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Régis Messac, m'a rappelé à quel point le siècle dernier fut sombre, et à quel point il éprouva des vies plus que d'autres. Né en 1893, ce fils d'instituteurs a tout juste l'âge requis pour être mobilisé au début de la Première Guerre mondiale. Il y récoltera une balle dans le crâne qui manquera de le tuer (ou évitera qu'il fût tué plus tard, c'est selon). Malheureusement, on ne trompe pas la mort deux fois, et celle-ci frappa finalement l'impudent lors des affres de la Seconde Guerre mondiale.
Ce destin funeste n'empêchera pas cet homme de conviction de nous léguer une oeuvre forte, personnelle, novatrice et engagée. Une oeuvre et un message à la mesure de sa destinée. Un antidote à l'usage de l'humanité, contre l'humanité.
Alors, connaissant le contexte, on comprendra certainement mieux le formidable souffle de pessimisme qui traverse le (très) petit monde de
Quinzinzinzili. de même qu'on appréciera à sa juste valeur le style désabusé, cynique et amusé de l'auteur. Pas si courant dans le genre du post-apo…
Oui,
Quinzinzinzili est un post-apo.
Le narrateur-témoin nous énumère d'abord les évènements qui ont conduit à la grande catastrophe : tout simplement une seconde guerre mondiale avant l'heure, avec comme conséquence notable la quasi-extinction de l'espèce humaine, à l'exception de lui-même ainsi que d'une dizaine d'enfants.
Il nous raconte ensuite les premières années de survie de ce petit groupe, jusqu'à ce que la folie le gagne.
Quinzinzinzili est un post-apo très atypique, car la crédibilité n'est nullement recherchée. C'est assez troublant au départ, vu l'enracinement des évènements préapocalyptiques dans la réalité de l'époque contemporaine. Une rupture nette entre anticipation réaliste et fable naïve.
Mais une fois qu'on saisit le schéma, le propos s'éclaire et on comprend que la fable n'est qu'un moyen commode pour l'auteur de parler de notre société, celle d'avant la catastrophe.
Ainsi, l'artifice le plus notable de l'auteur est d'avoir rendu les enfants survivants complètement débiles (une conséquence du cataclysme). Étrangement, le narrateur a été épargné, mais il fallait bien un témoin.
Le narrateur-témoin passe alors son temps, moqueur, à relever l'idiotie et l'irrationalité de ces nouveaux humains. Et l'auteur qu'on devine derrière parle ainsi de nous :
« Il me montre maintenant, ce gamin, ce que valent cette pensée, cette raison dont nous étions si fiers : les trois quarts du temps, elles n'aboutissent qu'à compliquer notre insanité naturelle. »
Je n'ai pas compris tout de suite le procédé, qui peut donner le vertige quand on y réfléchit.
L'écriture de Messac est magnifique, tout à la fois précise et poétique. La langue est riche mais fluide, la syntaxe irréprochable.
J'ai beaucoup aimé le style cynique / désabusé et les innombrables piques. Deux exemples :
« Oui, vraiment, il réfléchit ce gaillard. Je crois bien qu'il est le seul dans la bande. »
« Ils se sont organisés. Non qu'ils l'aient délibérément voulu, ou qu'ils sachent ce que c'est que l'organisation ; mais par la force des choses, par un simple tassement de leur activité et de leurs besoins. »
C'est constant, une vraie tonalité, un peu comme dans la série Kaamelott, l'humour en moins.
À lire le narrateur et le voir vivre aux côtés de ces enfants abêtis, les observer et s'en moquer, on pense aussi à un Robinson revisité.
Autre point remarquable, la ressemblance troublante entre les évènements qui ont conduit à la catastrophe et le déroulement réel de la Seconde Guerre mondiale (le roman n'a été publié qu'en 1935). Un don de prescience qui va jusqu'à la destinée même de l'auteur qui, s'il fait corps avec le narrateur, prévoie en quelque sorte sa fin funeste comme témoin de l'horreur et – peut-être – du pire épisode de l'humanité.
Les bémols en ce qui me concerne :
- Une première partie qui détonne un peu. Elle donne quelques éléments de contexte concernant certains personnages, mais qui seront peu repris.
- Des facilités et des couleuvres dans le récit post-apocalypse, qu'excuse un peu facilement l'aspect « fable ».
- Même si la lecture est plaisante et les saillies efficaces, le message global n'en demeure pas moins général et assez flou.
Mon impression finale est celle d'une prouesse littéraire, tant sur la forme que dans l'originalité et le style, mais au final peu d'émotion et pas de démonstration précise.
Un petit mot sur le livre : mon exemplaire provient des éditions de l'Arbre Vengeur. La finition est superbe, le livre très agréable en main, autant la couverture que les pages ultra-lisses. L'illustration ne m'a pas plu d'emblée, mais je la comprends maintenant. Une préface et des documents annexes accompagnent ce court roman, un vrai plus en l'occurrence.