L'herbe est-elle toujours plus verte dans le pré du voisin ?
Non, ce n'est pas un sujet de dissertation, mais une interrogation insistante dans la vie des insatisfaits que nous sommes ; c'est le thème principal de ce recueil de huit nouvelles d'
Alice Michel (Christophe Chomant éditeur, Rouen). Comment gérer ses choix d'existence lorsque notre histoire nous remet en présence de nos anciennes amours, et que s'instille cette tentation gênante de rêver que notre vie eût pu être différente (« Une seule vie ») ; l'irruption d'un désir laissé en friche qui vient troubler une existence tranquille et ordonnée au détour d'une séance chez le kiné (« Contre-transfert ») ; du désir au besoin, du plaisir à l'assouvissement : le délicieux enfer de l'addiction aux rencontres furtives, dont on croit toujours qu'elle sera la dernière… (« Après, j'arrête ») ; le dialogue en miroir entre deux amies, perturbé par le petit jeu de séduction partagé avec un regard masculin, la dialectique du désir amoureux et de l'évidence d'une maternité incongrue qui s'annonce (« deux amies ») ; le négatif de l'amour fidèle, le doute et la jalousie qui mine les plus fidèles amours («Fidélité à la carte ») ; le fruit amer et excitant de l'infidélité, celle dont on rêve et que la réalité remet à sa place, entre la revendication d'un droit à la « part d'ombre » et la règle que l'on se fixe, que l'on ne veut ni ne peut rompre, celle de la fidélité. (« Au bord du chemin») ; et puis, il y a le rituel, celui de l'internet et de ses rituels où l'on fantasme sans risques, dans l'anonymat , où l'on peut choisir son partenaire, ici Rodrigue, une jeune Corse bien élevé et amateur de copiera brésilienne. de quoi échapper quelques heures, pendant la sieste de bébé, aux contingences de la vie rangée ; et puis, l'ultimatum : le rdv précis, presque obscène au pays des fantasmes : un horaire, une chambre d'hôtel et l'impératif « à prendre ou à laisser » ; pauvre Rodrigue : cette irruption du réel dans le rêve tue le plaisir, il n'y a plus qu'à tout effacer, sans laisser de traces ! (« Exit») Mais la souffrance du manque reste là : aucun plaisir ne saurait combler son désir ; aucune issue, ni la déception, ni l'extase ne pourront résoudre. La sagesse d'une aïeule d'être « honnête envers elle-même » ne l'arme pas davantage. La décision n'appartient qu'à elle : répondra-t-elle à l'appel de l'Être ?
Ces récits sont courts, écrits dans une langue simple et bien plus claire que mon synopsis ! J'ai honte d'être un écrivain quand je lis l'aisance et la légèreté du style d'
Alice Michel : du grand art qui me fait rougir de mes gros sabots !
Rien n'est dit d'avance, tout est suggéré, au lecteur de faire l'appoint. Et quel plaisir de ne pas savoir au bout du compte s'il s'agit d'histoires indépendantes qui s'entrecroisent, d'un plaidoyer lyrique pour la liberté d'aimer, ou de la parole d'une seule et même femme, l'écrivain elle-même…
Va savoir !
« L'Âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. »