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Critique de Delphine-Olympe


Etonnant livre que celui-ci, qui s'interroge sur la création et son rapport au réel en se jouant des codes de la fiction.
L'art contemporain est au centre de ce roman; son héros, Marcos, est un jeune étudiant espagnol en histoire de l'art qui va se trouver au contact de Jacobo Montes, un artiste renommé à l'aura sulfureuse.
Lorsque s'ouvre le livre, Marcos se trouve à Beaubourg, devant une oeuvre de Montes à laquelle il a contribué plusieurs années auparavant. Terriblement énigmatique, cette installation le replonge dans les affres qu'il avait alors connues. Elle supposait en effet la participation volontaire d'un individu choisi parmi les êtres les plus démunis et les plus fragilisés de la société : les immigrés clandestins. L'artiste «engagé» prétendait mettre en lumière l'absence de limite à ce que l'on est réduit à accepter pour survivre.
Montes demanda alors à un clandestin de s'enfermer dans une caisse pendant une semaine, sans rien à boire ni à manger, avec un orifice juste assez grand pour ne pas le priver d'oxygène, mais suffisamment étroit pour provoquer inconfort et malaise. Bien entendu, il ne sera pas autorisé à sortir pour faire ses besoins...
Chaque jour d'enfermement permettra au jeune homme d'empocher une somme de plus en plus importante, jusqu'à toucher le « jackpot » de 6 000 euros, au terme d'une semaine de cet avilissement volontaire. le tout étant en permanence filmé.
Si Marcos est d'abord flatté d'avoir été choisi pour assister l'artiste, il est saisi d'effroi devant les conditions de la réalisation de l'oeuvre. Au final, le dispositif imaginé par l'artiste suggère inévitablement à l'observateur que le jeune homme a perdu la vie dans l'acceptation de cet intolérable marché. Qu'en est-il vraiment ? Cette question ne cessera de tarauder Marcos, tandis que Montes pose une autre question : quelle différence entre la proposition qu'il a faite au jeune clandestin - accepter des conditions inhumaines et précaires contre de l'argent, et celles qui lui sont faites dans «la vraie vie» ?

Ce que l'on perçoit et le raisonnement qui en découle ont-ils force de vérité ? L'art est-il un miroir de la société ? A-t-il pour vocation de reproduire le réel ? Ou bien produit-il du réel ? L'art est-il et doit-il être moral ? L'évolution ultime de l'art conceptuel peut-il mener à la disparition de l'oeuvre, sa concrétisation devenant une formalité superfétatoire ? Et au bout du compte, quel est le rapport entre l'art et la vie réelle ? Telles sont les passionnantes questions que soulève ce roman.

Mais là où elles prennent toute leur saveur et où le trouble saisit vraiment le lecteur, c'est lorsque Marcos, cherchant à analyser cette expérience, renonce à écrire un essai qui serait pourtant le prolongement logique de son parcours d'étudiant, pour envisager d'écrire un roman, seul moyen selon lui de prendre le recul nécessaire pour appréhender ce qu'il a vécu. le narrateur, par un effet de réflexivité, endosse alors le rôle d'auteur, celui du livre que nous sommes précisément en train de lire...
Lorsqu'on sait que Miguel Angel Hernandez est lui-même un jeune critique d'art et professeur d'art contemporain, le trouble ne fait que s'accroître : quel lien entre lui-même et le narrateur de la fiction que nous tenons entre les mains ? Où commence la création artistique ? Où se place la frontière entre fiction et réalité ? L'effet est tout à fait jubilatoire.
Je ne vous révélerai rien des remerciements placés, de manière très classique, au terme de l'ouvrage. Mais sachez qu'ils revêtent un intérêt inhabituel !

En nous plongeant dans l'univers hermétique et dérangeant des performances artistiques et en jouant avec son lecteur, Hernandez nous fait vivre une expérience tout à fait déconcertante qui fait de ce roman une sorte de performance littéraire. J'ai adoré !

Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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