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Citations sur L'empire du moindre mal (61)

La richesse suprême, pour un être humain – et la clé de son bonheur – a toujours été l’accord avec soi-même. C’est un luxe que tous ceux qui consacrent leur bref passage sur terre à dominer et exploiter leurs semblables ne connaîtront jamais. Quand bien même l’avenir leur appartiendrait.
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Hannah Arendt avait donc raison de souligner, dans "La Condition de l'homme moderne", que « ce qu'il y a de fâcheux dans les théories modernes ce n'est pas qu'elles sont fausses, c'est qu'elles peuvent devenir vraies ». S'il est ainsi toujours exact que l'homme n'est pas égoïste par nature, il est non moins exact que le dressage juridique et marchand de l'humanité crée, jour après jour,le contexte culturel idéal qui permettra à l'égoïsme de devenir la forme habituelle du comportement humain.
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S'il est ainsi toujours exact que l'homme n'est pas égoïste par nature, il est non moins exact que le dressage juridique et marchand de l'humanité crée, jour après jour, le contexte culturel idéal qui permettra à l'égoïsme de devenir la forme habituelle du comportement humain.

Les partisans de l'humanité seraient donc malvenus de sous-estimer cette réalité nouvelle. Ils doivent impérativement prendre conscience, au contraire, que la course est déjà commencée et que, dans cette course, le temps joue maintenant contre eux.
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L'homme des sociétés libérales est donc toujours invité à se tuer au travail et, simultanément, à vouloir « tout, tout de suite et sans rien faire », selon la célèbre devise de Canal +. Comme le temps disponible pour la consommation est inversement proportionnel à celui consacré au travail [AMG : c'est un peu rapide, mais passons], il y a donc bien là une véritable « contradiction culturelle du capitalisme ». L'une des solutions les plus classiques pour atténuer cette contradiction, est évidemment de prendre sur le temps nécessaire à la vie familiale et au travail éducatif qu'elle suppose. Le libéralisme peut alors gagner sur tous les tableaux.
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Comment échapper à la guerre de tous contre tous, si la vertu n'est que le masque de l'amour-propre, si l'on ne peut faire confiance à personne et si l'on ne doit compter que sur soi-même ? Telle est, en définitive, la question inaugurale de la modernité, cette étrange civilisation qui, la première dans l'Histoire, a entrepris de fonder ses progrès sur la défiance méthodique, la peur de la mort et la conviction qu'aimer et donner étaient des actes impossibles. La force des libéraux est de proposer l'unique solution désespérée. Ils s'en remettent, en effet, au seul principe qui ne saurait mentir ou décevoir, "l'intérêt des individus." L'égoïsme « naturel » de l'homme qui, depuis les moralistes du XVIIe siècle, était la croix de toutes les philosophies modernes devient ainsi, quand le libéralisme triomphe, le principe de toutes les solutions concevables.
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L'axiome de base du libéralisme est bien connu. Si la prétention de certains individus (ou association d'individus, à l'image de l'Église) à détenir la vérité du Bien est la cause fondamentale qui porte les hommes à s'affronter violemment, alors les membres d'une société ne pourront vivre en paix les uns avec les autres que si le Pouvoir chargé d'organiser leur coexistence est philosophiquement neutre, c'est-à-dire s'il s'abstient, par principe, d'imposer aux individus telle ou telle conception de la vie bonne. Dans une société libérale chacun est donc libre d'adopter le style de vie qu'il juge le plus approprié à sa conception du devoir (s'il en a une) ou du bonheur ; sous la seule et unique réserve, naturellement, que ses choix soient compatibles avec la liberté correspondante des autres. Cette dernière exigence suppose la présence – au-dessus des individus engagés séparément dans leur recherche de la vie bonne et du bonheur – d'une instance chargée d'harmoniser les libertés à présent concurrentes, et seule fondée, à ce titre, à en limiter le champ d'action en définissant un certain nombre de règles communes. Cette instance est le Droit (dont l'État, dans cette optique, n'a plus pour fonction essentielle que de garantir l'application effective).
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C'est ce refus constant de noyer l'homme ordinaire ("common man") dans les eaux glacées du calcul égoïste qui permet à Orwell de critiquer à la fois le libéralisme et le totalitarisme. On a insuffisamment souligné, de ce point de vue, que ces deux idéologies rivales s'appuyaient sur une même vision négative de l'homme forgée, comme on l'a vu, dans les conditions du XVIIe siècle européen. Ce n'est qu'en référence à ce point de départ commun qu'il est philosophiquement possible d'appréhender leurs différences réelles. À partir du moment où l'on postule que les hommes ne sont mus que par « l'amour d'eux-mêmes et l'oubli des autres » il ne peut plus exister, en effet, que deux solutions cohérentes au problème politique moderne. Soit on se décide à accepter les hommes tels qu'ils sont, et il faut alors se résigner à tirer parti de leur égoïsme pour édifier l'empire du moindre mal. Soit on maintient le projet d'un empire du bien (autrement dit l'utopie d'un monde parfait) mais son avènement triomphal se trouve nécessairement subordonné à la fabrication d'un homme nouveau. Si l'idée orwellienne d'une société décente échappe, en grande partie, à ces contradictions, c'est parce qu'elle s'enracine, à l'inverse, dans une compréhension de l'homme beaucoup plus nuancée et, à l'évidence, beaucoup plus réaliste. Le travail d'auto-institution propre à cette société implique, en effet, un appui continuel sur des possibilités morales déjà existantes, possibilités qu'il s'agit, avant tout, d'universaliser, et non d'éliminer au nom du combat progressiste contre toutes les figures, tenues pour également répressives, de la tradition. Ce n'est que sous cette condition « conservatrice » que les différentes inventions du génie humain (et, en premier lieu, les conquêtes de la science et de la technologie) peuvent recevoir un sens humain et éventuellement contribuer, dans les limites appropriées, à l'amélioration réelle de l'existence collective.
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[L]a capacité de sacrifier sa vie, quand les circonstances l'exigeaient, à sa communauté d'appartenance a toujours constitué la vertu proclamée des différentes sociétés traditionnelles, c'est-à-dire de celles qui confèrent une place privilégiée aux relations de face-à-face, et par conséquent, aux sentiments de honte et d'honneur. Du guerrier primitif au citoyen de la Rome antique, du martyr de la foi chrétienne au chevalier médiéval, c'était cette disposition permanente au sacrifice ultime qui, pour le meilleur et pour le pire, fondait officiellement l'estime de soi des individus et la garantie de leur possible gloire éternelle, que cette gloire soit profane ou sacrée.

[L]a modernité occidentale apparaît donc comme la première civilisation de l'Histoire qui ait entrepris de faire de la conservation de soi le premier (voire l'unique) souci de l'individu raisonnable, et l'idéal fondateur de la société qu'il doit former avec ses semblables. Comme le souligne clairement Benjamin Constant, « le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. »
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Dès lors que l'idéologie libérale est contrainte d'assumer à son tour l'idéal de l'homme nouveau (celui dont l'âme aurait été entièrement « modernisée » par le Marché planétaire), cette frontière perd évidemment sa principale raison d'être. Un libéral conséquent (c'est-à-dire un libéral soucieux de développer jusqu'à son terme logique l'axiomatique initiale) ne peut donc plus se contenter, comme naguère, d'imputer l'échec des entreprises totalitaires à la nature utopique des fins poursuivies. C'est, au contraire, la seule nature inadéquate des moyens employés pour atteindre ces fins, désormais légitimes en elles-mêmes, qui doit, à présent, caractériser leur chute inévitable. […] Cette rusticité évidente des moyens mis en œuvre par les sociétés totalitaires ne doit donc plus conduire les libéraux à contester la rationalité du projet constructiviste lui-même. Dans la nouvelle optique, la seule question qui se pose est de savoir dans quelle mesure le libéralisme intégralement développé pourrait reprendre ce projet historique à son compte et sur des bases enfin réalistes et efficaces. Or sur ce point, l'optimisme de Fukuyama est manifestement total. « Le caractère ouvert des sciences contemporaines de la nature — écrit-il — nous permet de supputer que, d'ici les deux prochaines générations, la biotechnologie nous donnera les outils qui nous permettront d'accomplir ce que les spécialistes d'ingénierie sociale n'ont pas réussi à faire. À ce stade, nous en aurons définitivement terminé avec l'histoire humaine parce que nous aurons aboli les êtres humains en tant que tels. Alors commencera une nouvelle histoire, au-delà de l'humain. » […]
On imagine sans peine l'étonnement d'un Adam Smith ou d'un Benjamin Constant devant un tel dénouement philosophique. Cet étonnement n'est, cependant, pas très différent, en fin de compte, de celui que Gorgias aurait certainement éprouvé en rencontrant Calliclès, son fils spirituel le plus talentueux. À ceci près, naturellement, que Calliclès ne devait son existence philosophique qu'à la puissance logique de Platon, tandis que Fukuyama et ses milliers de clones idéologiques sont à présent aux commandes du monde où nous vivons.
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Sous ce rapport, les différentes pathologies de l'ego — qu'il s'agisse de la volonté de pouvoir manifestée en tant que telle, ou de ses multiples formes dérivées, comme, par exemple, le besoin pathétique de devenir riche ou célèbre — doivent apparaître pour ce qu'elles sont : l'effet d'une dépendance non résolue à des histoire d'enfance, dépendance qui conduit invariablement un sujet à envisager sa propre vie comme l'occasion d'une revanche personnelle à prendre (manière de voir mutilante, puisqu'elle transforme automatiquement cette vie en carrière, pathologiquement structurée par le désir de parvenir, ou tout simplement par la nécessité de vivre perpétuellement en représentation).
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