Cette épopée puissante nous emmène en Ethiopie, envahie par les troupes de Mussolini, en 1935, jusqu à la victoire miraculeuse de ce peuple de combattants et de combattantes héroïques.
Sans être le moins du monde adepte des récits de guerre, j'ai été happée par le souffle lyrique de
Maaza Mengiste, par le rythme de cette narration si particulière, composée de récits de bataille grandiloquents, entrecoupés d'interludes et de choeurs, échappés du théâtre antique. On plonge alors dans des anaphores saisissantes et des métaphores hallucinées, sans jamais perdre de vue la réalité éthiopienne et les drames qui s'y jouent.
L'auteure a voulu rendre hommage aux femmes éthiopiennes qui ne se sont pas contentées de nourrir les soldats, mais ont choisi de prendre les armes." L'histoire de la guerre s'est toujours écrite au masculin, mais la vérité est différente – en Éthiopie, et de tout temps, dans tous les conflits. Les femmes ont toujours été là." Elle a bâti son roman sur son histoire familiale et sur les archives de son arrière grand-mère.
Sans vouloir esthetiser la guerre ou promouvoir une image d'Amazones, elle fait le portrait de femmes qui prennent leur revanche sur la domination masculine et l'esclavage comme Hirut qui « a laissé derrière elle la servitude et fait de son corps une arme ».
C'est en prenant part aux combats que Aster, la femme du guerrier Kidane et Hirut sa servante se libèrent de l'emprise de celui qui les a violées. Mais si les femmes et leurs combats sont admirables, elles restent des personnages de chair et de sang avec leurs faiblesses et leurs souffrances.
Le même traitement est réservé aux héros masculins, sans la moindre trace de manichéisme.
Le guerrier Kidane est un violeur mais c'est parce qu'on lui a appris qu'une femme doit "être prise" et ses tentatives de tendresse échouent parce qu'elles arrivent trop tard.
Ettore, le photographe italien est un lâche qui collabore avec le pouvoir fasciste mais c'est aussi un personnage tourmenté qui craint pour sa vie parce qu'il est juif et qui éprouve de l'empathie pour les victimes.
L'empereur Haïlé Sélassié qui a fui son pays pour se réfugier en Angleterre, obsédé par l'Aida de Verdi, incarne lui aussi cette complexité et cette ambivalence qui font la richesse de chacun des personnages, soignés par la plume de l'auteure.
Quant au roi fantôme, ce paysan jumeau de l'empereur, une fois son rôle achevé, il retourne à l'anonymat auquel il était prédestiné, son nom signifiant " rien".
Ce chant épique, porté par des voix multiples qui s'entrecroisent, est non seulement un moment d'histoire et un hommage à des femmes courageuses, mais aussi un roman magistral.