Lorsque
Reinhold Messner se lance avec une équipe autrichienne à l'assaut de l'Everest en 1978, il a déjà un palmarès respectable. Et une ambition avouée : tenter, avec Peter Habeler, d'arriver au sommet sans utiliser d'oxygène.
Les deux hommes se connaissent bien et ont une solide expérience commune. Personne ne doute de la valeur de la cordée qu'ils forment.
Mais, l'
Everest sans oxygène ?
Tout le monde considérait qu'il était physiologiquement impossible à un être humain de grimper ainsi à une telle altitude.
Reinhold Messner est tout sauf fou. Il ne prend jamais de risques inconsidérés et prépare toujours minutieusement tout ce qu'il entreprend. Cette ascension-là encore plus !
Avec son compagnon d'aventures, ils espèrent vaincre sans oxygène, mais se tiennent prêts à en faire usage s'ils se sentent en trop grand danger.
Tout au long du récit alternent les moments de découragement, lorsque le mauvais temps s'invite ou que le terrain n'est pas favorable, et les moments où l'espoir renaît, où l'énergie revient, où les hommes se sentent intensément vivants.
Reinhold Messner est un dur à cuire. Il a peu d'états d'âme.
Au début de l'expédition, l'équipe entière a une grande discussion à propos des accidents et de la conduite à tenir au cas où l'un des membres viendrait à décéder. Chacun exprime ses "dernières volontés" : où il veut, si possible, être transporté, quelle cérémonie il souhaite... discussion qui peut paraître assez macabre mais qui a l'air de se dérouler tout à fait naturellement.
Pour notre alpiniste italien, c'est simple : "Je désire qu'on m'enterre sur le lieu de l'accident et qu'on continue."
Efficacité et pragmatisme sont les maîtres-mots de ce grimpeur exceptionnel, mais il n'est pas insensible pour autant et nous gratifie de-ci de-là de jolies réflexions, comme lors de ce bivouac éprouvant : "Je n'ai plus que le sentiment de la vanité, de l'absurdité de notre entreprise, et surtout l'impression d'être soustrait au monde, de n'appartenir à rien, ni à moi-même." ou dans les derniers moments de l'ascension : "Respirer est si épuisant qu'il nous reste à peine la force de continuer à marcher. Tous les dix ou quinze pas, nous nous écroulons dans la neige pour une brève halte, avant de continuer notre reptation. J'ai même oublié que j'existe."
Dans le chapitre "Point final" dans lequel il raconte la dernière montée avec Peter Habeler, l'arrivée au sommet puis la redescente, Messner se fait lyrique comme jamais. Ce qu'il a éprouvé a visiblement été très fort et il arrive à merveilleusement bien à nous faire comprendre ce qu'il ressent, physiquement et émotionnellement, l'état d'esprit qui l'anime, et ce que représente pour lui cette victoire.
Oui, l'Everest a déjà été gravi avant, mais sans rien enlever au mérite de tous les prédécesseurs, le toit du monde n'avait jamais été atteint sans masque à oxygène.
Une "première" a toujours une valeur particulière car si l'on peut s'appuyer partiellement sur les expériences précédentes, on doit faire seul une partie du chemin et s'aventurer en terrain inconnu.
Reinhold Messner ne s'y trompe pas, et il sait la valeur de l'exploit qu'il a accompli avec son compagnon.
Un exploit tellement grand qu'il laisse un vide terrible. Dans ce livre, l'auteur explique très bien ce phénomène et l'ambivalence de ce qu'il éprouve : "l'irrésistible envie de descendre et de mettre l'alpinisme au clou. En même temps que naît en moi le désir de revenir, de me retrouver encore une fois à la limite des possibilités humaines."
Everest sans oxygène est un témoignage intéressant d'un fait marquant de l'histoire de l'alpinisme.