Voyage en France buissonnière

Le départ approche, je piaffe d’impatience. Je m’y vois déjà, chevauchant mon cheval avec l’horizon en ligne de mire, vivant un western à la française, découvrant la face sauvage de mon pays et de ceux qui arpentent ses sentiers. Je brûle de partir à la rencontre de ces êtres affranchis des conventions et de les suivre sur les chemins de traverse qu’ils tracent hors des rails de la société.

Ceux qui préparent la société de demain plutôt que de se lamenter face aux nouvelles déprimantes ressassées à l'envi par les catastrophistes - réchauffement climatique, épuisement des ressources, accroissement des inégalités sociales... Persuadés que notre monde tourné vers la consommation à tous crins est en train de s'essouffler, ils ne se contentent pas de fermer l'eau du robinet quand ils se lavent les dents, ils inventent de quoi construire une civilisation nouvelle : économies participatives, monnaies locales, machines libres de brevet, habitats partagés, fermes bilogiques, maisons de retraite autogérées. Fatigués d'attendre un changement qui ne vient pas, lassés par les promesses vaines d'un gouvernement représentant un système auquel ils ne croient plus, ils ont décidé de suivre leurs convictions. Riches ou sans le sou, ingénieurs ou poètes, paysans ou artistes, religieux ou athées, jeunes ou seniors, ils réenchantent le monde et donnent du sens à leur existence - en étant plus près de la nature, en se nourrissant mieux, en réduisant leur impact écologique ou en introduisant de la spiritualité dans leur quotidien.

Alors que la plus belle ville au monde s’éveille et que ses habitants prennent le chemin du travail, nos montures nous emportent vers la liberté. Le soleil brille et la France nous appartient.

Les chevaux, après avoir régné en maitres sur Paris pendant des siècles, ont disparu en cent ans à peine, remisés sous le capot des moteurs qui ont remplacé calèches et carrosses.

La Loire est invisible, pourtant elle fait sentir son souffle tout proche, transportant le vent venu de la mer comme dans un couloir.

Les paysages résonnent avec mon esprit , mes pensées s'ordonnent .
[...]
je pense à cette machine appelée progrès qui a rompu en un siècle le contact de l'homme à la terre ,

je pense à la France que l'on défigure et à la nature que l'on viole sans préoccupation du lendemain ,

je pense à mes enfants qui probablement jamais n'attraperont une écrevisse dans une rivière .

Je pense aux rencontres de cette équipée , à ceux qui me donnent des raisons d'espérer , ces résistants qui sortent du moule et agissent avec leur cœur pour sauver ce que nous avons d'humanité.

Je pense que par endroits , la France reste belle , et ses habitants libres .

P. 165 / 166

" Vous êtes venus chercher la campagne française , moi je ne la vois plus , j'ai l'impression qu'elle n'existe plus .
Nous sommes en train de mener une guerre contre la nature .
Si nous la gagnons , nous disparaîtrons !

Qu'il s'agisse de respirer , de se nourrir , de se vêtir ou de se soigner , nous les humains , avons besoin des autres espèces végétales ou animales .
Nous dépendons d'elles ,
il faut mettre un terme à l'érosion de la biodiversité . "

[ propos d' Hubert Reeves rapportés p. 56 ]

Les empreintes d'un oiseau et d'un lynx sont tracées sur la neige. Leurs marques racontent une scène de crime, un haïku écrit en quelques coups de griffes et de plumes. Le lynx est resté aux aguets, s'est approché à pas de velours et s'est jeté pattes en avant sur le volatile. Je ne parviens pas à lire la suite, l'issue du combat reste un mystère dont la forêt garde le secret.