'Espagne, y compris le gouvernement, voit dans l'attentat la main de l'ETA, lui comprend immédiatement que ce n'est pas possible. Non qu'il en sa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Y a-t-il encore des frères à appeler lorsque l'horreur terroriste se double de son exploitation cynique par le politique corrompu ? La lame aiguisée de Ricardo Menéndez Salmón.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/04/16/note-de-lecture-le-correcteur-ricardo-menendez-salmon/

Le 11 mars 2004, dix bombes explosent entre 7 h 32 et 7 h 39 dans plusieurs gares et trains de banlieue de l'agglomération madrilène, provoquant 192 morts et 1 858 blessés. Tandis que la nouvelle se répand instantanément – et que le très néo-libéral et conservateur chef de gouvernement de l'époque, José Maria Aznar, avec la complicité brûlante de son ministre de l'Intérieur, Ángel Acebes, accuse immédiatement avec force l'ETA basque, avant que les attentats ne soient quelques jours plus tard attribués à Al-Qaida -, un écrivain devenu « uniquement » correcteur, spécialiste notamment de Dostoïevski, assiste impuissant à la sidération générale, au choc et à l'effroi, et à l'envahissement, très logique ou pleinement irrationnel, de l'intime par le politique.

Juste après la publication du petit chef-d'oeuvre qu'était déjà sa « Nuit féroce » en 2006, Ricardo Menéndez Salmón se lançait dans une trilogie de courts romans consacrés à l'horreur du monde contemporain, que conclut en 2009 ce « Correcteur », traduit en français en 2011 chez Jacqueline Chambon par Delphine Valentin.

Face à l'horreur des attentats de Madrid de 2004, le grand romancier des Asturies s'intéresse pourtant moins aux phénomènes directs de sidération qui l'entourent (comme le fait avec une immense justesse le Pierre Demarty éruptif et songeur de « Manhattan Volcano »), mais plus profondément à ce qu'elle provoque plus insidieusement en nous, sur des terrains intimes souvent minés au préalable par des storytellings délétères, agencés intentionnellement ou non, et par une habitude du mensonge politique bien trop enracinée désormais, en Espagne comme ailleurs.

Ainsi, à travers ce narrateur inattendu, écrivain ayant volontairement renoncé à l'écriture, correcteur vivant en prise avec le contemporain mais plus encore avec Dostoïevski, Onetti, Kawabata ou Cheever en guise de véritable vademecum, Ricardo Menéndez Salmón réintroduit subrepticement du complexe là où la simplification voudrait tant régner, des ruses de la raison là où la pulsion brute cherche à prédominer, du cerveau qui pense un peu plutôt que de la moelle épinière qui agit par réflexe, et de la résonance intime – même joyeusement trafiquée vers un plus haut indice d'octane – plutôt que du salmigondis géopolitique.

Pour cette autre « Anatomie d'un instant » (le roi d'Espagne s'adressera à cette occasion pour la première fois directement à son peuple depuis le coup d'État avorté en 1981 qu'analyse si brillamment Javier Cercas), les échos construits par l'auteur se porteront ainsi plutôt, avec un brio et une ruse rares, vers les effondrements éthiques qui hantent le Mathieu Larnaudie des « Effondrés » et de « Acharnement », et davantage encore vers l'étude poétique de cas paranoïaque conduite, en Suède, par le Jonas Hassen Khemiri de « J'appelle mes frères » (2012). Lorsque le terrorisme parvient à conquérir les coeurs et les esprits avec la complicité de certains gouvernants apprentis sorciers, il a de facto déjà gagné – et souvent bien au-delà de ses attentes.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Quand le premier train a explosé, déversant sur nos petites vies courageuses un flot de sang, de colère et de peur, j’étais assis devant ma vieille table en frêne d’Australie et je corrigeais un jeu d’épreuves des Démons de Fedor Dostoïevski.
Je m’appelle Vladimir – jeune, mon père était passionné par la révolution russe – et je suis correcteur. Et j’oserai affirmer que Fedor Dostoïevski est mon écrivain préféré. (Peut-être que dix ans plus tôt, quand j’avais vingt-cinq ans, j’aurais affirmé que mon écrivain préféré était Albert Camus, et probablement que dans dix ans, quand j’en aurai quarante-cinq, je pencherai plutôt pour Stendhal ou Platon.)
À 7 h 37 le jeudi 11 mars 2004, je me trouvais donc, tout frais, après avoir pris mon petit-déjeuner, une belle lumière d’hiver pénétrant par la fenêtre comme un trait de givre, en train de lire un jeu d’épreuves composées en caractère typographique bembo, corps 12, au moment où Alexeï Kirilov avoue à Piotr Verhovenski que « la peur est la malédiction de l’homme », quand le premier train a explosé et que soudain nos compteurs ont été remis à zéro.
Aujourd’hui, évidemment, alors que tant de choses sont arrivées depuis et que les émotions ont été passées au tamis de la réflexion, tout apparaît de façon moins confuse, plus aisée à comprendre, mais, durant les heures que décrit cette chronique, nous tous qui étions là (et je crois que tout le monde, d’une façon ou d’une autre, était là) avons senti que les temps heureux avaient touché à leur fin.
Bien sûr, les temps heureux s’approchaient de leur fin depuis déjà pas mal de printemps, et périodiquement, comme si nous avions besoin de corroborer l’idée subtile qu’Alexeï Kirilov exposait à Piotr Verhovenski pendant que les premières bombes transformaient l’acier des trains en lave brûlante et les os des victimes en poussière ; périodiquement, donc, bien sûr, nous sentons la nécessité de nous infliger les uns aux autres de quoi nous rappeler, sans laisser de place au doute, que, un beau jour, tout foutra le camp, tout simplement.
Nous les hommes, sans exception, noirs et blancs, heureux et tristes, intelligents et idiots, nous sommes ainsi : nous arborons des drapeaux que d’autres détestent, nous adorons des dieux qui offensent nos voisins, nous nous entourons de lois qui insultent ceux qui nous entourent. La conséquence est facile à déduire : de temps en temps, sous le soleil ou sous la neige, en démocratie ou sous l’égide de quelque fasciste déguisé en inspecteur des finances, nous venons écraser des avions sur des gratte-ciel, nous bombardons des pays déjà dénués de toute richesse et nous nous embarquons dans des croisades aussi atroces qu’injustes.
Quand le téléphone a sonné, aux environs de 8 h 50, j’avais mis de côté les pages lumineuses, fascinantes dans lesquelles Alexeï Kirilov expose les raisons de son suicide imminent, et j’étais sur le point d’allumer la première cigarette de la journée. À ce moment-là, évidemment, je ne savais encore rien, et c’est seulement a posteriori, aidé par mon bagage littéraire et mon inclination pour la fiction, que j’ai pu donner une forme artistique à cette première impression, que je n’eus en réalité que soixante-dix ou quatre-vingts minutes après cet instant où le premier train a imprégné l’air de Madrid d’une odeur de viscères.
« Tu es au courant ? »
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Ce qui éloigne de façon décisive l’homme politique de l’écrivain, c’est leur relation inverse aux détails. La politique, par définition, est le règne de la négation du détail. George Walker Bush dit dans un micro ouvert : « Il faut en finir avec cette merde », et « cette merde », c’est le Liban, c’est le Hezbollah, la Syrie, c’est Israël, c’est la Palestine, c’est une histoire millénaire fondée sur l’intolérance religieuse et nourrie par des intérêts économiques qui portent préjudice à des millions de personnes.
La littérature, quant à elle, est par définition la fraternité du détail, une pratique déjà millénaire qui se nourrit du détail, un exercice exigeant qui trouve dans le détail sa récompense et sa raison profonde d’exister. Car l’écrivain, dans ce cas précis, doit plonger dans le détail et expliquer ce que diable incarne « cette merde », pourquoi cela sent si mauvais, qui l’a générée, qui la tolère et la permet, qui en a fait son mode de vie. L’écrivain est l’individu qui analyse « cette merde » abstraite que l’homme politique répand sur les cartes. Et c’est dans cette leçon d’eschatologie méticuleuse et parfois déplaisante, dans ce délicat processus d’exploration des détails qui font que « cette merde » est ce qu’elle est et pas autre chose, que l’écrivain trouve sa récompense essentielle : la dignité.
Pervertir la réalité au moyen du langage, parvenir à faire en sorte que le langage dise ce que la réalité nie, voilà l’une des conquêtes majeures du pouvoir. La politique devient ainsi l’art de déguiser le mensonge.
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À peine avais-je raccroché d’avec Uribesalgo, ma mère a téléphoné. A la deuxième sonnerie, j’ai entendu Zoe s’extirper du lit puis, debout à la porte du bureau, me demander la raison de tout ce bruit.
« Qu’allons-nous devenir, mon fils ? » disait au même moment ma mère, avec cette capacité qu’elle a de me laisser, chaque fois, bouchée bée face à son manque absolu de réalisme.
Je pouvais l’imaginer à l’autre bout de la ligne, déjà habillée, coiffée, parfumée et maquillée comme si elle était sur le point de recevoir de la visite, entortillant de ses doigts nerveux le fil du téléphone tout en surveillant d’un œil expert la température des œufs pochés, profondément ébranlée par ce qui venait d’arriver, mais, dans le même temps, déjà aveugle et surtout sourde à ce qui adviendrait les jours suivants.
Ma mère est l’une des personnes les plus contradictoires que je connaisse et, paradoxalement, elle est capable de concilier tout ce qui se passe autour d’elle dans une unité de sens indestructible.
Pour elle, comme pour n’importe quel croyant, les faits ne répondent pas à une relation de cause à effet, l’ici et le maintenant sont des entités immuables, aussi anciennes que le paradis de la Genèse, le fratricide de Caïn et le prépuce d’Onan, et il n’y a pas lieu de discuter autour de certains principes émanant d’une sagesse mystérieuse, des principes évidemment intangibles et incontestables, jamais rattachés à aucun texte moral, politique ou législatif propre à l’État, la communauté ou la famille, mais toujours réductibles, de son point de vue, à une genèse unique, une sorte d’herméneutique vénéneuse en vertu de laquelle elle parvient indéfectiblement, à la manière de l’esprit jésuite, à mettre la raison de son côté.
Il est incroyable, alors que nous n’avons plus le moindre doute sur ce qui est réellement arrivé ce jour-là, que ma mère, qui avait soutenu sans réserves ni hésitations l’attitude du gouvernement au pouvoir face à l’invasion de l’Irak, la même personne qui m’a demandé à ce moment-là, avec une angoisse théâtrale : « Qu’allons-nous devenir ? », s’obstine aujourd’hui à me répéter cette question chaque fois que quelque misérable fait trembler un coin de la planète avec une bombe fixée à sa ceinture.
Entre les faits et leur interprétation, il existe pour elle, comme pour beaucoup d’Espagnols, une brèche infranchissable, à la mesure exacte d’une idéologie déterminée, dans laquelle on ne peut que se précipiter, car la contourner – par l’argumentation – ou la combler – par l’expérience – sont choses impensables.
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« Mon Dieu, dit Zoe. Regarde ça. »
Nous sommes tellement habitués à ce que le téléviseur soit notre intermédiaire avec les événements extérieurs, notre messager et notre maître de cérémonie, le Big Brother qui voit tout, que, lorsque l’horreur pénètre dans notre maison à travers cet écran, elle nous semble aussi inopportune que celle qui nous assaille devant un grave carambolage ou lorsqu’on visite un pavillon pour schizophrènes. De fait, de nombreux adultes ne connaissent la mort qu’à travers le téléviseur, comme les esclaves de la caverne ne connaissaient les objets qu’à travers leur reflet sur le mur.
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Quand Platon conçut sa République parfaite, il plaida en faveur de l’expulsion des poètes. Le poète génère le désordre en ayant recours à un langage qui est par définition ambigu. Platon inaugurait ainsi une profession de foi qui perdure aujourd’hui : la méfiance que l’artiste inspire au puissant
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