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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dans un témoignage nommé « le vrai drame de l'enfant doué », Martin Miller règle ses comptes avec sa mère. Il lui reproche d'avoir écrit des bouquins où elle prône une certaine forme d'éducation bienveillante alors que lui-même n'a jamais pu en profiter. C'est assez ironique mais il est rare de pouvoir développer certaines idées sans en chier, sans s'être senti tenaillé par la contradiction entre le vrai et l'idéal. Remontons un peu le temps.


L'enfance d'Alice Miller a été particulièrement traumatisante. Née au sein d'une famille juive en Pologne, elle s'échappe du ghetto où elle a toujours vécu à l'âge de 17 ans pour séjourner dans la partie aryenne de Varsovie. Elle change alors de nom et prend une identité polonaise pour cacher ses origines. Elle réussit à sauver quelques membres de sa famille en leur donnant de faux passeports. Sa jeunesse se déroule dans la crainte d'être démasquée, trahie et déportée. Cette crainte ne l'a ensuite jamais quittée et elle a érigé un mur de silence pour se protéger. Les questionnements de son fils, témoins de sa curiosité naturelle, auraient sans doute pu être attendrissants pour une autre femme mais pour elle, ils prirent la forme d'attaques. Martin avait beau être son fils, il ressemblait aussi à tous les persécuteurs auxquels elle avait essayé d'échapper.


C'est bien de ce sujet dont parle ici Miller : de la manière dont la violence se transmet de génération en génération faute de pouvoir être dite. La violence est aussi transmise par la société et son système de dressage et de répression des besoins fondamentaux de tendresse. Cette violence est toutefois considérée comme secondaire puisque si un foyer aimant permet de guérir ces blessures, elles ne deviendront pas dévastatrices et permettront de conserver la foi. La promesse d'un amour inconditionnel semble fondamentale. Quels adultes sont toutefois encore assez disponibles pour ne pas voir s'interférer entre eux et leurs enfants les séquelles d'anciens traumatismes ou la pression sociale à devenir quelqu'un, en compensation de frustrations et d'humiliations anciennes ?


Miller considère que « l'individu n'est pas en mesure de retrouver en lui-même sans aide extérieure les traces de cette répression ». Elle propose donc la psychanalyse pour revenir à la source de cette violence originelle : « C'est comme un homme à qui l'on aurait imprimé une marque dans le dos et qui, sans l'aide d'un miroir, ne pourrait jamais la découvrir. La situation analytique est une de celles qui présentent cette sorte de miroir ». Il s'agit de permettre la représentation mentale de la violence ou du manque d'amour éprouvés, pour que l'émotion qui lui est liée remonte en surface. Il s'agit de rompre la malédiction de la transmission de la douleur psychique qui, lorsqu'elle n'est pas reconnue, demande à se trouver une nouvelle victime qui, à son tour, devra en trouver une autre, lorsqu'elle ne se retourne pas, parfois, directement contre soi-même.


« Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, ce n'est pas le traumatisme en lui-même qui rend malade mais le désespoir total, inconscient et refoulé de ne pouvoir s'exprimer au sujet de ce que l'on a subi, de n'avoir pas le droit de manifester de sentiments de colère, d'humiliation, de désespoir, d'impuissance ni de tristesse, ni même le droit de les vivre ».


Alexander Lowen, le disciple de Reich, reconnaissait aussi que la plupart des dépressions étaient causées par une intériorisation intense des émotions destructrices, si bien que lorsqu'il demandait à ses patients de défoncer un fauteuil avec une raquette de tennis, ils se trouvaient comme deux ronds de flan osant à peine tapoter le tissu du bout du tamis. L'objectif que vise Miller comme tant d'autres n'a pas seulement une portée individuelle : en restituant à l'individu la capacité de se révolter contre ce qui suscite chez lui de la colère ou de la tristesse, on peut espérer qu'on parviendra petit à petit à désamorcer la puissance totalitaire des institutions.


« le drame de l'individu bien élevé réside dans le fait qu'une fois adulte il ne peut pas savoir ce qui lui a été fait, ni ce qu'il fait lui-même, s'il ne s'en est pas aperçu tant qu'il était enfant. Des foules d'institution en profitent et en particulier les régimes totalitaires. »


Finalement, Martin n'a peut-être pas bien lu les bouquins de sa mère. Il semble en effet qu'elle ne se propose pas vraiment de décrire l'éducation idéale (trois boulots impossibles selon Freud : éduquer, gouverner, psychanalyser) mais plutôt les moyens d'en exorciser les scories. Avec la parution de son bouquin dénonciateur, en exprimant toute sa rancoeur, Martin n'a finalement fait que suivre les préceptes de sa petite maman.
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Dans une première partie, Alice Miller décrit la « pédagogie noire » et ses conséquences.
Elle cite beaucoup d'extraits de livres sur l'éducation des enfants de la deuxième moitié du 19ème siècle.
Ces livres préconisaient de se faire respecter de l'enfant, de lutter très tôt, dès les premiers mois de sa vie, contre sa nature capricieuse, indolente, quitte à user de châtiments corporels.


Je ne résiste pas à l'envie de vous livrer l'extrait suivant, que je ne saurais vous situer précisément dans le temps, entre 1850 et 1950.
Il s'agit d'un père, troublé d'avoir battu son enfant, qui va chercher réconfort auprès du pasteur. Celui-ci lui dit :

« […] Et vous avez également eu raison de donner une bonne correction à ce petit cabochar. Dans six mois d'ici, il ne l'aura pas oublié. Si vous ne l'aviez frappé que très légèrement, non seulement cela n'aurait servi à rien pour cette fois, mais par la suite, il vous aurait fallu toujours le battre, et l'enfant se serait habitué aux coups de sorte qu'à la fin ils lui auraient été complètement indifférents. C'est comme cela qu'en général les enfants se moquent complètement d'être battus par leurs mères ; c'est que celles-ci n'ont pas le courage de frapper assez fort. […] »


Bien sûr, il ne faut pas oublier d'indiquer à l'enfant qu'il ne doit pas se plaindre du traitement subi, il ne doit même pas être malheureux puisque : c'est pour son bien.

L'enfant, qui ne peut pas perdre l'amour de ses parents, perçu comme vital pour lui, va non seulement se plier aux exigences de ses parents, mais en plus intégrer le système d'éducation qu'il a reçu comme étant le bon système d'éducation. Il va nier sa souffrance, voire oublier complètement les mauvais traitements subis, dans un déni qui lui permet dans un premier temps de survivre.



Dans une deuxième partie, Alice Miller donne trois exemples pour illustrer le fait que cette façon de ne pas respecter les enfants est à l'origine selon elle de la délinquance, des crimes, des guerres et du terrorisme.

On y apprend l'enfance de Christiane F. qui a écrit « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… » , d'Hitler et d'un homme arrêté à 24 ans pour avoir tué des enfants d'une manière horrible.


Il est marquant que les biographes de Hitler minimisent les violences qu'il a subies étant enfant. Ils les justifient même prétendant qu'Hitler était naturellement mauvais.

Et reviens donc la question de l'inné et de l'acquis dans le caractère de l'enfant.



Et même lorsque l'on met de côté les violences physiques, on ne peut que s'interroger sur les humiliations que l'on fait subir, souvent involontairement, à son enfant.
Par manque de temps, par manque de patience, par manque d'envie de me remettre en question, de me poser des questions sur mon enfance et mes acquis, combien de fois me suis-je comporté de manière autoritaire sans aucune raison valable ?



Dans une dernière partie, heureusement, Alice Miller précise que le plus important n'est pas la souffrance vécue dans l'enfance, mais le droit et la possibilité de l'exprimer.

Elle revient sur la notion de culpabilité, inutile et contre-productive selon elle, puisque cette culpabilité se transmet alors à l'enfant.

Elle propose donc dans la prise de conscience des violences (physiques ou psychiques) que l'on a vécues, de faire le deuil de l'enfance heureuse et des parents parfaits que l'on s'est imaginé.



Un peu répétitif, un peu compliqué à lire à mon goût, ce livre me semble néanmoins permettre une prise de conscience.
Au-delà d'une réflexion utile à la vie en commun avec mes propres enfants, il m'incite à penser que l'amour ne s'impose pas, que le respect ne se décrète pas, que l'expression de la colère est bénéfique…
Toutes choses utiles dans les relations avec des adolescents pour qui ces questions sont sensibles.





Une « fable » en musique (et accompagnée du cri des porcs…) :

« L'éducation du corps des porcs
Se fait souvent un peu à tort
Par tradition, au fond des ports
Ce sont de grands hommes gras et forts
Parlant avec l'accent du nord
[…]
C'était un soir de pleine lune
La mer dressée bavait l'écume
Un homme aperçu dans la brume
Sa femme dansant dans la boue brune
Elle était nue et sur la plage
Trois jeunes garçons d'assez jeune âge
Dans un joyeux dévergondage
Se régalaient d'un tas d'outrages
La femme et eux faisaient ménage
Et le mari cria de rage
Brandissant sa main en battoir
Et s'élança sûr de les voir
La lune préférant ne rien voir
S'était cachée dans la nuit noire
Et l'homme fourbu de désespoir
Aveuglement criait victoire
La boue, le sang firent marécage
Et l'homme fourbu tomba en nage
C'est bien plus tard au p'tit matin
Qu'on aperçut au pied d'un porc
L'homme piétiné, raide et bien mort
A ses côtés trois pièces d'étain
A l'effigie des trois gamins
[…]
Proposez-leur un autre sort
Vous serez déçu peut-être à tort
Car ces jeunes gens coucheraient dehors
Pour préserver ce droit du corps
Ce privilège des gens du nord
L'éducation du corps des porcs »

(extrait de « L'éducation du corps des porcs » des Ogres de Barback :
https://www.youtube.com/watch?v=lEiy31Zoxwc )

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"C'est pour ton bien !" ou "les racines de la violence dans l'éducation de l'enfant". essai sur la "Pédagogie noire" et 3 biographies dont l'une d'un dictateur tristement célèbre...
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Très instructif et d'une grande justesse sur la façon que nous avons intégré que la violence faite à un enfant relève de l'éducation à grand coup d'humiliations et autres petites tapes pour redresser l'insolent !
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J'ai dans l'ensemble trouvé cette lecture très enrichissante. J'ai mis un certain temps à lire la première partie, très théorique à mon sens, avec beaucoup de redites une fois que l'on a compris l'idée défendue par l'auteure. Mais je suis contente d'avoir persisté dans ma lecture car les parties suivantes, beaucoup plus cliniques, concrètes, ont été très parlantes et illustrent à merveille les propos de l'auteure. Cette dernière défend néanmoins son idée avec souplesse : elle n'affirme pas qu'il faille tendre à une enfance pleinement bienveillante et comblante, car cela n'est pas possible. Mais elle insiste avec beaucoup de réalisme sur la nécessité d'espaces de paroles où les insatisfactions et les frustrations puissent être exprimées.
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Ce livre dénonce les méfaits de l'éducation traditionnelle et montre comment les enfants battus, battrons à leur tour.............
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