Prix Goncourt 1949, «
Week-end à Zuydcoote » de
Robert Merle est un roman d'inspiration autobiographique. L'auteur, prisonnier de guerre à l'occasion de l'évènement qu'il décrit (la débâcle de Dunkerque), en offre un témoignage de première main malgré sa part de fiction embarquée.
La « Drôle de Guerre » a pris fin à la mi-mai 1940. Une semaine et demi plus tard, sous la poussée irrésistible du Blitzkrieg, les troupes anglaises et françaises en déroute sont acculées à la Manche dans « la Poche de Dunkerque ».
« C'est un petit bout de France qui trempe dans la flotte et qui rétrécit au lavage »
Les troupes alliées, tant bien que mal, rembarquent pour l'Angleterre sur des rafiots de fortune réquisitionnés. « Anglais à droite, Français à gauche ». Pris au piège, des milliers de Tommies et plus encore de soldats français vont trouver la mort dans les dunes, en mer (à moins de 18 kms à vol d'oiseau des côtes anglaises), dans les jolies villas de la station balnéaire de Bray-Dunes ... Priorité à la survie sous les obus crachés par l'artillerie ennemie de plus en plus proche. La mort surgit sous les torpilles et la mitraille lâchées par les Stukas qui, en vrilles savantes contre l'azur du ciel, ciblent les flancs des cargos et leurs ponts surpeuplés, le sanatorium et ses brancards de fortune, l'enfilade des plages où les soldats se jettent face contre terre n'espérant que la chance d'y réchapper une fois de plus.
Des milliers d'hommes, la vie, la mort, à pile ou face … Les seules alternatives étant l'embarquement pour Albion ou se constituer prisonniers quand les allemands seront là.
Robert Merle suit les destins parallèles et croisés de quelques soldats français perdus dans la tourmente, le temps d'un court week-end de printemps ensoleillé et chaud. Welcome in Zuydcoote, le soleil est de la party, isn't, ironisent les Tommies tout humour british dehors, froid et détaché. La Manche est calme et belle, propice aux bains de mer (carte postale idyllique) … si ce n'est qu'elle recrache les morts de la crête écumeuse des vagues vers les plages. Noyés, blessés, brûlés, étripés, décapités, agonisants, chairs déchirées, regards hébétés… Les dunes de sable blond se teintent d'écarlate. Les soldats meurent sans combattre, les yeux ouverts, rivés sur un ciel sans nuages. le titre du roman, «
Week-end à Zuydcoote », est trompeur (voire ironique) ; derrière des promesses édéniques d'affiche touristique, se dessine un enfer truffé de plomb, de poudre et de feu, de sang et de vies gâchées.
Le paysage proposé est digne de
J.G. Ballard. C'est un gigantesque cimetière d'engins militaires immobilisés, inutiles, abandonnés, ensablés, incendiés, figés dans une attente vaine. « Il … [leur] … manquait une roue, quelquefois deux. Les petites Austin n'en avaient plus du tout. Elles gisaient sur le dos comme des scarabées kaki qu'un enfant se serait amusé à retourner du plat de la main ». Les événements décrits cousinent avec les apocalypses lentes que l'auteur anglais affectionnera.
Des villas en ruines, pillées, laissées en l'état par des vies effacées ou en fuite côtoient un sanatorium inutilement bombardé et des dunes trompeusement protectrices. Dans ce décor, il y a peu touristique et enchanteur, apocalyptique désormais, errent des hommes en promesse de trépas éclair ou en survie chanceuse. Ils sont tous en perte de repères, si ce n'est ceux nouveaux, éphémères et instables qu'impose une situation qu'ils ne maitrisent plus. Les règles changent, les hommes s'adaptent, espèrent ou se résignent :
Dhery, combinard, débrouillard et opportuniste, entrevoit un « après Dunkerque » lucratif pour peu d'y survivre, un marché noir peu ragoûtant mais florissant ; il pressent la collusion dans l'air du temps à venir, se place par anticipation sous le vent mauvais d'une Occupation en approche rapide ; son cas préfigure la Collaboration et ses heures sombres.
Robert Merle tisse du soldat un portrait qui se veut débonnaire, presque amical ; mais sous le vernis d'écriture, l'auteur se fait critique acerbe d'un homme qui ne voit en l'amitié qu'un levier à ses ambitions. C'est l'antipathique de sortie…
Pierson, prêtre aux armées, questionne sa foi à l'épreuve de la guerre et de ses ambigüités, la confronte à l'anticléricalisme d'Alexandre et à l'agnosticisme de Julien Maillat, s'y accroche tant bien que mal, prie pour le salut des hommes mais enterre son arme dans le sable. Les dialogues, si présents et si habiles au coeur de l'ouvrage, se prêtent au jeu des conceptions différentes de la vie, dévoilent des antagonismes qui sauront, plus tard, se muer en fraternité pour qu'enfin se dénoue le conflit.
Pinot (« … un des gars de Bezons ..! ») soupçonne l'infidélité de son épouse (là-bas, dans un autre monde, celui civil et maintenant si lointain) ; en contrepartie à sa frustration, il mitraille de son FM les Stukas en piqués (« Aussi sec .. ! »). Silhouette haute en couleurs, forte personnalité, propos taillés dans un parler populaire brut, il est une des figures inoubliables du récit.
Jeanne, qui ne se résigne pas à abandonner sa maison sous les bombes, qui a l'impression que sa demeure résistera tant qu'elle sera là pour la protéger, qui joue un drôle de jeu avec Julien Maillat, entre amour et intérêt. C'est la part féminine du récit, mais aussi celle par qui les évènements se précipitent.
Alexandre attend l'arrivée des allemands pour, fataliste, se rendre. Il tient la popotte dans les dunes, un fourgon-ambulance, où en mère-poule pour ses amis il organise un semblant de quotidien retrouvé, trompeur, fragile mais rassurant, presque intemporel. Pour lui, l'amitié n'est pas un vain mot ; il prend le rôle du sacrifié.
Et puis il y a Julien Maillat. Sans doute un autoportrait de l'écrivain. C'est un électron libre, de pensées et d'actes. Un être énigmatique, détaché de lui-même et des autres, empathique ou pas rien n'est sûr, capable néanmoins de s'insérer dans le huis-clos de l'ambulance. Il est parti en guerre plutôt qu'en désertion, porte sur l'absurdité de la guerre et de ses acteurs un regard désabusé et fataliste. Forcé et contraint, c'est l'élément survivaliste du groupe, non pas tant pour continuer à se battre ailleurs que pour simplement ne pas mourir. Il jette aux autres des réparties sèches mais bienveillantes, teintées d'humour distant et froid. C'est le personnage le plus fouillé, disséqué, raclé jusqu'à l'os dans ses hésitations, ses faiblesses et ses forces.
J'avais jadis été séduit par le regard porté par Henri Verneuil, en 1964, sur la Poche de Dunkerque, via l'adaptation ciné qu'il fit du roman. le cinémascope alors à la mode (lire le 16/9ème) se prêtait au grand spectacle de la guerre, offrait des scènes dantesques pour le moins réalistes. le long métrage est très fidèle au texte (Merle eut son mot à dire), des scènes surajoutées émergent néanmoins de ci-delà mais restent dans la logique de l'histoire écrite. A noter que les épilogues divergent du lu au vu sans, qu'à mon sens, il me soit possible d'en privilégier l'une ou l'autre.
« Week End à Zuidcoote » est, après «
La mort est mon métier » mon second
Robert Merle lu. de nouveau le fond et la forme s'unissent pour rendre la lecture faussement aisée au service d'une réflexion acérée sur certains questionnements qu'apporte la guerre.
A lire et à voir. Absolument.
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