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EAN : 9782864321101
130 pages
Verdier (09/09/2002)
4.38/5   45 notes
Résumé :
Qu'est-ce qu'un grand peintre, au-delà des hasards du talent personnel? C'est quelqu'un sans doute dont le trop violent appétit d'élévation sociale s'est fourvoyé dans une pratique qui outrepasse les distinctions sociales, et que dès lors nulle renommée ne pourra combler: telle est l'aventure du peintre qui dans ces pages porte le nom de Goya. Ce peut être aussi un homme qui a cru assouvir par la maîtrise des arts la toute-puissance du désir, à ce divertissement noi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Goya, humble et ambitieux, à l'ombre de Velasquez. Watteau, à l'heure de sa mort, révélant et détruisant des peintures de nus et de jouissance, si scandaleusement différentes de ses « petites choses habituelles, (…) petits feuillages, petites marquises, petits zanis… »
Lorentino qui a peut-être égalé son maître, Piero delle Francesca, dans sa dernière toile.

L'invraisemblable capacité de Pierre Michon à faire de la peinture avec ses mots, donnant à voir les tableaux, les peintres et leur talent, et on devient spectateur autant que lecteur. Peinture et littérature intimement mêlées, on ne sait plus ce qui est l'une et ce qui est l'autre. Exploit qui m'avait déjà subjuguée dans « Les Onze ».
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«Qu'est ce qu'un "grand peintre", au-delà des hasards du talent personnel ?»

Dans ce récit publié en 1990, Pierre Michon, comme il l'avait fait pour Van Gogh dans Vie de Joseph Roulin (1988), évoque indirectement trois peintres célèbres, Francisco de Goya, Jean-Antoine Watteau et Piero della Francesca, vus par les yeux de ceux, demeurés anonymes, qui les ont côtoyés : Les possibles témoins de l'ambition de Goya ; Lorentino d'Angelo, obscur disciple de Piero della Francesca rendant une ultime visite à son maître vieillissant et devenu aveugle - ou comment passer de serviteur à maître - ; et le curé de Nogent, à la figure immortalisée par Watteau en Pierrot, spectateur du désir insatiable de peinture et de chair du maître.

«Dans sa jeunesse, ne pas avoir toutes les femmes lui avait paru un intolérable scandale. Qu'on m'entende bien – lui, on ne peut plus l'entendre : il ne s'agissait pas de séduire ; il avait plu, comme tout un chacun, à ces deux, sept, trente ou cent femmes qui à chacun sont imparties, selon sa taille et sa figure, son esprit. Non, ce dont il enrageait, dans la rue, dans les coulisses et les échoppes, à la table de tous ceux qui l'accueillirent, chez les princes et dans les jardins, partout enfin où elles passent, c'était de ne pouvoir arbitrairement décider de disposer d'une, épouse du mécène, fillette ou vieille catin, de l'index la désigner, qu'à ce geste elle vint et tout aussitôt s'offrît, et que la jetant là ou l'emportant ailleurs, tout aussitôt il en jouît. Qu'on m'entende encore : il n'était pas question de les y contraindre, qu'une loi ou quelque autre violence les y contraignît ; non, mais qu'elles le voulussent comme il les voulait, indifféremment et absolument, que ce désir leur ôtât tout discours comme à lui-même il l'ôtait, que d'elles-mêmes enfin elles courussent au fond du bois et muettes, allumées, sans le souffle, s'y disposassent pour qu'il les consommât, sans autre forme de procès.»

Avec ses phrases qui ont l'air d'hésiter et se construisent par couches, des mots agencés par un écrivain coloriste en recherche d'absolu, le texte de Pierre Michon semble reproduire les attentes et les gestes du peintre, qui, touche après touche, cherche à atteindre le plus-haut, comme si l'écrivain devait en passer par la peinture pour approcher au plus près l'énigme de sa propre création.

«Je n'ai pas envie de davantage le dépeindre au travail ; qu'on sache seulement qu'il effleurait la toile à petits coups brusques ; qu'il peignait court ; qu'il n'était pourtant pas un pouce de son corps qui ne participât à ce presque rien ; que ses grands mouvements de tout le bras, de tout le jarret, de loin jetés comme pour fouetter violemment la toile et jouir de cet éclat, se résolvaient dans un attouchement furtif, une caresse exaspérée, empêchée : il fomentait dans l'air un paraphe despotique et signait d'une petite croix tremblée ; il préparait une gigantesque gifle et ne posait qu'une mouche sur la joue d'une Colombine»

Habité des désirs futiles et dérisoires d'une petite vie d'homme, visant à la hauteur extrême d'un art sacralisé, à cet instant où «l'art confine à la métaphysique», mais toujours conscient que son art n'est qu'une falsification, le grand artiste est toujours entre-deux, allant de l'un à l'autre, maître et serviteur.

«Elles se demandaient un instant pourquoi il avait choisi de peindre, si peindre à la fois était un pensum et une plaisanterie, le navrait jusqu'aux larmes et le tordait de rire ; pour avoir pignon sur rue et rouler carrosse, pensaient-elles ; peut-être aussi pour souffrir et se moquer de tout, tant l'homme est curieux.»

Pierre Michon, je suis votre serviteur.
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J'ai retrouvé dans cette oeuvre la beauté de l'écriture de Pierre Michon, sa fascination pour les humbles, les petites gens restées dans l'ombre des grands qui permettent de mieux les connaître - comme son texte sur Joseph Roulin, le modèle de van Gogh, tout en restituant une époque dans toute sa sensualité et la beauté de ses femmes.
Mais c'est d'abord le dernier chapitre qui m'a plu, la "vie minuscule" d'un apprenti resté obscur d'un maître du Quattrocento, d'un artiste de la lumière. Car la biographie de Lorentino s'apparente à une vita au sens médiéval, le récit de la vie et des miracles d'un saint. le miracle est d'abord celui de saint-Martin qui selon un paysan aurait sauvé sa vieille mère. C'est ensuite celui d'une femme prête à tout pour son mari malheureux, comme celui d'un père qui trouve de quoi nourrir ses enfants affamés. Mais le miracle est surtout celui de l'art, qui permet à Lorentino de faire un chef-d'oeuvre, un chef-d'oeuvre à sa mesure certes, mais un chef d'oeuvre quand même, celui où il a mis le meilleur de lui même.
Un très beau texte sur le pouvoir de l'art et de la transcendance.
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Pierre Michon écrit, à sa manière, une partie de la vie de trois peintres connus ou moins connus : Goya, Watteau et Lorentino d'Angelo, disciple de Piero della Fransesca. J'écris "à sa manière", car il prend des libertés, indique même dans ses récits que plusieurs interprétations sont possibles et que, notamment sur la vie de Lorentino d'Angelo, il imagine ce qui aurait pu arriver, puisque personne n'a relaté la vie de ce peintre. Ce qui est intéressant dans ce livre, c'est que si vous n'êtes calés ni en peinture ni sur les peintres en question, on a envie d'en connaître un peu plus à l'issue de cette lecture. Et puis, surtout, Pierre Michon a une écriture unique : les phrases sont longues, riches en vocabulaire et en figures de style. Une vraie belle écriture assez classique, dans laquelle, je vous préviens, on se plonge avec risque de ne pas s'en sortir. Une fois entré dans les histoires -un peu moins dans la seconde, celle qui concerne Watteau- on se sent "hypnotisé" par le style, les mots, le déroulement et le français parfait de Michon. Je ne connaissais pas du tout cet écrivain dont j'avais entendu dire énormément de bien. Résultat : je viens de réserver à la bibliothèque municipale son dernier ouvrage, Les onze, dont je vous parlerai dès qu'il sera d'abord en ma possession et ensuite, bien sûr, lu.
Très franchement une des plus belles écritures que j'ai lues récemment, et même moins récemment d'ailleurs !
Lien : http://lyvres.over-blog.com/..
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Cet auteur né en 1945 dans la Creuse s'inscrit dans la lignée de Julien Gracq, ai-je appris. Il n'est pas vraiment sous les projecteurs; son nouveau roman, Les onze, vient de paraître. Et je reconnais chez lui une écriture exigeante et belle comme chez son illustre prédécesseur.

Maîtres et serviteurs est un tryptique qui met en lumière trois peintres de styles fort différents.

Goya avide de reconnaissance sociale au point de choisir comme épouse la soeur d'un peintre plus reconnu, se retrouve face à des tableaux de Velaquez:
" Goya regardait ce qu'il ne pourrait jamais peindre et que pour cette raison il devait désormais peindre. S'il avait voulu se mesurer au plus opaque, il n'avait pas raté son coup: mais qu'il l'eût voulu ou non, c'était fait, cela s'engouffrait et tombait dans la grosse redigote comme cela tomba jadis dans les cuirasses de la Maison d'Autriche; et lui, qui n'avait pas la palette sévillane qui montra comment ça tombe, il devait pourtant le montrer, avec ce qu'il avait, avec la palette aragonaise rafistolée chez les Vénitiens, avec son peu d'entendement et son esbroufe, là où le seigneur sévillan paraissait tout entendre et ne mentir jamais."


Watteau désire que l'abbé de Nogent lui serve de modèle. Pour son Pierrot.
"Cela ne parlait pas, c'était spectre ou imbécile, tout blanc, avec de grosses mains d'homme; derière, des peupliers et des pins d'Italie, un comparse écarlate occupé d'autre chose et les buées bleues de l'ardeur estivale."

Et puis Lorentino, un obscur peintre disciple de Piero Della Francesca, qui dans sa vie pleine de déceptions créa un chef d'oeuvre...



Quel immense bonheur de lecture, quelle superbe découverte! Les phrases sont ciselées, évocatrices, musicales. L'histoire avance sans en avoir l'air, par petites touches, allers et retours. L'émotion nait insensiblement.
Quelle beauté!
Lien : http://en-lisant-en-voyagean..
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Dans cette fin de nuit, sa dégaine m'étonna. Nous n'étions pas encore poudrés à frimas, en ce temps ; on portait la grande perruque, l'habit énorme et la culotte à rubans, basques et manchettes interminables. Dans ce paquet de fringues, la maigreur de mon homme se perdait. J'avais mal dormi peut-être, je trouvai qu'il n'avait pas l'air vrai ; on doutait qu'il y ait eu un corps là-dedans ; mais sous l'amas considérable des cheveux faux, on ne pouvait douter de la véracité du visage que se disputaient le désir de séduire et l'envie plus vertigineuse de déplaire ; cela donnait une figure stupéfaite, fiévreuse, offusquée : je me dis qu'un spectre au lever du jour n'est pas plus satisfait de son sort, et fait peut-être de la sorte bonne figure pour regagner ses lugubres pénates.
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Et dans ce cas, cela apparaissait sur la place d’une ville, avec beaucoup d’âme articulée qui se tenait bien droite, une épée toute d’âme qui fendait un manteau dans un grand silence, un saint maussade et un mendiant maussade, un cheval maussade, et tous les trois ravis infiniment de se tenir maussades et debout ; la clarté raisonnable tombait sur des portiques et devant, une jeune femme passant regardait quelque chose à terre mais ne baissait pas la tête, altière, songeant, maussade, on ne voyait pas ce qu’elle regardait, il n’avait pas peint la grappe de raisins, elle avait les mains ouvertes comme une madone de miséricorde ; et sur la tête, une mitre d’Orient.

(p 127. Lorentino)
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Mais il ne se peut pas qu’elles ne l’aient croisé un jour, poussant une porte par exemple dans une académie, dans un palais où elles avaient pour béguin un peintre de renom qu’elles allaient rejoindre, Mengs, Giaquinto, Gasparini ou un des Tiepolo, ou quelque autre qui n’était pas un de ceux-là mais se prenait pour le meilleur de ceux-là, un bel Italien sec aux cheveux gris et à la main large, avec l’accent qu’ils ont à vous tourner le cœur, aimant les femmes et aimé d’elles, occupé à trouer quelque plafond de ces cieux infinis où plongent des anges avec des chevaux blancs, des nuages d’Italie, des trompettes, il ne se peut pas donc que poussant cette porte le cœur battant, d’une main faisant bouffer leurs cheveux, leur jupe, elles n’aient trouvé derrière, gourd, planté là comme une borne avec ses cartons sous le bras, poupin, ahuri et s’efforçant à sourire, le petit gros de Saragosse ; il ne se peut pas qu’elles n’aient un instant posé leur œil interrogateur, un peu fâché, sur ce lourdaud ; devant elles alors il s’effaçait un peu trop vite, s’inclinait un peu trop bas, il semblait souhaiter par-dessus tout disparaître et pourtant il restait là, mouche du coche et chien battu, à tourner autour d’eux, la comtesse et l’Italien, ne disant rien et roulant ses gros yeux, de tous ses gros yeux regardant dépasser un jupon, jouer une cheville sur le chevalet où s’était posé le pied, et quand le maestro pour en finir daignait jeter les yeux sur le Moïse aragonais ou la Vénus de paseo sortis du carton, les louer peut-être, par goût, par plaisanterie ou pour s’en débarrasser, il courbait encore plus l’échine, semblait près de fondre en larmes et gagnait la porte à reculons, courbette sur courbette ; et il ne manquait pas avant de sortir de regarder encore ce plafond infiniment bleu, émerveillé comme en foire un paysan devant qui des éléphants passent, mais matois, incrédule peut-être, agaçant, et si les grosses lèvres proches de pleurer disaient « quelle merveille, Maître. Un Raphaël, un Raphaël, vraiment », l’œil jaugeait la femme sous la robe, calculait le coût des bottes et des manchettes de l’Italien, et pourtant vénérait passionnément la main large, le savoir-faire dans les ciels et les Saintes-Trinités, la compétence mythologique et la séduction native du peintre à femmes, à académies et à plafonds : car avec tant d’envie et si peu de dons natifs il ne suppliait pas, il ne haïssait pas, il se posait là et attendait son heure, incertain si elle viendrait, patiemment, avec beaucoup de maladresse et autant de panique. (« Dieu ne finit pas »)
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Il ne lui avait pas appris grand-chose, quoiqu’il lui eût tout appris du métier, les ficelles d’atelier et la théorie florentine, comment gâcher le plâtre, délayer dans la chaux les outremers et lire Alberti ; que ce n’est pas la vie, mais l’art, qu’on doit rechercher en peinture ; que les fonds d’or sont à proscrire ; que les scènes de la terre doivent donner forme à l’idée qu’on se fait de celles des cieux ; des bricoles sur le nombre. Cela seul qui compte, il ne le lui avait pas appris ; car ce qui compte ne se transmet pas par des paroles, cela se voit et sans un mot assomme qui le voit comme l’heure de midi (…)

(p 98. Lorentino d'Angelo)
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Non, ce qui est sérieux, ce qu'est peindre, c'est travailler comme sur la mer un galérien rame, dans la fureur, dans l'impuissance : et quand le travail est fini, que le bagne s'ouvre un instant, que la toile est accrochée, dire à tous, princes qui le croient, peuple qui le croit, peintres qui ne le croient pas, que cela vous est venu d'un seul coup, contre votre volonté et miraculeusement en accord avec elle, sans fatigue presque comme un printemps qui vous pousserait au bout des pinceaux, que quelque chose s'est emparé de votre main et l'a portée comme des putti d'un seul doigt tiennent un char, quelque chose qui est Tiepolo revenu, toute la pittura en vous infuse, l'observation de la Nature tant aimée (entendez-vous alors, Madame, ce rire silencieux dans la tête des peintres ?), l'art enfin, ailé comme un ange et facile comme une maja.
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>La peinture et les peintres (832)
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