Un gros livre,
L'Année du lion ! le sous-titre annonce la couleur tout de suite : Les Mémoires de Nicolas Storm sur l'enquête de l'assassinat de son père, et si vous avez raté le sous-titre puisqu'il n'apparaît pas sur la couverture, vous ne pourrez pas ignorer la première phrase : « Je veux te raconter comment on a assassiné mon père. » Et voilà, en route pour 120 chapitres répartis en cinq parties de longueur inégale : L'année du Chien, du Corbeau, du Chacal, du Cochon et du Lion. J'ai d'abord cru que les deux polices de caractères différentes symbolisaient les deux langues (afrikaans et anglais) dans lesquelles est rédigé ce pavé. Mais non : elles signalent les récits autres que celui de Nico, récits recueillis d'abord par Willem Storm, le père qui sera assassiné, puis par quelqu'un d'autre après sa mort afin d'établir une histoire d'Amanzi.
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Dans le très bref premier chapitre, un narrateur à la première personne, Nico, 47 ans quand il entreprend ce récit, l'âge de son père quand il est mort, justifie son entreprise par la peur d'oublier les faits et les personnes, et explique qu'il a tardé parce qu'il avait besoin de recul. Nous ne savons pas qui est le « tu » auquel il s'adresse. le récit de Nico proprement dit commence alors qu'il a treize ans : « Nous nous souvenons le mieux des moments de peur, de perte et d'humiliation » ; cette phrase avec quelques variantes reviendra comme un leitmotiv tout au long du livre. Sans cette première phrase, on pourrait croire momentanément que tout est normal, un père et son fils roulent dans un camion un jour d'orage, si ce n'étaient les éclairs « impressionnants », les nuages « incroyables », et à l'horizon, le ciel qui « saigne d'un rouge profond et troublant ». On apprend qu'ils ont trouvé le camion et l'ont pris, que le père a bricolé un système qui leur permet de faire le plein dans un monde sans électricité, et brusquement, ils sont attaqués par une meutes de chiens féroces… « Onze mois après la Fièvre ».
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Le décor est campé en cinq pages : vous êtes brutalement plongé dans un monde apocalyptique à la suite d'une catastrophe sanitaire qui finira par entraîner des catastrophes écologiques. le nombre de morts est énorme, les bêtes sont retournés à l'état sauvage : les titres des parties prendront ainsi tout leur sens au fil de l'histoire. le temps du récit ne se présente pas de manière chronologique, mais avec de fréquents retours dans le passé (ce n'est pas très original) et de nombreuses incursions dans le futur (c'est moins commun) : Nico parle d'un personnage que nous n'avons pas encore rencontré ou dévoile le dénouement d'un événement qui, pour le lecteur, n'a pas encore eu lieu : « cet hiver horrible, quand j'ai anéanti les types de la KTM, dans l'année du Chacal » (p. 60). Ce procédé attise la curiosité…
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Dans ce monde hostile, Willem Storm décide de fonder une communauté, Amanzi, formée de gens de bonne volonté, sans distinction de couleur de peau ni de statut social, où chacun amènera son savoir-faire et ses connaissances, où chacun sera libre de pratiquer sa religion, etc. Bref, il s'agit de réinventer une façon de vivre ensemble dans laquelle on tenterait de ne pas recommencer les erreurs du passé. Noble entreprise s'il en est ! Willem Storm est un optimiste, mais ce n'est pas un naïf. Il est conscient des difficultés présentes et de celles à venir. Les problèmes ne tardent évidemment pas à surgir puisque la population s'étoffe. Ils s'incarnent dans certains personnages qui vont défendre bec et ongles leur propre vision de l'avenir quitte à passer par la menace, le chantage ou la trahison. Mais les problèmes ne viennent pas seulement de l'intérieur. Dans un monde qui manque de tout, le relatif confort d'Amanzi fait bien des envieux…
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Deon Meyer écrit habituellement des romans policiers dans lesquels il décrit l'Afrique du Sud et les problèmes qui se posent à une communauté multiraciale avec un passif très lourd. Il délaisse ici momentanément (j'espère !) Benny Griessel pour mettre en scène un père et son fils dans un monde dont les repères connus se sont volatilisés. Tout autant qu'une dystopie,
L'année du Lion est un roman d'apprentissage : construire une relation avec son père alors qu'on aborde l'adolescence dans des circonstances épouvantables, exploiter ses forces sans écraser les autres, acquérir une vraie confiance en soi dans un environnement plus qu'hostile, tomber amoureux, bâtir un monde nouveau, etc. Roman d'apprentissage pas seulement pour Nico, mais pour tout le monde : réinventer la démocratie, tout simplement…
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J'ai presque tout aimé dans ce roman ! J'en ai parlé autour de moi, j'ai incité des gens à le lire avant même de l'avoir terminé et je fais la même chose ici : lisez-le, Meyer est un maître du récit... Pourquoi ce bémol, alors ? À cause de la toute fin. Non seulement je n'y ai pas cru, mais je n'ai pas vu l'utilité de dénouer un à un chaque fil ni de répondre à des questions que le lecteur ne se posait pas. Ça reste un excellent livre, difficile à lâcher…