Avec un tel titre, "
L'homme machine", on s'attend à une reprise des idées de
Descartes qui avait été l'un des premiers à exposer explicitement l'idée que l'animal pouvait se concevoir en un assemblage d'organes comme une machine est un assemblage de pièces et de rouages.
Sauf que
La Mettrie va beaucoup plus loin que
Descartes en abandonnant l'idée qu'une âme anime tout cela. Exit le dualisme corps/âme ratifié par un
Descartes encore impressionné par la vieille théologie: le génie philosophique de
Descartes, bien inférieur à son génie mathématique, n'avait pas eu l'audace de concevoir l'obsolescence de Dieu et du concept d'âme. Quant à
La Mettrie, s'il prétend que Dieu est "probable", l'observateur de la nature n'en peut rien dire et il est convaincu que le médecin, n'a guère besoin d'envisager l'âme pour animer un corps, quand il peut observer un coeur frais battre seul sur la table de dissection. Il fournit nombre d'exemples similaires à son lecteur et fait observer, à travers autant d'illustrations, que les affections de l'âme sont étroitement liées à celles du corps. Que notre façon de sentir le monde diffère selon les différents états du corps. Il ne conçoit pas l'âme comme une sorte pilote du corps matériel mais comme une manifestation directe de celui-ci.
Nombre de médecins débarrassés de l'influence de la théologie (parmi lesquels
Albrecht von Haller, médecin suisse, 1708-1777, à qui est dédié le livre) ont défendu de telles vues contre d'autres médecins et philosophes attaqués par
La Mettrie (
Leibniz, Malebranche etc.).
Et pourtant, le modèle du vivant que défend le médecin
La Mettrie n'a rien de la mécanique froide de l'animal cartésien. Ce livre prépare cette célébration du sentiment amoureux qu'est le second texte que l'éditeur à la bonne idée de présenter dans le même volume:
L'art de jouir.
A bien des égards,
L'homme machine préfigure les idées auxquels de nos jours
António Damásio donnera une portée scientifique dans son ouvrage, L'erreur de
Descartes.