Citations sur Le visible et l'invisible, suivi de Notes de travail (43)
Déjà notre existence de voyants, c'est-à-dire, avons-nous dit, d'êtres qui retournent le monde sur lui-même et qui passent de l'autre côté, et qui s'entrevoient, qui voient par les yeux l'un de l'autre, et surtout notre existence d'êtres sonores pour les autres et pour eux-mêmes, contiennent tout ce qui est requis pour qu'il y ait de l'un à l'autre parole, parole sur le monde.
Avec la première vision, le premier contact, le premier plaisir, il y a initiation, c'est-à-dire, non pas position d'un contenu, mais ouverture d'une dimension qui ne pourra plus être refermée, établissement d'un niveau par rapport auquel désormais toute autre expérience sera repérée. L'idée est ce niveau, cette dimension, non pas donc un invisible de fait, comme un objet caché derrière un autre, et non pas un invisible absolu, qui n'aurait rien à faire avec le visible, mais l'invisible de ce monde, celui qui l'habite, le soutient et le rend visible, sa possibilité intérieure et propre, l’Être de cet étant.
La philosophie n'est pas science, parce que la science croit pouvoir survoler son objet, tient pour acquise la corrélation du savoir et de l'être, alors que la philosophie est l'ensemble des questions où celui qui questionne est lui-même mis en cause par la question.
Il n'y a dans le visible que des ruines de l'esprit.
Comme la nervure porte la feuille du dedans, du fond de sa chair, les idées sont la texture de l'expérience ...
Le
philosophe parle, mais c'est une faiblesse en lui, et une faiblesse
inexplicable : il devrait se taire, coïncider en silence, et rejoindre dans
l’Être une philosophie qui y est déjà faite.
. L'immédiat est à l'horizon, et doit être pensé
à ce titre, ce n'est qu'en restant à distance qu'il reste lui-même. Il y a
une expérience de la chose visible comme préexistant à ma vision, mais
elle n'est pas fusion, coïncidence : parce que mes yeux qui voient, mes
mains qui touchent, peuvent être aussi vus et touchés, parce que, donc,
en ce sens, ils voient et touchent le visible, le tangible, du dedans, que
notre chair tapisse et même enveloppe toutes les choses visibles et
tangibles dont elle est pourtant entourée, le monde et moi sommes l'un
dans l'autre, et du percipere au percipi il n'y a pas d'antériorité, il y a
simultanéité ou même retard.
Comme la nervure porte la feuille du dedans, du fond de sa chair,
les idées sont la texture de l'expérience ; son style, muet d'abord,
proféré : ensuite. CommeComme la nervure porte la feuille du dedans, du fond de sa chair,
les idées sont la texture de l'expérience ; son style, muet d'abord,
proféré : ensuite. Comme tout style, elles s'élaborent dans
l'épaisseur de l'être et, non seulement en fait, mais en droit, n'en
sauraient être détachées pour être étalées sous, le regard. tout style, elles s'élaborent dans
l'épaisseur de l'être et, non seulement en fait, mais en droit, n'en
sauraient être détachées pour être étalées sous, le regard.
De même, je ne m'entends pas
comme j'entends les autres, l'existence sonore de ma voix pour moi est
pour ainsi dire mal dépliée ; c'est plutôt un écho de son existence
articulaire, elle vibre à travers ma tête plutôt qu'au-dehors. Je suis
toujours du même côté de mon corps, il s'offre à moi sous une
perspective invariable.
Les questions mêmes de la curiosité ou
celles de la science sont animées intérieurement par l'interrogation
fondamentale qui apparaît à nu dans la philosophie. « De moment à
autre, un homme redresse la tête, renifle, écoute, considère, reconnaît
sa position : il pense, il soupire, et, tirant sa montre de la poche logée
contre sa côte, regarde l'heure. Où suis-je ? et, Quelle heure est-il ? telle
est de nous au monde la question inépuisable 14 ... »
14 Claudel, Art poétique, Mercure de France, p. 9