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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Jupiter's Circle Volume 1 (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 1 à 6 de la deuxième saison, initialement parus en 2015/2016, écrits par Mark Millar. Wilfredo Torres a dessiné les épisodes 1 et 6, ainsi que 10 pages de l'épisode 2. Chris Sprouse a dessiné 5 pages de l'épisode 3, et assuré les croquis des épisodes 2 à 5. Walden Wong a réalisé les finitions sur les épisodes 3 à 5 David Gianfelice a dessiné 7 pages de l'épisode 2. Rick Burchett a dessiné 6 autres pages de l'épisode 2. Karl Story a encré 5 pages de l'épisode 3. Ty Templeton a réalisé 9 pages de l'épisode 5. Les couvertures principales ont été réalisées par Bill Sienkiewicz.

Utopian (Sheldon Sampson) emmène sa femme Jane effectuer un piquenique sur Europe, l'une des lunes de Saturne. Pendant ce dîner en amoureux, son ouïe hyper sensitive lui permet de détecter un bruit. Laissant sa femme Jane à l'abri dans une bulle d'air, il va explorer et découvre un artefact d'origine extraterrestre. Pendant ce temps, Grace (Liberty) désespère de trouver un homme qui la supporte. Même en jetant son dévolu sur un marin en permission, elle n'arrive pas à ses fins. Il ne lui reste plus qu'à faire comme d'habitude : prendre une pile de livres et aller bouquiner en solitaire sur une plage ensoleillée.

À Berkeley en 1965, George Hutchence (Skyfox) a une discussion avec Jack Kerouac et William S. Burroughs. Il évoque son errance à travers les États-Unis, Kerouac déplorant l'absence d'Allen Ginsberg. Hutchcence commence à prendre conscience du caractère égoïste de son comportement. En 1967, Utopian rencontre John Rockefeller junior, et fait la connaissance d'Ayn Rand. La même année, Skyfox kidnappe le vice-président, Flare (Fitz) effectue son retour, et Utopian se heurte au racisme répressif du gouvernement.

Le premier tome n'avait forcément laissé une bonne impression, du fait de grosses ficelles apparentes. Mais le premier tome de Jupiter's Legacy (la série principale) est tellement bon que le lecteur éprouvait un pincement au coeur à l'idée de laisser de côté une partie de l'histoire. du coup, la curiosité a raison de sa réticence. Il retrouve exactement les mêmes grosses ficelles. Mark Millar prend bien soin d'ancrer son récit dans L Histoire des États-Unis, dans un souci manifeste et démagogique de plaire le plus possible à son coeur de cible (cette série étant publiée en premier aux États-Unis). le lecteur a donc le droit à l'apparition ou à des références des principales figures de la Beat Generation (Ginsberg, Kerouac, Burroughs), et de l'autre côté du spectre social et politique à Rockefeller et Rand (auteure de la grève : Atlas shruged, roman développant le concept philosophique d'objectivisme). Il retrouve également les grosses ficelles de la comédie dramatique, avec des personnages mal dégrossis.

L'intrigue tourne majoritairement autour de l'apparition d'autres êtres humains dotés de superpouvoirs grâce aux inventions technologiques du docteur Jack Hobbs (un décalque assez transparent de Lex Luthor, dans sa période homme d'affaire et inventeur) et d'une forme de prise de conscience sociale des différents membres de l'équipe de superhéros Union, à des degrés divers. le lecteur découvre à la fin que ce récit appelle vraisemblablement une troisième saison. Il n'est pas très confiant quand il se rend compte que malgré toute la préparation et la planification, il a fallu 2 dessinateurs principaux et 3 secondaires pour venir à bout de 6 épisodes. Ce n'est généralement pas un bon signe quant au degré d'implication des personnes concernées. C'est encore plus inquiétant quand il s'agit d'une histoire relativement courte ayant une place de premier rang dans les oeuvres de Mark Millar.

Le lecteur se souvient que dans le premier tome, Wilfredo Torres n'avait pas non plus dessiné les 6 épisodes. Il en avait dessiné 4 et Davide Gianfelice avait dessiné les 2 autres. le lecteur apprécie quand même que Mark Millar ait réussi de persuader Bill Sienkiewicz de réaliser 6 couvertures, toujours aussi expressionnistes (c'est toujours ça de pris). Wilfredo Torres dessine dans un registre concret et descriptif avec un bon niveau de simplification, comme s'il souhaitait que ses dessins puissent être facilement lus par des enfants, ou de tout jeunes adolescents. Dans le cadre du présent récit, ce mode de représentation un peu épuré vise à l'intemporalité. Il s'agit de donner une apparence datée et plus gaie pour coller à l'époque de la fin des années 1950 et du début des années 1960, pour évoquer une forme d'âge d'or. Il s'agit d'une esthétique qui ne pourra pas se démoder car elle évoque déjà un passé révolu.

Les pages de Torres présentent une apparence un peu simple, mais pas simpliste. Certes sa Tour Eiffel est simpliste, mais derrière des traits qui semblent avoir été tracés avec désinvolture, l'artiste établit des décors, des détails, des personnages avec une apparence spécifique, des gestes mesurés. L'esprit du lecteur se retrouve partagé entre des dessins facilement assimilables (comme s'ils s'adressaient à des enfants) et une narration visuelle compétente et dense, capable de porter la complexité du scénario et tous les éléments requis. Wilfredo Torres donne l'impression de dessiner à la manière des artistes des comics des années 1940 ou 1950, mais en fait il compose des pages plus facilement lisibles, des dessins plus épurés, tout en conservant une forme d'émerveillement devant ces individus capables de prouesses extraordinaires. Seules les scènes de dialogue laissent un peu à désirer en termes de prises de vue, avec souvent une alternance de visages en train de parler.

Comme dans le premier tome, le lecteur ne peut que regretter que Wilfredo Torres n'ait pas tout dessiné, surtout dans le cadre d'une minisérie où il est plus facile de gérer le planning de publication. Fort heureusement, les 4 autres artistes (Chris Sprouse, David Gianfelice, Rick Burchett et Ty Templeton) se coulent dans le moule graphique établi par Torres. Ils respectent la moyenne de 4 cases par page, pour encore ajouter à l'impression de surface de simplicité. Ils épurent les décors sans pour autant les sacrifier. Ils continuent de représenter les superhéros comme s'ils s'agissait d'individus avec une bonne musculature (mais sans relever du culturisme) et costumes prêtes du corps, sans être totalement moulants. Dans la mesure où Walden Wong assure la majeure partie de l'encrage, il y a une forme d'unité de représentation, sauf pour les 9 pages dessinées par Ty Templeton qui s'encre lui-même avec des traits plus insistants.

Pour cette deuxième saison (en réalité la continuation directe des épisodes précédents), Mark Millar poursuit dans la veine de la comédie dramatique qui n'était pas entièrement convaincante. Il saupoudre ces épisodes avec un peu d'action, mais pas vraiment de supercriminels, comme dans le tome précédent. Il n'y a que le docteur Jack Hobbs qui agit ouvertement contre les superhéros pour les anéantir, avec la même motivation que Lex Luthor : supprimer ces individus qui rendent dérisoires les efforts des êtres humains normaux (un véritable copier-coller des motivations de Luthor).

Pourtant alors que ce mélange semblait entièrement factice dans le premier tome et aboutissait une histoire convenue, dans celui-ci, le lecteur se rend compte que ça fonctionne mieux (même s'il n'est pas dupe du choix artificiel des ingrédients). Certes les personnages historiques sont intégrés essentiellement sous forme de référence expéditive plus pour leur valeur de popularité que pour leurs concepts. Néanmoins cela suffit pour rendre compte de l'évolution des mentalités dans la société, et de celle de ces individus dotés de pouvoirs extraordinaires. Il est vrai qu'il vaut mieux être familier avec le concept de l'objectivisme pour saisir la pertinence de la présence d'Ayn Rand, puisqu'elle n'apparaît que le temps de 2 pages.

Le récit devient également plus pertinent en termes sociaux, car cette évolution est en phase avec la prise de conscience de l'opinion américaine et avec l'évolution des valeurs de la nation. de manière tout aussi appréciable, la comédie dramatique gagne également en qualité. le lecteur attentif sait que le couple principal du récit est amené à se séparer (c'est indiqué dans Jupiter Legacy), mais il ne connaît par les raisons de cette séparation. Elles font l'objet du dernier épisode, et Mark Millar révèle une sensibilité qu'on ne lui connaissait pas.

Cette deuxième saison de Jupiter's Circle déconcerte le lecteur. Les créateurs utilisent exactement les mêmes ficelles que dans le premier tome. Wilfredo Torres assure moins de la moitié du récit, mais il a posé des bases graphiques respectées par les autres artistes. Il compose des dessins d'apparence très simple, tout en portant une narration complexe. Mark Millar a recours à tous ses trucs et astuces usuels, mais ils s'agrègent de manière cohérente procurant une profondeur et une sensibilité inattendues, faisant vivre les personnages, les montrant comme un produit de leur époque.
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