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Critique de Lucilou


Un coup de coeur!
Un coup même, comme je les aime. Des ces coups qui font mal, mais qui révèlent aussi toute la beauté et la profondeur d'une histoire.
A l'issue de ma lecture, je me sens un peu comme lors de ma découverte de "Beloved": c'est dire si cette maison dans l'impasse me bouleverse et si j'ai envie de la défendre.
Avec ce roman, Maria Messina -romancière sicilienne du début du XX°siècle qui serait tombée dans l'oubli sans la redécouverte de son oeuvre par Leonardo Sciascia- nous entraîne sur les terres âpres et brûlées de la Sicile, au début des années 20 pour un huis clos aussi douloureux qu'oppressant et une histoire familiale et intime lourde de secrets et de rancoeurs. le résultat n'est rien de moins que saisissant.
Don Pasquale est un homme ruiné dont la manufacture a englouti les dernières lires et tout père aimant qu'il soit, il aura bien du mal à marier ses filles et à établir ses fils. Étranglé par sa peur du déshonneur plus que par ses dettes, il se tourne vers Don Lucio, le secrétaire du baron Rossi. Ce dernier est homme austère et discret qui ne dédaigne pas de jouer à l'usurier. Il accepte de sauver Don Pasquale qui pour le remercier l'invite très régulièrement à partager sa table dans un manège qui dure des années. Autour de ces deux hommes gravitent les enfants de la famille et les filles accaparent particulièrement leur attention. A l'idée de donner un jour l'une d'elles à cet homme riche et respectable, Don Pasquale et son épouse se réjouissent et attendent, le souffle coupé, le choix de Don Lucio qui jette son dévolu sur Antonietta après avoir refusé l'aînée, trop rebelle, et la dernière, trop vive. La petite fiancée ne sait rien de son époux, pas plus que du mariage, mais elle n'a d'autre choix que d'accepter ce mari qui lui fait l'insigne honneur de l'avoir choisie. de toute façon, une femme n'a pas le droit de dire non et si Lucio l'a distinguée, c'est précisément parce qu'elle est docile et qu'il l'espère malléable comme de l'argile, comme doit l'être toute femme.
Sa soumission n'empêche pas Antonietta d'éprouver de la crainte à l'idée de quitter les siens et la maison dans laquelle elle a grandi, entourée d'affection. Elle obtient donc de son époux que sa jeune soeur - sa presque jumelle ,Nicolina- les accompagne à Palerme. L'homme accepte pour avoir l'air généreux et parce que sa belle-soeur lui coûtera moins cher qu'une domestique. le trio prend ainsi ses quartiers dans une maison froide où la lumière n'entre jamais pas plus que les rires ou la chaleur.
Les années passent. Antonietta semble s'être faite à son sort tandis que Nicolina s'étiole comme une fleur sans eau ni soleil. Toute entière au service de son irascible beau-frère -véritable tyran domestique- et de sa soeur qui ne semble pas se soucier de ce qu'elle sacrifie -le meilleur de sa jeunesse- elle a oublié son désir d'avoir un jour sa propre famille, un homme ou juste quelqu'un à aimer.
Des enfants sont venus agrandir ce drôle de foyer: le fragile Alessio puis une petite Carmelina qui égayent comme ils peuvent un quotidien-prison, morne et gris. Agata arrive plus tard et c'est sa naissance qui fera voler en éclats le fragile équilibre de la famille. Antonietta doit rester alitée longtemps.
Très longtemps. Des mois.
Nicolina se charge alors de tout, sous le regard sans compassion de Don Lucio. La jeune femme s'occupe des repas, des enfants, du ménage, du mari. Surtout de lui, sans qu'on ne sache vraiment si c'est parce qu'il ne lui laisse pas le choix ou par désir. Et puis, de toutes façons, peu importe son désir à elle ou son dégoût. Cela n'aurait rien changé. Il est le seigneur et maître, et elle...
Les secrets ne le restent jamais, même s'ils sont enveloppés de silence. Les deux soeurs qui étaient si proches apprendront la haine. Elle brûlera entre elles des années, alimentée par le moindre souffle.
Devenu grand, Alessio, le doux Alessio, tentera de ramener la paix et la vie dans cette maison sans espoir mais David ne vainc Goliath que dans les contes et il entreprend aussi de lutter contre le despotisme intransigeant de son père qui le broie autant qu'il écrase de son indifférence et de ses exigences sa femme et sa belle-soeur, prisonnière de la maison dans l'impasse.
Court mais puissant, intense, "La Maison dans l'impasse" est une sublime découverte qui tape juste et fort avec un texte dépouillé et lumineux, efficace. Il mêle à sa portée féministe et engagée un souffle romanesque certain qui prend sa source dans un huis clos implacable et presque inquiétant qui nous happe, nous oppresse jusqu'à l'étouffement.







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