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Critique de Nastasia-B


On en parle désormais à toutes les sauces, partout, pour tout et tout le temps, même quand le sujet s'y prête le moins — récemment j'ai vu un documentaire pour enfants qui traitait des corsaires et de la piraterie au XVIIIe siècle, domaine où je crois pouvoir hasarder sans trop me tromper que les femmes ne jouaient pas un rôle fondamental ni décisif, eh bien les auteurs, pour coller à l'air du temps, se sont sentis obligés d'aller farfouiller loin, loin, loin dans les archives, de retourner toutes les vieilles mottes afin de parvenir à dégoter les deux seules nanas connues dans les annales de la flibuste, femmes dont on ne sait d'ailleurs à peu près rien, si ce n'est qu'elles ont existé, un peu comme il existe des femmes à barbe mais qui, je crois, là encore, sans trop de risque de me tromper, ne sont pas spécifiquement le coeur de cible lorsque l'on évoque la clientèle des barbiers. Bon, bref, c'est devenu la tarte à la crème.

Eh bien malgré cela, malgré ce battage médiatique de tous les instants, malgré ce revirement subit de l'ombre épaisse à l'aveuglante lumière soutenue par de puissants projecteurs (jusqu'à l'overdose, parfois, et, souvent, sans trop de soucis d'à-propos), la question du féminisme et de son histoire, de ses figures historiques et de ses promoteurs, etc. auxquels on accorde à présent tant de place dans les débats de tout type, je trouve que l'on est (collectivement) très injuste, très ingrat, très amnésique vis-à-vis de celui que chaque féministe devrait connaître et révérer quelque part dans son coeur, vis-à-vis de celui qui a eu les couilles, — et chers messieurs, sachez que ça n'est pas ici une insulte ou une taxation de machisme, bien au contraire — en un temps et une époque où ça n'était ni la mode ni dénué de risque, d'aborder publiquement la question de la place faite aux femmes dans un monde dominé exclusivement par les hommes.

De tout temps et en tout lieu, on sait qu'on n'est jamais si bien servi que par soi-même : ainsi les causes des minorités sont le plus souvent et majoritairement défendues par des représentants de la minorité en question. Je ne vais pas commencer à en dresser la liste car elle serait lourde et infinie mais vous voyez ce que je veux dire, je pense.

D'où, là encore, l'injustice et l'ignominie de ne pas célébrer à sa juste valeur, nous toutes qui devrions, en rangs serrés, applaudir grandement et avec force « viva ! » celui qui, en tant qu'homme dans une société d'homme, a eu le courage de plaider notre cause avec à la fois talent et conviction, une attitude qui, ne faisant pas partie lui-même de la minorité pour laquelle il s'exposait, est d'autant plus remarquable, d'autant plus noble et d'autant plus rare. J'ai nommé, le grand, le très grand, le gigantesquissime John Stuart Mill.

On sait que le combat pour l'émancipation des femmes, dès le XVIII et surtout à partir du XIXe siècle, doit beaucoup aux intellectuels anglais, parmi lesquels on peut sûrement citer des écrivains notoires tels que Samuel Richardson, par exemple (qui évoquait la double peine de la violée qui OSAIT porter plainte devant les tribunaux et qui se trouvait le plus souvent, non seulement huée, abandonnée par sa famille et sa communauté religieuse mais — sans quoi ce n'est pas drôle — le plus souvent condamnée tandis que son violeur était relaxé quand il ne touchait pas des dommages et intérêts) ou encore l'inénarrable Charles Dickens, qui a fait la part belle à des héroïnes maltraitées dans la société farouchement machiste et patriarcale de son temps. Mais celui qu'on ne remerciera jamais assez, qu'on ne célèbrera jamais à la place qu'il mérite, pour la force, pour la vaillance, pour la pertinence de ce qu'il a fait, c'est bien lui, John Stuart Mill.

(On me permettra simplement de mentionner, côté français de la Manche, un autre grand oublié parmi les penseurs, à la fois lorsque l'on évoque les Lumières et lorsque l'on débat de féminisme, et qui n'est autre que Marivaux. On le cantonne aux petites pièces bouffonnes et sans trop de portée que l'on fait encore étudier au lycée ici ou là alors que, dès 1729 — c'est notable —, il écrivait une pièce fantastique sur la question du sort réservé aux femmes et qui devait faire réfléchir la gent masculine, à savoir sa pièce La Colonie — fin de la parenthèse, pour celles ou ceux que cela intéresse, vous pouvez vous y reporter.)

Quand on se documente moindrement sur ce qu'était la position de la femme dans la société de 1869 (sachant que l'Angleterre était, de surcroît, l'un des pays les mieux lotis au monde — et de loin — sur cette question, c'est tout dire) on mesure l'étendue du chemin parcouru depuis 150 ans, malgré ou en dépit de toutes les injustices, de tous les fardeaux qui se maintiennent et qui perdurent dans cette quête sans cesse vacillante, sans cesse contestée, dans cette lutte interminable et au résultat toujours incertain dont l'enjeu est la reconnaissance et le respect véritable de l'égalité Hommes/Femmes.

Mill a donc écrit cet essai au soir de sa vie. Il en donne d'ailleurs plus ou moins la raison. Cette conviction était ancrée en lui depuis probablement fort longtemps, mais le fait d'avancer de tels arguments pouvait considérablement lui nuire dans le monde dans lequel il évoluait. Il a donc attendu de ne plus rien avoir à prouver ni à attendre de ses semblables pour lancer cette petite bombe, un peu à la manière de Darwin dix ans plus tôt avec son Origine Des Espèces, qui lui aussi avait retardé longtemps la publication de son brûlot, de peur des conséquences…

C'est donc un essai en quatre gros chapitres, que j'aurais plus volontiers appelés " parties " si j'avais eu à les nommer. Dans le premier chapitre, l'auteur dresse le bilan de la position de la femme dans la société, notamment vis-à-vis du droit et constate qu'elle est ravalée au rang de mineure.

Dans le second chapitre, il examine la position de la femme dans le couple vis-à-vis de son mari et de l'institution du mariage et nous décrit un statut très comparable à celui d'une esclave.

Le troisième chapitre intercède dans la légitimité qu'auraient les femmes à accéder à tous types de métiers et enfin, le dernier chapitre présente les bénéfices pour la société qu'apporteraient l'égalité Hommes/Femmes.

J'ai été littéralement enthousiasmée par les deux premiers chapitres, particulièrement édifiants et bien argumentés. Un vrai exemple de pensée positive et d'intelligence où l'angle d'attaque selon le droit et par de judicieuses comparaisons produit admirablement son effet.

J'ai été en revanche moins convaincue par les deux derniers chapitres, plus spéculatifs et moins tranchants à mon goût d'où mes quatre étoiles seulement sur l'ensemble de l'ouvrage.

Toutefois, je tiens à saluer, avec toute la force, la reconnaissance et l'admiration qui conviennent, cet ouvrage et cet homme, haut perchés dans mon panthéon personnel des ouvrages et des penseurs majeurs, que je conseille à tous, hommes comme femmes — plus hommes que femmes, même —, pour secouer un peu la pulpe qui est sédimentée au fond de chacun de nos crânes paresseux. Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, un avis de femme qui plus est, c'est-à-dire, aujourd'hui comme hier, bien peu de chose, comme le chantait si bien James Brown (𝄞♭♫ This is a man's world...♬♪).
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