Il est plus facile de convaincre les autres que l'on est beau quand on en est soi-même persuadé
- Vous ne savez pas danser, n’est-ce pas ?
Cinder le dévisagea, prise de vertige.
- Je suis mécanicienne.
Il haussa les sourcils d’un air moqueur.
- Croyez-moi, j’avais remarqué. C’est du cambouis, sur les gants que je vous ai offerts ?
- Je le savais ! Je savais que tu l’aimais, toi aussi ! Je n’arrive pas à croire que tu l’as vraiment rencontré. Ce n’est pas juste. Je t’ai déjà dit à quel point je te déteste ?
- Oui, oui, je sais, dit Cinder en s’arrachant à l’étreinte de sa sœur. Va t’évanouir ailleurs. J’essaie de bosser.
La vanité est un facteur, mais c’est plutôt une question de contrôle. Il est plus facile de convaincre les autres que l’on est beau quand on en est soi-même persuadé. Hélas, les miroirs ont une fâcheuse tendance à vous montrer la réalité en face.
Malgré tous ses efforts, elle ne trouvait pas les mots. Explications, excuses. Comment dire à une mère que sa fille est en train de mourir ?
-C'est bien là le problème quand on a tant de petits pays sur une même planète. Des conflits, et encore des conflits.
Avez-vous déjà côtoyé des malades en Europe ? La pandémie était-elle très présente dans votre région ?
- Je n’en sais rien. Je ne me souviens plus de rien avant mon opération.
Il haussa les sourcils. Ses yeux bleus parurent absorber toute la lumière de la pièce.
- Votre opération cybernétique ?
- Non, mon changement de sexe.
Le sourire du médecin s’effaça.
- Je plaisante.
Ils se mentaient, s'abusaient les uns les autres pour la seule raison qu'ils en avaient le pouvoir. Il se moquaient bien du mal qu'ils faisaient, tant qu'ils en profitaient.
- Je sais que le moment est horriblement mal choisi, mais croyez-moi, c'est une question de vie ou de mort. ( Il prit une grande inspiration.) Accepteriez-vous d'être ma cavalière au bal ?
Le sol se déroba sous les jambes de Cinder. Sa tête se vida d'un seul coup. Elle avait dû mal entendre.
Au bout d'un moment, Kai haussa les sourcils en un encouragement muet.
- J... je vous demande pardon?
Il s'éclaircit la gorge et se redressa.
- Je suppose que vous avez prévu d'aller au bal?
- Je... je ne sais pas. Enfin, non. Non, je regrette, je n'irai pas au bal.
Kai recula, décontenancé.
- Oh. Très bien... mais... peut-être pourriez-vous changer d'avis? Parce que je suis quand même... enfin...
- Le prince.
- Je ne cherche pas à m'en vanter, s'empressa-t-il d'ajouter.
- Imaginez qu'il existe un remède, mais que sa découverte vous coûterait tout ce à quoi vous tenez, qu'elle ruinerait toute votre vie. Que feriez vous ?
L'air chaud l'enserrait de toute part. Il était si proche qu'elle pouvait sentir le discret parfum qui émanait de lui.
Cinder se racla la gorge.
- Ruiner ma vie pour en sauver un million ? Il n'y a pas à hésiter.
Il entrouvrit les lèvres. Le regard de Cinder se posa malgré elle sur sa bouche, puis remonta aussitôt jusqu'à ses yeux. Une grande tristesse se répandit dans le regard de Kai.
- Vous avez raison. Il n'y a pas à hésiter, s'écria-t-il.
Elle éprouvait à la fois une violente envie de combler le vide qui les séparait et de le repousser loin d'elle. Le désir qui lui brûlait les lèvres lui interdisait de faire quoi que ce soit.
- Votre Altesse ?
D'un infime mouvement, elle leva la tête. Elle entendit la respiration du prince s'accélérer, et cette fois ce fut lui qui posa les yeux sur ses lèvres.
- Pardonnez-moi, dit-il. Je sais que le moment est particulièrement mal choisi, mais... j'ai l'impression que je suis sur le point de tout perdre.
Elle haussa les sourcils, étonnée. Il n'ajouta rien. Ses doigts lui effleurèrent le coude, légers comme un souffle. Incapable de bouger, Cinder ferma les yeux.