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Critique de lbvander2


Ce livre, comme le précédent d'ailleurs (*), est construit en arabesque ou, si l'on veut, comme un kaléidoscope. Chaque phrase (et même chaque mot) est un « sujet » qui pourrait faire l'objet d'un développement ; un lecteur trop pressé risque de passer à côté de nombreux faits à percevoir et de non moins nombreux sujets à approfondir. Ce livre requiert donc beaucoup de lenteur et d'attention.
Les quatre lignes que vous venez de lire en appellent quatre autres dont la symétrie met en relief une similitude frappante entre le livre sur le voyage et le voyage lui-même. Si dans les quatre lignes qui précèdent on remplace « lecture » par « voyage » et « lecteur » par « voyageur », voici ce qu'on lit : Tout voyage est construit en arabesque ou, si l'on veut, comme un kaléidoscope. Chaque étape (et même chaque moment) du voyage est un « sujet » qui pourrait faire l'objet d'un développement ; un voyageur trop pressé risque de passer à côté de nombreux faits à percevoir et de non moins nombreux sujets à approfondir. Tout voyage requiert donc beaucoup de lenteur et d'attention.
« La marche n'est pas une simple thérapeutique mais une activité poétique qui peut guérir le monde de ses mots. » Bruce Chatwin, cité par Franck Michel, qui ajoute : « Et pourquoi pas une activité politique qui pourrait guérir le monde de ses maux ? »
Voici les principaux chemins que nous propose l'auteur pour désorganiser le voyage…
Non aux marchands de rêves et d'exotisme.
Non à tous ceux qui vivent « de l'incapacité des voyageurs-touristes à se gérer eux-mêmes. »
Non à l'organisation sans faille de nos loisirs de nos voyages et … de nos vies.
Non à la consommation et aux consommateurs « conditionnés et lobotomisés. » Il est grand temps de « faire l'éloge du voyage désorganisé. » « La furie consumériste du monde aura-t-elle raison des derniers voyageurs ? » « Les tours opérateurs sont des entrepreneurs et non pas des éducateurs, ils cherchent à faire des affaires pas à enseigner la philosophie. »
Non à la déréalisation. Il faut entrer en résistance contre l'industrie du voyage qui convoque plus souvent « la tradition que l'histoire, la culture que la politique, la géographie que l'économie. Plutôt le terroir idéalisé que la réalité sociale, plutôt l'autre imaginaire que l'autre tel qu'il est. »
Pourtant, (il réitère sa mise en garde) : il ne faut pas céder à la tentation du manichéisme ! le tourisme n'est pas a priori méprisable et le voyage noble. Mieux vaut un touriste modeste et discret qu'un voyageur arrogant qui se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Contrairement à la conquête – on se souvient des croisés exaltés, des conquistadors sanguinaires, des missionnaires sectaires – le voyage est porteur d'un message de paix. « Paraphrasant Churchill à propos du régime démocratique on peut dire que le voyage est la forme la moins pire de rencontres entre cultures différentes. »
Voyager c'est être disponible ! « On ne rencontre jamais autant de gens que lorsqu'on est disponibles pour eux. »
Voyager « sans guide c'est fermer un livre pour mieux s'ouvrir à la réalité sociale qui entoure le voyageur. »
Le voyage « permet à tous de réapprendre à désapprendre. Pour mieux comprendre, pour cesser de prendre. »
Le voyage crée du lien social. C'est une (ré)éducation à la citoyenneté. « Primauté de la rencontre. »
Le voyage nous apprend à vivre ensemble en acceptant les différences, sans discrimination. « Nul doute que renverser l'ordre du voyage revient à renverser l'ordre du monde. » Se bouger c'est faire bouger le monde. Il s'agit donc d'accueillir l'Autre pour pouvoir être accueilli par lui et ainsi s'enrichir réciproquement. Malheureusement quand les voyagistes fabriquent un produit touristique ils ne font pas toujours grand cas de l'altérité et de la réalité locale ; quand ils en tiennent compte c'est souvent pour la récupérer et la contraindre à s'adapter à leurs besoins. Si le contenu du voyage (conçu pour cibler la meilleure vente possible) ne rentre pas dans le cadre (le pays, les paysages, la population) les organisateurs ne touchent pas au contenu mais chamboulent le cadre ! Franck Michel, a contrario, dit ceci : « Observer comment les autres vivent, c'est accepter l'idée que le monde est divers ; partager la vie des autres c'est accepter l'idée qu'on peut vivre autrement. » le voyage ne doit pas « folkloriser le patrimoine ! » le patrimoine qu'il soit économique, politique, culturel ou naturel ne doit pas devenir un patrimoine mis en scène pour les touristes. « le bon patrimoine est celui qui est bien (re)donné qui assume et assure la transmission entre les générations. » le voyage désorganisé nécessite une responsabilisation du voyageur lequel doit connaître et comprendre le pays et ses habitants pour éviter d'y faire des dégâts irréversibles et surtout pour que l'échange ait lieu.

L'anthropologue Franck Michel pointe ici toutes les dérives du tourisme et du voyage et ouvre des voies pour que ces deux activités vitales pour l'humanité ne tombent pas aux mains des marchands mais soient promus par de véritables humanistes.
Ces deux essais dépassent le cadre du seul voyage ou plutôt ils l'élargissent… Les propos de Franck Michel nous incitent à résister à toute forme d'aliénation ; la première étant la pression que nous subissons quotidiennement et qui tend à faire de nous des consommateurs : être un bon citoyen ce n'est pas forcément être consommateur ou du moins c'est être un bon citoyen avant d'être consommateur. La seconde est de ne pas céder à la tentation de la grégarité. Choisissons librement et tranquillement notre chemin : il sera peut être très fréquenté ou bien inversement tout à fait désert, qu'importe, pourvu que nous le choisissions nous-mêmes. Enfin, que nous soyons sédentaires ou nomades nous ne sommes jamais seuls ; si le voyageur immobile n'a aucun paysage nouveau à découvrir il aura toujours les autres à connaître et à comprendre…
« Il faut se lever pour mieux s'élever », nous dit Franck Michel. Et pour finir, il écrit : « le voyage c'est d'abord du bonheur. À vivre pour soi et à partager. Pour mieux vivre ensemble. » Tout au long de ces deux « petits grands » livres on découvre avec l'auteur que le bonheur est un produit composite ; on y trouve le bien-être moral et matériel bien sûr mais aussi et surtout la quête de la vérité, le désir de liberté et le respect de son prochain. Vouloir être libre, vouloir connaître, vouloir comprendre, vouloir aimer sont les désirs qui fondent le bonheur… et le voyage.
Dés que l'on met un pied hors de chez soi pour marcher sur les chemins, que ce soit le sentier de proximité ou la longue route, il faut avoir à l'esprit deux objectifs : rester libre et chercher la vérité. On sait que les « marchands » font tout pour acheter notre liberté et qu'il modèle la vérité en fonction de leurs besoins ; c'est pourquoi nous devons affirmer haut et fort (et surtout montrer) que notre liberté n'est pas à vendre et nous acharner à chercher partout la vérité. Voyager dans le monde (et dans la vie !) c'est refuser toute organisation qui nous bride et déforme la réalité.
À ce propos, on peut relire avec profit le loup et le chien, (La Fontaine, Livre I, fable V). le loup, désireux de mettre fin à ses errances pour trouver enfin tranquillité et bonne chair accepte de suivre le chien jusqu'au moment où un « détail » lui pose problème. Voici la fin de l'histoire …

Chemin faisant il vit le cou du chien pelé.
Qu'est-ce là lui dit-il ? Rien ! Quoi rien ? Peu de chose !
Mais encor ? le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ! dit le loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours mais qu'importe ?
Il importe si bien que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maitre loup s'enfuit, et court encore.

À bon entendeur, salut !

GB

(*) La marche du monde (oct. 2012) et Éloge du voyage désorganisé (déc.2012.) parus aux Éditions Livres du monde.
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