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Critique de LaBiblidOnee


Madrapour est un petit territoire entre l'Inde et la Chine qui viendrait d'être déclaré indépendant. C'est en tous cas ce qu'ont cru comprendre les 15 passagers du charter dont c'est la destination, qui ont chacun une bonne raison de s'y rendre. Décollent ainsi de l'aéroport de Roissy : un diplomate, un présumé agent de la CIA, un pseudo trafiquant de drogue, deux hindous, deux veuves désirant passer du bon temps dans un hôtel de luxe pour touristes, une vieille bique, deux hommes d'affaires, une héritière, une mère maquerelle, et j'en passe.


Mais ce voyage s'avère rapidement très étrange : de l'embarquement, à l'absence d'équipage en passant par ce vol qui semble à la fois si long, et si court, et que certains passagers semblent vouloir détourner, le lecteur est pris en otage : Sans possibilité de sortir de la situation où on l'a mis, mais surtout sans volonté d'en sortir maintenant qu'il y est. Un peu comme de nos vies, dont nous sommes à la fois les maitres et les prisonniers. Bien sûr, Robert Merle nous mène par le bout du nez, nous laissant tenter de démêler la situation en écoutant débattre les passagers de cultures et langues différentes, en nous mettant dans la peau de son narrateur traducteur à l'ONU qui, lui, les parle toutes. C'est ce personnage, plus passionnant que les autres, qui va nous décrypter toutes les nuances d'attitude, de posture, de voix, de mots de chaque personnage. La plume de l'auteur met en lumière à quel point il est fin observateur et psychologue, et ce huis clos pourtant extrêmement pesant en devient captivant. Même si l'on sent que l'auteur veut nous faire transcender son histoire pour nous raconter autre chose, on s'accroche à chaque détail pour que ce récit ait un sens, le sens qu'on voudrait qu'il ait. Comme on le fait avec nos vies : Ne sont-elles pas censées avoir un sens elles aussi, et si possible celui que l'on voudrait leur donner ?


En 320 pages, Robert Merle nous livre une fable sur la vie et sur la mort, sur le temps qui passe et notre court passage sur Terre. Nous ne sommes que des passagers, comme ceux qui ont embarqué un peu par hasard, un peu malgré eux, dans cet avion à destination de Madrapour. Madrapour, cette destination existe-t-elle seulement ? Certains d'entre eux le voient comme un paradis avec hôtel 4 étoiles et attendent son arrivée avec impatience, pour d'autres c'est l'enfer sur terre que des guerres intestines ont laissé à feu et à sang ; Pour d'autre encore, Madrapour n'existe tout simplement pas, a été inventé par les Etats et les médias en vue d'un complot. Bref, on est embarqué dans un voyage dont on tente de maîtriser la trajectoire, mais dont on ne connaît pas l'issue. Mais l'important n'est-il pas le chemin ? Alors comment va-t-on occuper notre voyage, obnubilés que nous sommes par la destination finale ? N'ayant aucune certitude sur cette dernière, on la trouve effrayante, cette perspective de débarquer : Où va-t-on atterrir ? Et dans quel état ? Et surtout, dans combien de temps ? Si au départ, on nous a donné un itinéraire plus ou moins tracé et un temps de vol approximatif, pour certains le voyage sera raccourci par les circonstances, pour d'autres il sera finalement plus long que prévu. Qui en décide ainsi ? le destin, Dieu, le hasard ? Ou chacun d'entre nous, avec nos décisions et nos actions ? Dans cet avion avec les passagers, on prend conscience du temps qui passe… Et chacun réagit à sa manière.


Une expérience métaphysique sur un fond entre complotisme et science fiction que j'ai bien aimé. Moins pour le propos en lui-même, qui est classique, que pour la manière dont l'auteur le superpose à l'histoire et, surtout, pour l'art de l'auteur de disséquer et d'analyser ses personnages. Je referme ce livre en me disant que, peut-être, je n'aime pas l'avion parce qu'il me rappelle à quel point je ne suis qu'une passagère minuscule, fragile et éphémère sur cette terre, dont la vie ou la mort ne tient qu'au fil invisible de l'aléa, du déterminisme, de ma décision de monter ou non et de toutes les actions des autres.… J'ai l'impression que l'avion me rapproche de ma propre mort, voire m'y emmène. Je ne suis qu'une passagère, je le sais. Et comme vous tous, j'essaye de vivre avec. Avec une certitude en ce qui me concerne : Peu importe ce qu'il y a après, je n'ai pas envie de gaspiller ce qui se déroule ici et maintenant.


Y-a-t'il un pilote dans l'avion ? Oui : Nous-même, jonglant avec ce que nous ne maîtrisons pas, tel le pilote du film Sully.
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