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Critique de YvesParis


Les études africaines connaissent leurs modes. le renforcement des liens économiques et politiques entre la Chine et l'Afrique en est une. Serge Michel – prix Albert Londres 2001 et ancien correspondant du Monde à Dakar – et le journaliste suisse Michel Beuret ont cédé à la tentation facile de la formule-choc et intitulé leur ouvrage "La Chinafrique". Or, la relation franco-africaine et la relation sino-africaine ne sont en rien comparables. Si la France et l'Afrique ont, après la colonisation, maintenu une relation symbiotique étroite et parfois malsaine, rien de telle dans la relation sino-africaine. Dans un cas, on est face à un véritable système, la Françafrique, fruit d'une longue connivence linguistique, culturelle, politique, financière ; dans l'autre, ce qui frappe, c'est au contraire la diversité des acteurs et des stratégies.

Certes, la politique africaine de l'Etat chinois, quasi-inexistante depuis la Conférence de Bandoeng et la tournée de Zhou Enlai en 1964, a connu depuis dix ans des développements fulgurants. Alors que le Président Hu Jintao et son premier ministre Wen Jiabao multiplient les visites sur le continent , le troisième forum sur la coopération Chine-Afrique (Focca) se tient à Pékin en novembre 2006 et réunit 48 pays (sur 53 au total) et 41 chefs d'Etat ou de gouvernement. La publicité qui a été faite autour de ce sommet, au cours duquel la Chine a promis de doubler son aide aux pays africains et de leur accorder des prêts importants à des taux préférentiels, a largement nourri le soudain intérêt pour la « nouvelle question sino-africaine » .
Certes encore, cette percée chinoise en Afrique coïncide avec la prise de conscience par les dirigeants chinois de leurs immenses besoins énergétiques. En 1996, la Chine devient importatrice nette de pétrole ; en 2005, elle est le deuxième importateur au monde devant le Japon et derrière les Etats-Unis. Rien d'étonnant dès lors à ce qu'on retrouve les grandes entreprises pétrolières chinoises en Angola, au Nigeria et plus encore au Soudan où elles profitent de l'embargo des Occidentaux. Parallèlement, les Chinois pillent le bois d'Afrique centrale sans considération pour les équilibres écologiques.
Pour autant, on ferait fausse route en croyant que la Chine poursuit en Afrique une politique cohérente qui accoucherait d'un système semblable à la Françafrique foccartienne. Antoine Kernen – qui est un rare spécialiste de la Chine à s'être intéressé à un sujet traditionnellement traité par les seuls africanistes – a raison de dénoncer cette lecture paranoïaque de la percée chinoise qui croit deviner derrière la présence économique et humaine croissante des Chinois sur le continent l'exécution soigneusement planifiée d'une politique expansionniste. « Il est nécessaire, dit-il, de déconstruire cette catégorie par trop globalisante de ‘Chinois en Afrique' » Des travaux de terrain pointus, menés par des géographes, des sociologues ou des anthropologues, dévoilent la variété sinon l'impréparation des parcours des immigrants chinois. Sylvie Bredeloup et Brigitte Bertoncello ont ainsi étudiés les migrants chinois au Sénégal et au Cap-Vert et en tirent la conclusion que : « La diaspora chinoise essaime un peu partout dans l'ensemble régional africain sans programmation arrêtée de ses parcours migratoires, sans stratégie élaborée »

Rédigé dans un style journalistique très alerte, l'ouvrage de Michel & Beuret nous fait certes rencontrer ces nouveaux colons « des forêts menacés du Congo aux karaokés du Nigeria, le long des pipelines du Soudan et des chemins de fer d'Angola ». Mais l'accumulation de ces récits, aussi vivants soient-ils, contredit le projet du livre sans même réaliser cette contradiction. Nulle part la Chinafrique n'apparaît ; nulle part voit-on Pékin – où les auteurs ne semblent guère s'être rendus que pour assister, à distance respectueuse, au Focca de novembre 2006 avant d'aller interviewer, aux fins fonds du Sichuan, la mère d'un ouvrier chinois kidnappé au Nigeria qui n'avait rien à leur dire – se lancer « à la conquête du continent noir ».
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