Ouvrage très riche que celui-ci ! Vraiment une excellente recherche que je recommande chaleureusement à tous, surtout aux femmes bien évidemment, notamment aux femmes-mères qui s'offriront un temps de déculpabilisation précieux…
J'ai acheté volontairement ce livre après avoir lu un article dans la revue Sciences Humaines à ce sujet. L'article faisait état de cette parution, avec une critique plutôt dithyrambique. Me sentant tout le temps écartelée entre la mère que je pense qu'il faut être, la mère que je suis, et la vie de femme que j'ai envie de mener parce qu'après tout zut je n'ai qu'une vie, enfant ou pas enfant, je me suis jetée sur cet ouvrage et je ne le regrette pas du tout. D'ailleurs, j'y pense en toute honnêteté tous les jours, c'est dire !
Etre Mère commence par ce constat étonnant. Au XVIIIème siècle, la définition du mot femme était grosse modo la suivante : être humain donnant la vie. C'est-à-dire qu'il n'y avait aucune distinction entre le fait d'être une femme et celui de devenir mère. Les temps ont bien changé, et l'on semble concevoir qu'une femme n'est pas forcément mère, puisque le Larousse dit sobrement : « être humain de sexe féminin ». Merci mon Dieu, nous ne sommes plus uniquement des utérus ambulants, nous avons aussi le droit d'avoir une vie en-dehors de la procréation (ce qui est très récent en France!).
L'ouvrage se centre sur « l'être mère » du XVIIIème siècle à nos jours pour tenter, in fine, de répondre à la question : « Etre mère, est-ce accéder à une autre dimension de soi ou renoncer à exister en tant que soi et perdre de ce fait son identité individuelle ? ». Pas facile, me direz-vous, et ce d'autant plus que notre façon d'appréhender le sujet est totalement dessinée par la culture dominante, les arts, et notre propre schéma familial. Car oui, comme l'a signalé en 2001
Yvonne Knibiehler (née en 1922 – pionnière des mouvements féministes) : « La fonction maternelle chez les humains n'a rien de naturel ; elle est toujours et partout une construction sociale, définie et organisée par des normes, selon les besoins d'une population donnée à une époque donnée de son histoire. ». Mère au foyer, mère qui travaille, mère qui élève, mère qui abandonne, tout n'est qu'une question de lecture sociale. Toutes ces versions ont été légitimes et respectées en leur temps, ne l'oublions pas.
3 chapitres essentiels constituent le découpage du livre.
Le 1er chapitre retrace tout d'abord la place de la mère dans la littérature du XVIIIème à nos jours. Soyons clairs, on ne parlait JAMAIS de la mère avant le XXVIIIe siècle. Pourquoi ? Parce qu'elle n'était que dans l'ombre du père voyons ! C'était lui qui décidait, lui qui finançait, lui qui régnait. A part la Vierge Marie ou d'autres écrits à vocation religieuse, la mère n'existe tout simplement pas. La femme oui en revanche. Mais une fois qu'elle s'est mariée et qu'en plus elle a enfanté, on s'en tape comme de l'an 40, car elle devient une propriété parmi d'autres de ces messieurs… Bon, soit.
A la fin du XVIIIème siècle, en France, les temps sont chauds. La Révolution, la mortalité infantile et la nécessité de prévoir une armée de réserve puissante influencent les intellectuels. Or, à cette époque, la plupart des femmes mettent leurs enfants en nourrice. Y compris et surtout dans les classes les plus populaires, à l'inverse des idées reçues. Car ce sont justement ces femmes qui travaillent, notamment dans les champs ou comme employée de maison, qui ont besoin d'une garde. Et cela ne posait pas d'état d'âme car on ne concevait pas un lien SUPREME, INCROYABLE et tout le discours que l'on connaît sur les liens affectifs entre la mère et l'enfant. Seulement voilà, les nourrices gèrent plusieurs enfants, passent leur sein d'une bouche à une autre, transmettent les maladies etc. Vous l'aurez compris, la survie des nourrissons était très aléatoire. En plus, nombre de femmes vivent leur grossesse et l'accouchement comme un calvaire et une contrainte qu'elles ne savaient pas trop comment maitriser face à un mari qui réclamait le devoir conjugal. Beaucoup, beaucoup, abandonnaient leurs enfants dans la rue, et il n'était pas rare de trouver un nourrisson à même le trottoir. Il faut alors rapatrier les petits au sein de leur mère d'origine et pousser les femmes à être avant tout des mères….
Tout commence alors sérieusement avec les travaux de Rousseau – qui a abandonné TOUS ses enfants – qui publie sur la « bonne mère », celle qui s'épanouit, nourrit son enfant, l'élève. Et d'ailleurs, quoi de plus noble pour une femme que de respecter sa vocation unique : procréer. S'en suit alors, pour la première fois, toute une littérature française portant aux nues la bonne mère, ou à l'inverse fustigeant les mauvaises. Il n'y a pas de demi-mesure mais au moins on parle de la femme une fois devenue mère, mais uniquement parce qu'elle doit être mère ! Et d'ailleurs, quelle honte de mener une vie de femme et non de mère alors que l'on a procrée. Il s'agit d'une période très moralisatrice qui va profondément marquer notre culture et commencer à renvoyer la mère à une sphère intime, la faisant petit à petit sortir de sa sphère sociale (les aisées quittent les salons, les très modestes arrêtent de travailler).
Le deuxième chapitre montre l'impact de ces idéologies sur la société. Bien évidemment, les abandons et les avortements ne se sont pas arrêtés avec les écrits de Rousseau, mais la culpabilité s'est mise en marche et les femmes ont essayé de cacher aux autres leur mauvaises pratiques. Les tensions inhérentes à la maternité se renforcent, et la découverte de la relation à l'enfant au quotidien ne plait pas à beaucoup de femmes, faisant apparaître des premiers réseaux féministes. Réseaux qui seront renforcés au fil des guerres, notamment de la première Guerre Mondiale, où l'on voit clairement que la femme peut travailler en-dehors de ce qu'elle fait dans son foyer. Mais l'Etat veut repeupler et appelle les femmes à un retour au foyer, avec un retour en force de l'ordre moral sur la bonne mère et la création entre autres de la fêtes des Mères en 1918 (donc rien à voir avec Pétain). Les débats deviennent de plus en plus houleux entre les femmes qui demandent à ne pas être que des mères, et les pouvoirs publics qui ont besoin d'elles pour une politique de natalité. Les mouvements féministes soutiennent le droit à être mère, mais quand elles veulent, sans subir les assauts des hommes qui eux ne gèrent pas l'éducation des enfants que pour autant ils engendrent également. « Un enfant oui, mais si je le veux » est en quelque sorte le crédo de celles qui se battent pour la contraception, et même l'avortement, arguant qu'il vaut mieux cela que des accouchements sous X ou des enfants abandonnés (sans parler des femmes charcutées), encore très nombreusesentre les deux guerres. Ce n'est que dans la seconde moitié du XXe siècle que les femmes vont enfin être considérées comme des êtres pensants et plus uniquement comme des machines à procréation, pouvant voter, avoir accès à quelques pratiques abortives et même à une protection sociale relative à la maternité.
Le dernier chapitre montre que les débats relatifs à la maternité sont loin, mais alors très loin d'être finis. La société ne sait même pas aujourd'hui définir exactement la mère. Entre la femme qui a un désir d'enfant et met en route une procédure d'adoption, une mère porteuse qui vit la grossesse et accouche, et celle qui adopte réellement l'enfant, laquelle des trois est la mère ? Force est de constater que les lois sont différentes d'un pays à l'autre. Je ne parle même pas des couples homosexuels… D'un point de vue de la « morale », les discours se sont affreusement extrémisés. D'un côté, il faut bien comprendre que la maternité est la plupart du temps choisi. Une femme peut aujourd'hui prendre une contraception et avorter en cas d' « accident ». de ce fait, l'enfant est devenu le fruit d'une volonté plutôt qu'un aléa de la vie. On attend alors de la mère qu'elle assure, qu'elle ait une forme de toute puissance sur l'enfant qu'ELLE a voulu, qu'elle soit archi-disponible. Certains discours vont jusqu'à dire que le lien se fait essentiellement par l'allaitement et une prise en charge complète de l'enfant jusqu'à ses trois ans, « pour son bien ». D'un autre côté, nombre de femmes écrivent enfin sur l'autre facette de la maternité : la facette affreusement asservissante, que l'on veuille ou non la reconnaître. Combien de trentenaires écrivent maintenant sur le baby-blues, reflétant ainsi le décalage ressenti entre ce qu'elles pensaient que la maternité allait apporter (l'épanouissement de Rousseau et de toute la littérature classique) et la réalité qu'elle engendre régulièrement : ralentissement de la carrière professionnelle, relations plus conflictuelles avec le conjoint, vie sociale freinée etc. D'
Elisabeth Badinter à la Leach League, on passe du coq à l'âne sur « l'être mère » qui n'est dans le fond qu'une question de point de vue et certainement pas une réalité. Celle qui arrête de travailler ou celle qui bosse comme une tarée a tout autant sa place, car il s'agit d'être mère mais aussi et quand même d'être un humain à part entière avec ses choix et ses désirs.
Enfin, le livre ses termine sur un constat que l'on connaît mais qu'il faut pourtant répéter. Les femmes ne gagnent pas autant que les hommes. Et même avec un mari qui aide à fond, qui vide les machines, fait les courses, lave la vaisselle, la femme fait toujours beaucoup plus d'heures de travail domestique que l'homme. Et celle qui culpabilise, c'est elle. Peu d'hommes écrivent sur leur baby-blues, la culpabilité qu'ils ont à reprendre le boulot après l'accouchement de leur femme, ou comment leur boss leur a refusé une augmentation parce que leur femme a accouché cette année… On a besoin de nous pour la survie de l'espèce, et en plus il faut que l'on paye d'une façon ou d'une autre notre contribution à la société. On peut nous refuser une augmentation parce qu'on va partir en congé mat, parce qu'on est en congé mat, parce qu'on revient d'un congé mat, parce que « tu vas bien finir par en faire un deuxième », etc. Ce n'est pourtant pas un ouvrage qui se réclame d'un mouvement féministe mais Mesdames, serrons-nous les coudes parce que nous avons le droit de réclamer le droit de vivre et faire ce que l'on veut de notre temps, et de pousser la société à rendre cela archi compatible avec la survie de l'espèce.
Je conclurai en deux temps :
Un premier temps de déculpabilisation. Il n'y a pas de bonne façon universelle d'être mère. Il y a des enfants abandonnés qui s'en sortent bien psychiquement et des enfants hyper cajolés très fragiles, et il y aussi l'inverse. Il y a des théories qui prônent une mère archi présente et des théories qui demandent la fin de la toute-puissance présumée de la mère. Il y a des mères au foyer heureuses et malheureuses, tout comme chez celles qui travaillent un peu, beaucoup, et même passionnément. Il y a à boire et à manger partout. J'ai entendu des femmes dire d'autres « tu te rends compte, elle a même une nounou le soir pour le bain et le dîner, quand voit-elle ses enfants ? », tout comme j'ai également entendu « elle n'a plus de vie, elle est collée à ses mômes». Et surtout, j'ai entendu beaucoup de femmes me raconter le grand écart qu'elles font en permanence pour travailler, s'épanouir, être présente pour leurs enfants, être présente pour le couple, gérer majoritairement l'ordre domestique. Mesdames, faites ce que vous voulez. Plus vous serez heureuse et sereine, plus il y a de chance pour que votre enfant s'autorise par la suite à vivre sa vie. C'est facile à écrire, c'est plus dur à faire, mais réfléchissez-y : vos enfants attendent-ils de vous ce que vous croyez qu'ils attendent ou non ?
Un second temps qui reprend l'article de Sciences Humaines : qu'en est-il du « être père » ?
Jo la Frite
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