La fin du pétrole. On ne cesse d'en parler, elle nous pend au nez mais que fait-on pour s'y préparer ? A force de se poser cette question, sans doute pour nous rassurer nous-mêmes, on finit par oublier de passer à l'action.
Carole Mijeon, elle, ne se pose plus la question et n'hésite pas à franchir l'étape suivante en plongeant la France et ici, plus particulièrement, un petit village dans cette ère tant redoutée du no pétrole !
En nous proposant un roman d'anticipation non daté mais qui ne nous semble finalement pas si éloigné de notre époque contemporaine, elle plonge une petite communauté dans cette expérience si angoissante du manque et nous propose d'observer ses cobayes et notamment le personnage de Ludovic, vivant seul dans la maison de ses parents tous deux décédés. Et là, on réalise à quel point l'homme est un drogué perpétuel. Drogué au pétrole, à la surconsommation. Et lorsque l'homme vient à manquer, ressortent alors toutes ses plus profondes angoisses mais aussi son côté sombre. Car pour survivre, il faut finalement accepter de vivre au détriment des autres lorsque la situation l'impose.
Cette pénurie de pétrole plonge cette communauté dans un total chaos qui rappelle étrangement l'époque dramatique de l'Histoire que fut l'exode des français durant la Seconde Guerre mondiale. Entre les routes jonchées de voitures abandonnées sur les bas-côtés, les populations fuyant les villes pour se réfugier dans les campagnes devenues soudainement l'ultime espoir, les « miliciens » recrutés pour assurer la sécurité chaque nuit dans le village ou pour s'assurer du parcage des exilés, tout y est ! Et pourtant l'histoire se déroule bien à notre époque. Pour remonter encore plus loin, il y a des résurgences de l'époque médiévale dans ce roman lorsque l'on envisage d'installer les réfugiés aux portes du village et de les empêcher de gagner le coeur du village (il ne manque plus que les fortifications) ou lorsqu'on organise la lutte contre les « vikings », surnom donné aux petits groupes sans foi ni loi qui pillent et tuent pour survivre. La guerre civile fait ainsi son retour dans cette campagne française complètement déboussolée, comme quoi aucune leçon de l'Histoire ne semble avoir été tirée de notre passé gentiment refoulé, toutes ces années, dans les oubliettes des manuels scolaires au profit de la facilité, du confort offert par le progrès et de l'opportunisme économique.
Ce roman semble d'autant plus d'actualité que les français qu'on découvre au fil des pages n'ont rien à envier à ces réfugiés qui fuient la Syrie et ces pays en guerre qu'on aimerait pourtant bien ignorer. le problème, c'est que là, ces réfugiés sont des français comme vous et moi et l'on constate que, même si le postulat s'avère différent, les conséquences et les arguments pour ne pas aider son prochain se révèlent être les mêmes, preuve de l'hypocrisie humaine face au malheur d'autrui. On en vient à espérer que jamais une nouvelle guerre n'arrive en France car on ne ferait pas mieux que nos ancêtres… ou plutôt si, on ferait sans doute pire.
Carole Mijeon n'oublie pas non plus la confrontation entre partisans de la mondialisation et altermondialistes. Mais le constat semble plus mitigé que ce que l'on veut bien nous faire croire dans les médias. Si tout le monde est bien conscient que la mondialisation nous mène droit dans le mur, l'auteur ici nous démontre qu'une autre alternative n'est pas si simple à mettre en place, faute d'y avoir réfléchi activement voire sérieusement lorsqu'il en était encore temps. On aboutit alors au terrible constat : on sait ce que l'on perd mais l'on ne sait pas ce que l'on trouve, et c'est d'autant plus flippant car on est déjà demain.
Voilà le terrible constat que Ludovic fait en observant, tout au long du roman, ceux qui l'entoure mais également en prenant conscience des terribles pensées qui l'assaillent journée après journée. Même si il reste encore un peu d'espoir (on aime le lien qui se crée entre lui et sa vieille voisine, Agathe), le monde se transforme sous ses yeux et, malgré ses résistances, sa lâcheté parfois et son profond dégoût, il va devoir renoncer lui aussi et accepter de devenir ce qu'il a toujours refusé d'être. Au bout de 30 jours, il va, en effet, connaître malgré lui une initiation qui lui fera comprendre qu'il est désormais devenu un autre car il n'avait plus le choix. Mais je ne peux vous en dire plus car ce serait vous gâcher la fin de cette description terriblement réaliste de notre monde actuel.
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