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    fbalestas le 12 juillet 2020
    Voici le second chapitre de la chronique que j'ai faite sur "Les Onze" - deuxième épisode : 

    "Surprise ! Le chapitre trois s’ouvre sur le Tableau des Onze.
    Comme si Pierre Michon ne voulait pas nous laisser partir tout de suite, comme s’il voulait nous montrer qu’il n’est pas étourdi, qu’il n’a pas oublié son sujet, mais qu’il va y revenir. Il nous laisse effleurer le sujet à la page 43 : « Vous les voyez Monsieur ? Tous les onze, de gauche à droite : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Le Grand Comité de la Grande Terreur. » Mais il ne fait qu’effleurer le sujet, pour en revenir à l’autre sujet du moment : son auteur. Pendant que Corentin tente sa chance à Paris, Michon nous livre une définition de l’écrivain, ou plutôt nous explique qu’il n’est pas ce que l’on croit, mais « un esprit – un fort conglomérat de sensibilité et de raison à jeter dans la pâte humaine universelle pour la faire lever, un multiplicateur de l’homme, une puissance d’accroissement de l’homme comme les cornues le sont de l’or et les alambics du vin, une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes ». Merveilleux, non ?

    Corentin tentait – en vain – sa chance d’homme de lettres sous le nom de « Corentin de la Marche », « Corentin fut le fils d’un homme qui choisit les lettres, y sacrifia tout, et que les lettres brisèrent. Un homme à qui les lettres donnèrent tour à tour de l’espérance, de la méchanceté et de la honte. Car s’il arrive que les Limousins choisissent les lettres, les lettres, elles, ne choisissent pas les Limousins. » Ah bon ?

    Le thèse de Pierre Michon est que Dix des personnages représentés auraient bien aimé, eux aussi, connaître la gloire d’« Hommes de lettres ». Tous ont composé quelque chose, à l’image de ce Collot qui fut homme de théâtre, comédien, dramaturge « quelque chose comme un second Molière », mais qui ne joua jamais si bien Shakespeare que le jour où il fit tirer pour de bon sur la foule avec « neuf canons de marine montés de Toulon par le fleuve » et qu’il fit un Macbeth plus vrai que nature. Mais tous avaient tâté des lettres, ou enfin presque tous, mais « cela ne se voit pas, sur le tableau. Car c’est un bon tableau. » Ainsi donc François-Elie aurait mis la figure de son père « sous la forme des onze tueurs du roi, du Père de la nation – les onze parricides, comme on appelait alors les tueurs de roi. »

    Vient alors le chapitre quatre. On souffle un peu, on n’en est pas encore à la moitié de l’ouvrage. Retour à l’enfance à Combleux. Pierre Michon y entonne un chant que l’on connaît bien dans son œuvre : une ode à l’enfance lorsque l’on est pour une mère l’unique sujet de plaisir. « Celui qui n’a pas connu cela ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’est un règne, c’est-à-dire la grâce de tenir à sa disposition et sous sa dépendance non pas des imaginations ou des fantômes, ou ce qui revient au même des corps d’esclaves contraints, comme nous le faisons tous, mais des âmes vivantes dans des corps vivants ». Et dans cette description du paradis perdu – thème cher à de nombreux écrivains – fait des Onze les plus belles pages du récit.

    Bien sûr, il y aura ce mot d’enfant, « trop beau pour être vrai », mais qu’on va citer tout de même puisqu’il donne une définition de ce petit François-Elie alors à peine âgé de dix ans, dans un dialogue imaginé avec sa mère, cette vérité tout crue sortie de la bouche d’un enfant, regardant les bateliers curant le canal, et répondant à sa mère à qui il demande ce que font ces gens-là :
    « Ils refont ce qu’a fait une première fois ton grand-père. Ils font le canal.
    - Ceux-là ne font rien : ils travaillent ».

    Belle définition. Avec ce mot d’enfant, c’est toute la naissance de l’homme en tant qu’individu, de l’homme en tant qu’artiste qui apparaît, et cette croyance est monstrueuse, de même que « l’homme individuel est un monstre, comme disaient dans leurs différentes façons Sade et Robespierre ». Nous sommes à la fin du XVIIIème siècle et la société moderne est en train de naître. Et le chapitre se termine avec la conscience du désir – et sa sensation jumelle qu’est la peur du désir – comme ce sentiment qui envahit l’enfant quand il croise le regard d’un homme qui désire sa mère : « l’enfant qui vous observe, l’enfant qui a tout vu en somme, souhaite passionnément que vous grimpiez le talus et disposiez de sa mère sous ses yeux. Et c’est ce qu’il craint le plus au monde ». Tout est dit, on peut passer au tableau."

    https://www.biblioblog.fr/post/2012/08/21/Les-Onze-Pierre-Michon-Episode-2-:-d%C3%A9sir-de-lettres

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