Rimbaud le fils

Pierre Michon a relu une saison en Enfer d'Arthur Rimbaud. Alors il se décide d'en écrire sa critique Babelio. Elle est trop longue, elle déborde, et va au-delà du nombre de mots autorisés. Il se laisse emporter, il est transporté, il nous parle de Rimbaud de son Rimbaud, comme un Proust pourrait nous en parler, comme une Régine Deforges pourrait nous l'offrir. Il nous donne sa propre littérature, une littérature de peintre, de photographe, de poète. Oh, le gros mot est lâché, de Poète.

Le rôle de la poésie est d'entrouvrir une porte, une porte immatérielle, et, qui, suivant son inclinaison donne sur l'enfer du néant ou la création permanente du jardin d'Eden.
Nous avons le choix, nous sommes libres, libre à chaque instant comme un Arthur Rimbaud , comme un Pierre Michon, libre de choisir sur quel vision ouvre cette porte personnelle.
Rimbaud est le dernier des pères de la poésie, père qui n'a pas de fils, Père sans Fils. Père parce qu'abstrait, (suivant son étymologie latine « séparé de »), une mère c'est trop concret pour Arthur Rimbaud, trop charnel, trop présent, trop aimant de manière concrète et possessive.

Pierre Michon nous offre la genèse d'un père qui n'aura pas de fils, il ne peut s'offrir que lui-même et disparaitre, nous laissant à notre tour libre. Libre de suivre Proust, Deforges, Michon ou de retourner explorer Céline.

C'était ma première entrée en lecture de Pierre Michon.
Et je dis, oui, je vous suis.
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Pierre Michon donne sa propre vision de Rimbaud en tant que poète et celle-ci part du principe qu'Arthur Rimbaud a fait des vers pour ses « pères ».
Pour sa mère Vitalie d'abord quand le poète construit sa technique, puis pour les « pères parnassiens », notamment Théodore de Banville via le « poète raté » qu'était son professeur Izambard qui, après le passage du jeune homme ont « pissé dans un violon » selon P. Michon.
Rimbaud « ravage tout sur son passage » et donne un air de modernité à toute la poésie d'avant, encore engoncée dans le carcan classique du sonnet ou de l'élégie. Rimbaud déplore ses ailes de géant et cette fameuse « Vulgate » ainsi que nomme Pierre Michon, la poésie de Rimbaud. L'auteur intègre des poèmes de Rimbaud par fines allusions, dans ses propres phrases qui retransforment l'oeuvre et en créent une nouvelle.
C'est donc un style très particulier qui rend compte de Rimbaud ici. Il ne manque pas d'un souffle lyrique que l'on sent retenu mais on se dit qu'on va relire Rimbaud et Verlaine, car c'est là que se situe le choc électrique des titans poétiques du XIXe siècle finissant.

Un texte lumineux. Réellement inclassable.
Essai, hagiographie, biographie... C'est tout ceci à la fois. Il faut le lire.

Une écriture exigeante qui peut porter Haut son lecteur si toutefois ce dernier accepte un certain dépassement de lui-même.

Qu'est-ce qui relance sans fin la littérature ? Qu'est-ce qui fait écrire les hommes? Les autres hommes, leur mère, leur étoile, ou les vieilles choses énormes, Dieu, la langue ? Les puissances le savent. Les puissances de l'air sont ce peu de vent à travers les feuillages. La nuit tourne. La lune se lève, il n'y a personne contre cette meule. Rimbaud dans le grenier parmi les feuilles s'est tourné contre le mur et dort comme un plomb."es autres hommes, leur mère, les étoiles,ou les vieilles choses énormes. Dieu, la langue? Les puissances le savent. Les puissances de l'air sont ce peu de vent à travers les feuillages. La nuit tourne. La lune se lève, il n'y a personne contre cette meule. Rimbaud dans le grenier parmi des feuillets s'est tourné contre le mur et dort comme un plomb."
Dans cet essai, Pierre Michon revisite la vie d'Arthur Rimbaud, poète mythique qui a gardé sa part de mystère. Il extrapole à partir de ses poèmes et des écrits qui ont été consacrés au poète pour faire de Rimbaud, le fils de ..., c'est à dire un poète qui a dû exister à côté de personnalités fortes qui l'ont façonné. Rimbaud, c'est le fils de Vitalie Cuif "aux mains noires"la mère, le fils de Geoges izambard, son cher professeur à Charleville, le fils de Théodore de Banville à qui Rimbaud a d'abord envoyé ses poèmes, le fils de Verlaine mais aussi son amant et son compagnon exalté , un fils parmi les autres fils, ces poètes comme charles Cros, fils d'une muse ou du désir impérieux "d'aller au fond de l'inconnu pour y trouver du nouveau" et puis pourquoi pas le fils de son père , capitaine disparu alors que Rimbaud avait 6 ans mais qui s'intéressait à l'islam, annotait le coran et apprenait l'arabe. Cet essai est intéressant mais un peu sophistiqué dans son style. Michon prend ses distances par rapport à la Vulgate (version officielle de la vie de Rimbaud) , il l'aborde avec une certaine ironie, il cherche à saisir une certaine image de Rimbaud, comme s'il cherchait à cerner sa propre image en tant qu'homme et écrivain. Rimbaud a refusé d'être un fils: ni celui de ses oeuvres, ni celui de ceux qu'il rencontra, c'est le rêve rimbaldien , un pur et éternel recommencement. C'est un projet très personnel de Michon comme si il voulait rendre Rimbaud à lui-même, il n'appartient à personne, alors laissons-lui ses zones d'ombre et de non-dits.