Appuyé sur l'aile droite de sa voiture, une Volvo d'une quinzaine d'années dont il avait en partie refait la mécanique, Lavoie les avait regardés s'éloigner, trois adolescents dont le soleil matinal allongeait les ombres, trois corps animés de cette force brute qui vous donne l'illusion que vous pouvez déplacer des montagnes et que l'éternité vous est promise. Il avait aussi connu ça, ainsi qu'il avait connu les désenchantements qui s'ensuivent, et il était heureux que sa fille ne se doute pas à quel point l'éternité pouvait sembler longue.
Maheut était assez intelligent pour comprendre que la mort inadmissible de cette enfant, seize, câlisse, presque sa fille, venait d'éveiller en lui l'infinie tristesse des pères aux mains inutiles.
La douleur est compréhensible dans toutes les langues.
Les drames s'amorcent ainsi, dans l'imprécise lourdeur d'instants dont nous ne saisissons l'importance qu'après coup, quand il n'y a plus rien à faire.
Elle aurait bien voulu retrouver sa naïveté d'alors, mais les six années qui la séparaient de la candeur de ses dix ans lui avaient appris à se méfier non pas de la forêt, non pas des mystères, mais des hommes enfiévrés qui la traversent, en proie à des désirs qui blessent et qui profanent, des hommes avides demeurant sourds aux supplications qu'arrache leur sauvagerie.
Les filles étaient dangereuses, il l'avait toujours dit. Elles vous aguichaient avec leurs longues jambes, leurs longs bras bronzés, leurs petites simagrées de poupées stupides, et vous mettaient knock-out en vous tordant les couilles à la première occasion.
Non calvaire ! Non, non, non, non...
La légiste attendait un signe de tête ou un faible oui, c'est elle, mais le visage qu'on présentait à [ la mère ] n'était pas celui de sa fille. C'était le visage d'une morte et les morts ne ressemblent plus aux enfants de personne.
… un corps imbibé d’alcool pèse toujours plus lourd qu’un corps qui carbure au café ou à l’eau gazeuse. C’est une loi de la physique des masses que connaît quiconque a dû un jour transbahuter un homme ivre.
(Québec Amérique p.278)
C'est là qu'ils avaient trouvé le renard, la tête explosée par un projectile de .308. Il gisait dans une anfractuosité, sa longue queue ondulant dans l'eau vive pendant que ses pattes semblaient s'accrocher à la rive. Le renard de Jude, abattu par l'enculé qui se prenait pour un dieu du simple fait qu'il était armé, un petit dieu minable qui tuait pour le plaisir, pour leur montrer ce dont il était capable, pour leur apprendre à s'agenouiller, mais Jude ne s'agenouillerait pas aux pieds de cette andouille, de ce despote, de ce barbare de merde.