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Alexandre Vialatte (Traducteur)
EAN : 9782070378401
384 pages
Gallimard (25/05/1987)
3.95/5   4662 notes
Résumé :
Le jour de son arrestation, K. ouvre la porte de sa chambre pour s'informer de son petit-déjeuner et amorce ainsi une dynamique du questionnement qui s'appuie, tout au long du roman, sur cette métaphore de la porte. Accusé d'une faute qu'il ignore par des juges qu'il ne voit jamais et conformément à des lois que personne ne peut lui enseigner, il va pousser un nombre ahurissant de portes pour tenter de démêler la situation. À mesure que le procès prend de l'ampleur ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (233) Voir plus Ajouter une critique
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sur 4662 notes
Le Procès est une sorte de farce douce-amère à visée philosophique. Franz Kafka n'est pas si loin, avec son Procès, de l'esprit de Voltaire et cette farce pince-sans-rire nous pose, avec beaucoup de gravité, les deux questions suivantes :
Qu'est-ce que la culpabilité ?
Qu'est-ce que la loi ?

De mon point de vue, on s'inscrit pleinement dans une démarche philosophique, même si le versant de satire sociale ne peut être exclu.
Le Procès met mal à l'aise. C'est voulu. Il nous oblige à prendre position. C'est voulu également.

Nul ne peut prétendre avoir tout compris, tout vu, tout senti de cette oeuvre tellement particulière. Sur cent lecteurs du Procès, vous aurez cent (voire plus) interprétations fort différentes des mêmes passages.

Cela vient pour une part de l'écriture même de Kafka, une sorte d'écriture onirique, qui s'apparente à la réalité, sans jamais en être, exactement comme dans le processus mystérieux de nos rêves ou de nos cauchemars. (J'y vois d'ailleurs une nette parenté avec la fin d'Alice au Pays des Merveilles et ne serais pas surprise qu'elle ait inspiré ce livre.) Des situations occlusives, obstruées, sans issue, loufoques, où l'on est tombé en croyant dur comme fer avoir gardé le contrôle de bout en bout et d'où l'on sort, sans davantage savoir pourquoi ni comment.

Cela provient aussi de l'histoire propre et de la genèse de l'oeuvre, non achevée, non destinée à être publiée en l'état et d'ailleurs publiée contre l'avis même de l'auteur qui, mourant, s'était opposé à la publication de ses travaux en cours. Certains liens peuvent donc sembler manquer, mais ce n'est absolument pas dommageable pour la lecture car l'un des effets d'écriture de Kafka est justement de distiller adroitement des informations incohérentes ou non corrélées qui sèment le trouble à dessein.

Nous voici donc aux prises avec un homme, Joseph K., fondé de pouvoir dans une banque, qui, un beau matin, voit arriver chez lui deux gaillards, qui lui stipulent qu'il est arrêté. Lui est innocent, du moins, c'est ce qu'il dit. Mais l'est-il vraiment ? Pour quel motif est-il arrêté ? Nul ne le dit, mais " La Loi ", le sait, et ses voies sont impénétrables, elles aussi. Son procès commence mais nul ne sait où, pourquoi ni comment, ni sur quels documents ni qui en sont les acteurs judiciaires.

Franz Kafka décrit le lent processus d'aliénation mentale que crée cette situation d'incertitude, de non-dits, d'annonces contradictoires, d'attentes interminables confrontées aux démons de la solitude.

On a, après la mort de Kafka et à la lueur des événements survenus dans les grandes dictatures communistes, interprété le Procès comme prémonitoire à ce genre d'excès. Ce n'est pas le parti que je prends, et je crois qu'on a beaucoup surinterprété certains aspects du roman en en occultant d'autres, même si je comprends le parti pris politique et le trouve défendable.

Je crois surtout qu'on néglige beaucoup l'humour contenu dans cette oeuvre bien que, de prime abord, elle ne viennent pas tout de suite à l'esprit comme un livre drôle, et pourtant. de même, on n'interprète pas ou peu, ou dans un sens bien obscur, le rôle et le comportement des femmes dans le Procès.

Pourquoi quasiment toutes les femmes plus ou moins désirables s'amourachent-elles toutes de K. lorsqu'il est accusé et ne semblaient-elles pas le faire avant ? L'une d'elle, Leni, fournit une explication peu plausible qui nous questionne furieusement : " Lorsqu'un homme est arrêté et accusé, il devient plus beau. " Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Que cherche à nous dire Kafka ? Peu loquace sont les commentateurs sur ce point...

Non, ce qui a retenu l'attention c'est surtout le questionnement d'ordre métaphysique que propose Kafka, et c'est vrai que là, c'est du lourd. Dans l'une des scènes, K., pour assurer sa défense, s'ingénie à rechercher toutes les actions qu'il a commises avant son arrestation.

Ce passage en particulier me paraît très intéressant car qui, parmi les innocents que nous sommes ou que nous croyons être, peut regarder l'ensemble de ce qu'il a fait et se dire qu'il n'a jamais été coupable de quoi que ce soit envers qui que ce soit ?

L'autre axe fort du roman, notamment au travers du seul chapitre publié du vivant de l'auteur, Dans La Cathédrale, qui met en scène la parabole du gardien et de la forteresse Loi, nous interpelle sur ce qu'est la loi. La loi dit-elle toujours la vérité ? Prend-elle toujours le parti du juste ? Qui fait la loi ? Pour qui ? Qui connaît la loi ? etc. Autant de questions qu'il est troublant de se poser et que le Procès nous oblige à nous poser.

Je ne peux pas dire que la lecture m'ait toujours enthousiasmée mais il est indubitable que ce livre nous questionne jusques aux tréfonds de nous-même avec une force suffisamment rare pour être qualifiée d'exceptionnelle. Si vous ne vous sentez pas le courage de lire tout ce livre, les deux chapitres vraiment très forts, que je vous conseille absolument, pour des raisons différentes, sont celui intitulé Début de L'Instruction et celui intitulé Dans La Cathédrale.

En somme, tout ceci concourt à faire de ce livre bizarre, dérangeant, iconoclaste un incontournable, mais tel n'est là que mon avis, ne m'en faites pas procès car il ne signifie sans doute pas grand-chose.
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Sa langue était l'allemand, sa religion le judaïsme, sa passion : la littérature. Franz Kafka (1883-1924), qui devait croupir pendant des années dans l'état de salarié d'une compagnie d'assurance commerciale qui lui faisait faire des actes qu'il désapprouvait, surtout quand ils n'étaient pas en accord avec la morale ou la simple humanité, passait ses temps libres, souvent solitaires, à écrire, mais il souhaitait cependant ne rien laisser venir au grand jour de son oeuvre, désir que, fort heureusement, son ami le poète Max Brod allait refuser d'exaucer.
J'avais entre quinze et seize ans lorsque j'ai lu le procès et il m'en est resté des souvenirs ineffaçables en même temps qu'une attirance plus ou moins consentie pour cet écrit qui peut faire peur et troubler en même temps qu'il nous ouvre les yeux sur la réalité des relations entre administrés et administrations, relations où l'administré se trouve placé toujours dans une position d'infériorité, fort humiliante face à des agents administratifs qui regardent leurs interlocuteurs comme des pions anonymes et qui tirent leur force de ce qu'ils détiennent, s'ils désirent accéder à ce genre d'informations, des dossiers qui peuvent leur révéler ce qu'ils veulent savoir sur les personnes qui viennent leur présenter leurs requêtes. Or, le héros du roman, Joseph K., est justement dans cette situation d'impuissance et de dépendance dês lors qu'apprenant qu'il a affaire à la justice pour des faits dont il ignore tout et qui pâtit lourdement de se trouver dans cette situation jusqu'à devenir victime au quotidien d'une obsession d'autant plus inquiète qu'il estime être innocent et n'avoir rien à se reprocher alors qu'il voit se tourner vers lui les regards de gens indifférents à son problème, incrédules, voire soupçonneux. Même quand on a de la compassion pour lui et même si certains sont prêts à l'aider, ils ne peuvent rien eux non plus et se heurtent comme lui à un mur. Cela va jusqu'à l'absurde, et c'est bien d'absurde qu'il s'agit, et cependant cet absurde a quelque chose d'objectif en ce qu'il décrit l'absurdité de nos vies quand, dans la confrontation avec une administration, surtout devant les instances juridiques, on se trouve réduit à n'être qu'un numéro -celui d'un dossier traité parmi des milliers, voire des millions d'autres, ce qui nous réduit à n'être plus qu'un objet et non plus un sujet, encore moins un sujet agissant. À la limite pourrait-on tolérer un sujet obéissant, mais l'on préfère encore plus un sujet qui se contente de subir silencieusement ce qui lui arrive parce que c'est la loi et la "logique (illogique et injuste mais imparable) des choses". Joseph K. refuse cet état de choses, il a sa manière à lui de réagir, de contester, de s'insurger (sans faire toutefois trop de vagues), mais c'est son souci de savoir qui est en soi une révolte et un acte subversif aux yeux de l'autorité et de l'opinion, comme s'il était totalement vain, et celui qui se rebelle est gênant en ceci qu'il ne se laisse arrêter par rien dans cette quête, premier pas vers la tentative de justification et de réhabilitation, combat pour se disculper et pour rétablir la vérité et son honneur qui finalement n'est jamais entièrement satisfait, parce que la justice n'est décidément pas de ce monde. Oui, Monsieur Joseph K. cessez donc de demander à avoir accès à votre dossier et à le consulter, car l'on ne sait même pas où il se trouve : comment voulez-vous qu'on le sache, que l'on sache où le chercher puisque l'on ignore justement où il a fini par arriver. Contentez-vous de savoir que vous êtes accusé et que cela est arrivé. Et d'ailleurs, tout le monde le sait, à quoi bon vous battre, à quoi bon soulever des montagnes de dossiers. Cela ne pourra rien changer.
Je ne vais pas décrire la fin de ce roman, ouvrage inquiétant qui nous oblige à nous poser les bonnes questions : ne sommes-nous pas concernés nous aussi, chacun pour son compte ? Ce livre est-il réaliste ? Nous montre-t-il le "monstre aveugle" auquel nous remettons nos identités, dans l'oppressante mainmise où il nous maintient tous, isolément aussi bien que collectivement ?
Y a-t-il là-dessous quelque adhésion à un fatalisme dostoïevskyen ? À chacun de trouver la réponse qui lui semblera la plus juste.
Reste que ce livre, même s'il paraît insupportable, ne vous lâche pas : vous en terminez la lecture, et vous en sortez troublé, et marqué à jamais.

François Sarindar

Souvenirs et impressions laissés par une lecture bien lointaine.
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L'une des choses les plus nuisibles à notre cher Kafka est l'interprétation toute faite. le plaisir que prennent certains à coller des étiquettes du genre roman philosophique, ou roman à thèse aux oeuvres de Kafka et surtout ce fameux roman "Le Procès".

Ainsi, je vais vous présenter comment j'ai lu "Le Procès" de Kafka.

D'abord, le Procès est la description minutieuse d'un cauchemar. Un personnage se retrouve tout-à-coup, et malgré lui, dans une situation qu'il ne peut changer, il visite des lieux étranges, prend à la légère sa situation délicate, rencontre des filles à son chemin et ces dernières tombent dans ses bras facilement. Il est au centre de tout ce qui se passe, tout le monde le connait et l'épie curieusement! Les circonstances les plus sérieuses se marient aux plus burlesques, et Kafka continue son majestueux travail de narrateur qui se joue de son lecteur en affectant le sérieux. Comme dans un cauchemar, on est hanté par une force majeure qui nous conduit là où elle veut, ici la force d'un tribunal que le personnage ne peut que s'y soumettre minablement. Comme dans un cauchemar, les lieux sont étranges; un tribunal qui n'a rien d'un établissement réel.

Ensuite, le Procès doit se lire comme un roman! Un roman original qui s'inscrit dans l'histoire littéraire du roman et non dans l'histoire des idées. Kafka n'est pas un philosophe, ni un moraliste. Aussi ne faut-il chercher ici ni satire de totalitarisme, ni critique de l'injustice, ni représentation de la bureaucratie, ni une leçon de morale contre la sexualité et l'indifférence de K. (du moins à mon avis). le Procès est une oeuvre littéraire et s'explique par la littérature. Un roman qu'on lit avec passion; on suit ce Joseph K. (non pas Kafka, mais (K)auchemar) et par la magie kafkaïenne (et non pas kafkologique, en référence à ces clichés qui tournent autour du "personnage" de Kafka) on prend au sérieux certains événements, et l'on croit que les choses suivent un cours logique (surtout les comportements de K. vis-à-vis son procès et son accusation et les remarques des autres personnages et leurs conseils). Mais le récit n'est pas qu'angoisse et malaise (partagés entre lecteur et héros), K. trouve des moments d'évasion pour oublier un instant son procès omniprésent; avec cette scène où il voit pour la première fois le lieu où va se passer son procès, ces hommes, ces femmes et cette petite fille, cette scène d'amour burlesque au cours de l'audience! et ses flirts avec les filles.

Par ailleurs, on constate la solitude de K. au milieu de cette foule de personnages qui ne peut l'aider, son indécision voire contradiction, sa révolte secrète (étouffée avant de se montrer) et sa condition pitoyable. Et ainsi comme dans "Le Désert des Tartares" le temps passe et l'affaire devient plus difficile jusqu'à l'ultime fin qui atteint le sommet de l'ironie dans l'attitude de K.

Si on veut parler de scènes intéressantes il faut citer tout le roman! Kafka a cet art de présenter le monde en rêve, en métaphore onirique!
Mais chacun peut y voir ce qu'il veut en tant que lecteur et opter pour toutes ces interprétations qui pullulent partout (au détriment du sympathique Kafka et au bonheur des kafkologues).

P.S. L'un des meilleurs livres sur Kafka est celui de Kundera "Les testaments trahis".

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Kafka, auteur cafardeux ?

Qui est cet écrivain, l'un des plus connus au monde, aux identités multiples, juif, tchèque, autrichien, germanophone, bisexuel, qui laisse à la postérité cet adjectif “kafkaïen” ?

On peut définir ce terme comme absurde et oppressant, à distinguer de “ubuesque” qui fait plutôt référence à quelque chose de grossier et grotesque, à l'image du personnage d'Alfred Jarry ou encore d'orwellien, bien que la société Kafkaïenne préfigure quelque part le totalitarisme dépeint par Georges Orwell.

“Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde” Milan Kundera.

On entend que Kafka est un “classique” et à mon oreille, classique prend en littérature le contrepied total de son acception commune, moi j'entends disruptif, inédit, actuel et complet.

La lecture de Kafka est malaisante. Son style est aride, et sans doute plus encore dans cette dernière traduction de Jean-Pierre Lefèbvre moins littéraire que celle de Alexandre Vialatte, et l'histoire est assez décousue, ce qui est sans doute voulu pour partie, mais gardons à l'esprit que nous n'avons pas un livre dans sa version finale, publié avec l'aval de l'auteur mais un manuscrit inachevé, dont les chapitres ont été juxtaposés de façon posthume. Enfin, l'atmosphère est véritablement oppressante, les lumières poussiéreuses, le manque d'air, les amphigouris de ses interlocuteurs, on ressent le trouble physiologique du personnage principal. Comme le soulignait Milan Kundera, le personnage est constamment le nez dans le guidon, jamais nous n'accédons à ses souvenirs, à une forme de recul sur sa vie, les évènements en cours sont sa seule préoccupation, son seul stress, un peu comme un animal en cage mono-sujet, ce qui rend aussi pour le lecteur l'expérience éprouvante, contempler l'abime d'un problème auquel nous croyons pouvoir faire face sans savoir comment et ne jamais s'en extraire, même en pensée, c'est une tyrannie insupportable qui nous ferait bientôt rejoindre l'espérance de vie d'une souris de laboratoire !

“L'absurde est partout” Rémy de Gourmont. L'absurde, courant littéraire dont les principaux représentants se situent après la Seconde Guerre mondiale, de Beckett à Camus, est également dans l'ADN de Kafka qui compose certainement son texte autour de 1915. C'est la première pensée qui vient au lecteur, incrédule, à la lecture du Procès. On essaye de rationaliser, on se dit que l'on est dans l'onirique, que c'est juste un cauchemar, et il y a quelques indices en ce sens, des ellipses dans la mémoire du personnage des portes qui s'ouvrent littéralement sur des scènes invraisemblables sans que personne ne s'en émeuve, un érotisme pour le moins insolite…

On entre de manière progressive, d'abord ça étonne, ça prête même à sourire, puis on est un pris d'ennui, ensuite de vertige, et au final on finit par toucher l'absurdité terrifiante et totalitaire de la condition humaine (les grands mots…). On se retrouve balloté, face à une réalité implacable qui n'a aucune considération pour l'individu, la singularité, où rien n'a d'importance. Dans l'ignorance des motifs et des lois, l'arbitraire finit par s'imposer à l'accusé qui lui même en vient à accepter et se résigner à sa condition dans une forme de déterminisme macabre face à la machine d'Etat, au rouleau compresseur de l'administration, monstre sans tête, quelques années seulement avant les horreurs des bureaucraties fascistes, qui doivent encore nous interroger sur nos propres institutions.

A cet égard, la scène au cours de laquelle le peintre explique les principes juridiques du Procès est particulièrement éclairante, révoltante et drôle aussi. Il y a toute une réflexion sur la justice, la loi, et peut-être aussi une conception morale, une forme de parabole de l'intolérance des sociétés, qui produisent des coupables sans crimes, à l'image du racisme, de l'antisémitisme ou de l'homophobie. Quand on est tenu responsable du seul fait d'être soi, alors c'est la dignité humaine qu'on atteint, jusqu'à son paroxysme à la fin du livre.

L'inertie du sujet, en l'occurrence du personnage de Joseph K. agace, on veut le secouer, sa façon de prendre toutes les péripéties qui lui arrivent comme étant entendues, de ne rien remettre en cause ou si peu, de faire montre d'une telle crédulité et sans pourtant avoir à faire à des gens menaçants ou violents, ni même hauts placés…

Cette docilité est peut-être le fruit des observations sociales de Kafka, l'écrivain a été témoin au cours de sa vie professionnelle d'assureur, de nombre d'accidents du travail. le juriste spécialiste de droit social Alain Supiot rapporte les propos de l'écrivain qui déclarait, stupéfait, à propos des ouvriers blessés : “comme ses hommes-là sont humbles, au lieu de prendre la maison d'assaut et de tout mettre à sac, ils viennent nous solliciter”. Ce “nous” c'est les assureurs qui ne pourront pas grand chose face à l'injustice crasse, les déficiences grossières des employeurs et la mauvaise foi d'une bureaucratie qui fera tout pour ne pas les indemniser.

Alors, face à une telle soumission, est-ce que Kafka n'essaye-il pas justement de réveiller son lecteur de la même manière que le lecteur voudrait réveiller le personnage de K ?

C'est-à-dire, nous dire à nous lecteurs, dans nos vies, ceux et celles qui se dressent devant nous, tentent de nous dominer, ne sont grands que parce que nous sommes petits, ils sont le plus souvent de petits subalternes, comme nous, ils ne peuvent rien nous faire véritablement si nous osons remettre en cause tout ce qui, parce que pompeux, parce qu'institutionnel, semble entendu comme une oppression méritée, mais qui n'en reste pas moins profondément absurde… Les institutions sont les adjuvantes d'un système de domination de l'homme par l'homme, cela malgré les gardes fous, le rapport de force entre un individu et les institutions est profondément inégal. On se retrouve, obéissant chacun à une fiction collective que par notre silence nous renforçons, y compris contre nous-même et finalement on se retrouve dans la déréliction. La liberté n'est pas chose qui s'octroie, on ne peut pas l'attendre, pour les plus infimes choses de nos quotidiens, et à trop vouloir faire “bon genre”, pas se faire remarquer, et être conciliants avec ceux qui ne le sont pas, on se fait écraser, il ne faut pas avoir peur à un moment donner de déplaire, un peu… comme disait l'écrivain suisse Fritz Zorn “Je crois que si la volonté de ne pas déranger est si néfaste, c'est précisément parce qu'il est nécessaire de déranger. Il ne suffit pas d'exister il faut aussi attirer l'attention sur le fait qu'on existe (…) quiconque agit dérange.”

Ainsi, la lecteur de Kafka ne devrait pas nous amener au découragement, à une crédulité de “bonne volonté”, comme écrivait Hannah Arendt à propos de l'auteur tchèque. Mais au contraire, les rouages et engrenages du “pays légal” sont crûment mis à nu, et ce texte peut participer, avec d'autres, à re-motiver intellectuellement les citoyens dans un élan humaniste, démocratique et réformateur d'institutions possiblement cancérigènes, y compris chez nous, en France.

Qu'en pensez-vous ?

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Il y a maintenant plus de quarante années, je me souviens avoir mis un temps très long à lire le procès!
Comme le calvaire absurde, sans fin et cauchemardesque de Joseph K., je n'en finissais pas.
Kafka, d'ailleurs, ne l'avait pas achevé le procès!
Que c'était long et pénible, jusqu'à ce que la fin de ma lecture ne se précipite!
Je me suis retrouvé, parfois, dans ces rêves au long cours dont on a du mal à sortir.
Le film d'Orson Welles me replongea, avec ses gammes noires grises et blanches, dans ce Procès qui ne quittait pas ma mémoire.
Un jour, je repartiras dans le procès avec Joseph K.
Un tel livre, on y revient.

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critiques presse (2)
BulledEncre
20 avril 2016
Une BD à vous faire bouillonner le cerveau (et ça fait du bien).
Lire la critique sur le site : BulledEncre
Sceneario
16 février 2016
Le dessin de Clod, très ligne claire, est très réussi. Pas besoin d'en faire trop, pour nous faire comprendre les situations.
Lire la critique sur le site : Sceneario
Citations et extraits (192) Voir plus Ajouter une citation
— Maître, si vous saviez comme nous sommes mal payés, vous nous jugeriez moins sévèrement. J'ai une famille à nourrir et Franz que voici voulait se marier ; on cherche à s'enrichir comme on peut et on n'y arrive pas en travaillant, même si on se tue à la tâche. Votre linge est fin et j'ai été tenté : bien sûr qu'il est interdit aux gardiens d'agir de la sorte, j'ai mal agi ; mais c'est l'usage que le linge revienne aux gardiens, il en a toujours été ainsi, croyez-moi ; d'ailleurs ça se comprend, car quelle importance peut encore avoir ce genre de choses pour qui a le malheur d'être accusé ? [...] Nous sommes punis parce que tu nous as dénoncés. Sinon, il ne nous serait rien arrivé, même si on avait appris ce que nous avions fait. Est-ce qu'on peut parler de justice ? Tous les deux, mais surtout moi, nous sommes depuis longtemps de bons gardiens ; avoue toi-même que, du point de vue de l'administration, nous avons bien fait notre service ; nous pouvions espérer une promotion et sans doute aurions-nous bientôt été nommés bastonneurs comme lui, qui a eu la chance que personne ne le dénonce, car ce genre de dénonciation est effectivement très rare. Et maintenant, maître, tout est perdu, notre carrière est terminée, on nous assignera des tâches encore plus subalternes que celle de gardien.
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- Mais l'obtention d'un deuxième acquittement n'est-elle pas plus difficile que l'obtention du premier?
- On ne peut rien dire de net en la matière, dit le peintre. Vous voulez sans doute dire que la deuxième arrestation joue contre l'accusé, dans l'opinion des juges? Tel n'est pas le cas. Cette arrestation, ils l'ont prévue dès le prononcé de l'acquittement. Lorsqu'elle intervient, cela ne change pas grand-chose. Il existe en revanche d'innombrables autres raisons susceptibles de modifier l'humeur des juges et leur appréciation juridique de l'afaire; c'est pourquoi les efforts qu'on déploie pour obtenir un deuxième acquittement doivent être adaptés à ces données nouvelles et, généralement, être tout aussi énergiques que la première fois.
- Mais ce deuxième acquittement n'est toujours pas définitif, dit K. avec un signe de tête qui disait déjà non.
- Bien sûr que non, dit le peintre. Le deuxième acquittemnent est suivi d'une troisième arrestation, le troisième acquittement d'une quatrième arrestation, et ainsi de suite. C'est ce qu'implique la notion même d'acquittement apparent.
K. ne répondait rien. Le peintre poursuivit:
- Manifestement, l'acquittement apparent ne vous semble pas avantageux. Peut-être que l'atermoiement vous conviendra mieux. Voulez-vous que je vous explique ce qu'est l'atermoiement?
K. fit signe que oui. Le peintre s'était carré bien à son aise sur son siège, sa chemise de nuit était largement ouverte; il y avait glissé une main, qu'il passait sur sa poitrine et sur ses flancs. Il débuta comme s'il cherchait des yeux l'explication vraiment pertinente:
-L'atermoiement... L'atermoiement consiste en ceci que le procès se trouve perpétuellement cantonné dans sa phase la plus humble. On n'y arrive qu'à condition que l'accusé et celui qui l'aide, mais surtout ce dernier, demeure constamment en contact personnel avec le tribunal. Je le répète, cela exige une dépense d'énergie moindre que l'obtention d'un acquittement apparent, en revanche cela exige une attention beaucoup plus grande. Il
n'est pas question de perdre le procès de vue, il faut se rendre auprès du juge compétent à intervalles réguliers et, de surcroît, en de certaines occasions; si l'on ne le connait pas personnellement, il faut faire jouer sur lui l'influence de juges qu'on connaît, sans pour autant renoncer à lui parler directement. Si on ne néglige rien en ce sens, il y a de fortes chances pour que le procès ne dépasse pas cette première phase. Certes, le procès ne s'arrête pas, mais l'accusé est tout aussi à l'abri d'une condamnation que s'il était acquitté. Par rapport à l'acquittement apparent, l'atermoiement présent l'avantage que l'avenir de l'accusé est moins incertain; il est préservé des affres d'une soudaine arrestation et il n'a pas à redouter d'avoir, aux moments les plus mal choisis par rapport à ses autres préoccupations, à fournir les efforts et à supporter les émotions liés à l'obtention d'un acquittement apparent.
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K. (...) ne tenait plus maintenant à ce que tout le monde applaudisse, il lui suffisait que la conscience générale soit alertée et médite l'affaire et que, de temps en temps, quelqu'un soit emporté par son éloquence. Il enchaîna sur cette idée en disant :
- Je ne recherche pas un succès oratoire. Monsieur le juge d'instruction parle sans doute bien mieux, cela fait partie de son métier. Ce que je veux, c'est qu'il soit parlé publiquement du mauvais fonctionnement d'un service public. Écoutez ceci : j'ai été arrêté voilà dix jours environ. (...) On m'est tombé dessus au petit matin quand j'étais encore au lit ; peut-être avait-on l'ordre d'arrêter quelque artiste-peintre aussi innocent que moi, mais c'est tombé sur moi. La pièce voisine de ma chambre a été occupée par deux gardiens grossiers. Si j'étais un dangereux malfaiteur, on n'aurait pas pu prendre de plus grandes précautions. De plus, ces gardiens étaient des canailles dépravées, qui m'ont rebattu les oreilles pour que je leur graisse la patte, qui ont cherché à me subtiliser sous de fallacieux prétextes mon linge et mes vêtements, qui ont prétendu m'extorquer de l'argent pour me procurer un petit déjeuner, alors qu'ils venaient sous mes yeux de s'approprier froidement le mien. Mais ce n'est pas tout. On m'emmena dans une troisième pièce, devant un inspecteur. C'était la chambre d'une dame pour qui j'ai beaucoup d'estime et je n'ai pu empêcher qu'à cause de moi, mais non par ma faute, cette chambre soit en quelque sorte souillée par la présence de ces gardiens et de cet inspecteur. Il n'était pas facile de garder son calme. J'y suis néanmoins parvenu et j'ai demandé à l'inspecteur (...) pourquoi j'étais arrêté. Que croyez-vous qu'ait répondu cet inspecteur, que je vois encore comme s'il était devant moi, installé sur la chaise de ma respectable voisine comme une vivante image de l'arrogance la plus stupide ? Eh bien, messieurs, il n'a au fond rien répondu ; peut-être qu'il ne savait vraiment rien ; il m'avait arrêté et cela lui suffisait.
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Il ne fait pas de doute que tous les agissements de ce tribunal (ainsi, dans mon cas, l'arrestation et la présente instruction) dissimulent une vaste organisation. Une organisation qui n'emploie pas seulement des gardiens corrompus, des inspecteurs et des juges imbéciles dont le mieux qu'on puisse espérer est qu'ils soient modestes, mais qui entretiennent de surcroît des magistrats de haut rang, voire du plus haut rang, avec tout un train innombrable et inévitable d'huissiers, de greffiers, de gendarmes et autres subalternes, peut-être même des bourreaux, je n'ai pas peur du mot. Or quel est, messieurs, le sens de cette vaste organisation ? C'est d'arrêter des personnes innocentes et d'engager contre elles des procédures absurdes et généralement (...) sans résultat. Face à une telle absurdité de tout l'appareil, comment éviter que tous les fonctionnaires succombent à la pire corruption ? C'est impossible, le premier magistrat de la hiérarchie n'y parviendrait même pas pour son propre compte. Voilà pourquoi les gardiens cherchent à dépouiller de leurs vêtements les personnes arrêtées, pourquoi les inspecteurs pénètrent par effraction chez des inconnus, pourquoi des innocents, au lieu d'avoir droit à un interrogatoire, sont traînés dans la boue devant des assemblées entières. Les gardiens ont seulement parlé de dépôts où l'on placerait ce qui appartient aux personnes emprisonnées, je serais curieux de voir ces dépotoirs où pourrissent les fruits d'un labeur acharné, quand ils ne sont pas dérobés par des employés voleurs.
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C'est naturellement très préjudiciable à la dignité de notre profession et, la prochaine fois que vous vous rendrez au greffe, allez donc jeter un coup d’œil à la salle des avocats, il faut avoir vu cela. La faune qui la hante vous fera sans doute un peu peur. Déjà, rien que la pièce étroite et basse qu'on leur a attribuée montre le mépris que le tribunal porte à ces gens. La lumière n'y pénètre que par une petite lucarne placée si haut que pour regarder à travers (en s’exposant du reste à la fumée d'une cheminée toute proche, qui vous arrive dans le nez et vous noircit le visage), il faut d'abord chercher un confrère qui vous hisse sur son dos. Le plancher de ce réduit (pour vous citer encore un exemple de cette déplorable situation) n'est pas assez grand pour qu'un homme y tombe tout entier, mais assez grand pour qu'on y enfonce toute la jambe. Cette salle des avocats se trouve au second niveau des greniers ; si donc une jambe passe par par ce trou, elle pend au plafond du premier grenier et, plus précisément, du couloir où attendent les justiciables. On n’exagère pas lorsque, dans le milieu des avocats, on qualifie une telle situation de honteuse. Porter plainte auprès de l'administration n'a pas le moindre effet, en revanche il est strictement interdit aux avocats de faire modifier à leurs frais quoi que ce soit dans cette pièce. Mais si on les traite de cette façon, c'est également pour une raison précise. On veut exclure la défense, autant que faire se peut ; tout doit reposer sur l'accusé. C'est un point de vue qui n'est pas mauvais, au fond ; mais ce serait une grave erreur d'en conclure que devant ce tribunal un accusé n'a pas besoin d'avocats. Au contraire, aucun autre tribunal ne rend leur présence aussi nécessaire. C'est qu'en général la procédure y reste secrète non seulement pour le public, mais aussi pour l'accusé.

(GF Flammarion, 2011, traduction de Bernard Lortholary)
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"Une série de féminicides, un tueur, « l'assassin du dimanche ». Des femmes s'organisent, créent un collectif, avec Aurélie, une jeune qui travaille en usine, Jacqueline, une ancienne braqueuse, Anaïs, professeure de philosophie, Stella, mannequin, Louise, une femme de théâtre…"
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