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Critique de mariemaya


Une accroche intrigante qui m'a donnée l'envie de découvrir ce nouveau roman de Lina Meruane, auteure dont j'ai eu de très bons échos pour ses précédents romans.
A la lecture des premières pages, j'entendais déjà la chaleur, la musicalité latine se dégager de son écrit, bravo à la traduction au passage (Serge Mestre). Je ne sais si vous avez vu « Frida » interprétée par Salma Hayek, c'est la beauté de cet accent que Lina prenait (la protagoniste de l'histoire porte le nom de l'auteure), d'ailleurs ce personnage vit un drame d'une intensité similaire.

Perdre la vue à 20 30 40 ans est une épreuve bien plus délicate que de naître aveugle, lorsque tu nés aveugle tu grandis en n'ayant pas d'autres choix que d'accepter ce fait, tu grandis en développant d'autres sens pour assimiler le monde, le sentir, l'appréhender, le comprendre. Mais à 20 30 40 ans, le chemin est tout autre, tu as déjà vu et appréhendé le monde au travers de tes yeux, voilà ce que Lina tente de nous faire percevoir.
Perdre ses yeux, son regard, revient à perdre le sens de la vie, perdre un souffle, son âme, une partie de soi. Mais Lina espère, elle espère la disparition de ce voile flou qui l'aspire vers des tréfonds obscurs. Voile né des suites de son diabète.
Les autres, Ignacio, sa famille lorsqu'ils la regardent ne peuvent se douter du sinistre drame qui se joue en elle. Lina souffre du décalage qui grandit assumant difficilement cette perte de sens. Au début, elle n'ose vraiment l'exprimer, elle ne veut pas déranger supportant difficilement l'inquiétude, la pitié, l'infantilisation qui peut l'entourer alors, mais la noyade est si rapide qu'il ne lui reste d'autre choix que de s'affirmer, de crier pour aspirer du soutien, de l'aide, de la compréhension tout en s'armant d'humour pour supporter les pressions de son entourage.

Et ce médecin, Lekz, en qui elle place tant de confiance lui donnera t il droit à cette délivrance, à ce retour à la « normale » ? Et si l'opération si délicate ne fonctionne pas, qu'en sera-t-il de son existence ? La transplantation Lina se trouve toute disposer à la vivre, vivre avec les yeux d'un autre…mais le docteur s'y refuse.
Les yeux sont le reflet de l'âme, un bout externe du cerveau où réside la conscience de l'être…la médecine ne semble pas prête à faire fi de cette croyance, Lina, elle est prête à tout pour vaincre l'obscurité.

Au-delà, de ce plongeon dans le noir, Lina nous éclaire des échos de sa vie, de la difficulté du système de santé aux états unis lorsque les soins sont à délivrés mais que l'assurance ne suit pas, de son pays le Chili, de sa famille avec qui les relations sont complexes entre infantilisation, effet méduse d'une mère égocentrique et d'un père absorbé par son métier, de son amour Ignacio qui tente de rester si droit auprès d'elle pour la soutenir, amour qu'elle n'a de cesse de tester et dont elle perçoit toute la grandeur et difficulté du sacrifice. Entre Manhattan et Santiago du Chili nous sommes invités à prendre part à un voyage fait de senteurs, de sons, de coups, d'entraves, d'émotions, de nouveaux départs, d'espoir. Personnage isolé dans sa douleur en quête de délivrance, Lina est tout à la fois extraordinairement forte et fragile, ivre d'une vie qu'elle fantasme pour ne pas voir, pour ne plus voir, le noir qui l'habite, la ronge, la grignote.

La fin est surprenante, dégoulinante de cet espoir-désespoir d'une renaissance, d'un retour à la vie quitte à commettre l'irréparable, cri de douleur en suspend devant la réalité abjecte de sa situation, auquel on ne s'attend pas.

Une question reste et je me fais curieuse de découvrir vos réponses : quel est le parallèle entre la protagoniste portant un pseudonyme (auteure, universitaire,journaliste, originaire du Chili…) du même nom que sa créatrice (auteure, universitaire, professeure, originaire du Chili) dans ce voyage autour de la perte de la vue, du voile qui se pose sur ses yeux, y en a-t-il réellement un, quelle est cette relation qui se mélange et se défait entre le personnage et l'écrivaine ? Une autre lecture est possible faisant de ce roman une oeuvre semi-autobiographique.

L'auteure, Lina Meruane a la grandeur de plume d'une Isabelle Allende, deux univers différents habités par le fantasque et la nostalgie de leurs pays respectifs plein de cette musicalité qui raisonne des accents latinos au travers de leurs écritures, un bonheur à chaque lecture éclairant leurs histoires parfois dramatiques ou bouleversantes de cette lumière unique. A l'instar d'Allende les femmes (ici Lina) sont fortes, battantes, menant lutte pour asseoir leurs existences dans une société qui les pousse à se dépasser. Une auteure époustouflante que je prendrai plaisir à lire à nouveau. Merci aux éditions Grasset pour cette lecture !
Lien : https://dreamlittlebirdsadoa..
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