QUE LE PLUS NORMAL GAGNE !
Cette fois, il en va de l'honneur de Galaxity : la planète Slimane a lancé un concours interplanétaire des plus sérieux et c'est notre cher Valérian, déclaré volontaire, qui doit représenter les terriens. L'enjeu en est rien moins que la survie et le repeuplement de cette planète lointaine sur laquelle ne subsiste plus qu'une poignée de vieillards décatis.
Sur place, ils vont retrouver les trois autres participants, glorieux et extraordinaires spécimens de leurs civilisations : Irmgaal, venu de Krahan, un redoutable guerrier (franchement facho), Ortzog un stakhanoviste modèle tout frais débarqué de Bourgnouf (carrément crypto-stalinien) et Bliflim grand spirite néo-zen consacré par Malamum (définitivement religio-pontifiant). Au milieu de ces trois-là, inutile de préciser que Valérien passe pour le cancre de la classe et qu'il ne convainc guère l'assemblée d'autochtones s'étant rassemblés pour assister au départ vers Filène, l'île des enfants, de leurs futurs héros...
Une fois les épreuves véritablement débutées, cela ne va guère s'arranger pour le terrien - tandis que Laureline, interdite de concours puisque seuls les mâles peuvent y participer, ne cesse de s'inquiéter pour son homme embringué dans un jeu qu'elle estime aussi dangereux que stupide -. Les trois autres concurrents en bavent eux- aussi mais ce sont de véritables super-héros, il leur en faut donc beaucoup plus que ce que la nature hostile et les bêtes immondes leur imposent d'exploits. Quant à Valérian, presque dès le début, il choit dans une faille de la montagne, se débat contre de malheureux rats et peine à accomplir quoi que ce soit d'héroïque.
Mais à la fin, c'est le plus sobrement humain qui gagne toujours... Et sa petite femme vraiment courageuse qui le sort d'un bien mauvais pas !
Huitième volet de la saga Valérian, l'album a deux thèmes principaux en ligne de mire : une dénonciation certes outrancière, grotesque des systèmes de pensée autoritaires et globalisant (fascisme, communisme, théocratie) ainsi qu'une critique aussi moqueuse que virulente du monde des comics américains et de leurs super-mega-hyper héros toujours incroyablement forts, incroyablement beaux, incroyablement demeurés sous leurs atours incroyablement sentencieux et grandiloquents.
En ce qui concerne la dénonciation politique des extrêmes, des systèmes politiques en -isme, surtout s'ils débouchent sur du totalitarisme,
Jean-Claude Mézières et
Pierre Christin ne nous font rien découvrir ici de ce que nous supposions déjà de leurs philosophie personnelle. Peut-être enfoncent-ils seulement le clou concernant ce personnage tout droit sorti d'un mauvais roman de science-fiction typique des années de la Russie soviétique, les deux auteurs s'étant souvent reprochés que certains albums pouvaient passer pour des panégyriques du communisme (c'est particulièrement le cas dans "Les Oiseaux du maître"), ou, pour le moins, qu'ils éprouvaient une certaine sympathie pour cette idéologie, tandis qu'il n'en a jamais rien été.
L'autre aspect, éminemment drolatique et fort bien vu - car utilisant de manière parfaitement volontaire un certain nombre des clichés inhérents au genre - est celui de la bouffonnerie critique à l'égard des comics américains. C'est, à certain moment, tellement gros que même les amateurs de ce genre bédéphilique ne pourront qu'en sourire et admettre que, et bien, tous les goûts sont dans la nature, et que ce ne sont définitivement pas ceux de ces deux auteurs !
Toujours aussi bien réalisé tant scénaristiquement que du point de vue de cet imaginaire illustré totalement frénétique et démesuré de Mézières (ses planches représentant des architectures inventées n'ont pas à rougir de n'être pas réelles tant elles sont convaincantes !). Il n'empêche que ce huitième opus semble marquer une légère pause après les débuts aussi fracassant qu'enthousiasmant de cette série, l'une des meilleures en matière de Bande-Dessinée de
Science-Fiction. Un album plaisant, rondement mené, qui n'atteint donc pas les hauteurs des précédents mais comme le suivant sera un pur régal, cette légère récréation parfaitement construite permet de souffler un peu avant que de retrouver le rythme effréné des aventures intersidérales de nos deux agents spatio-temporels !