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La Crucifixion en rose tome 1 sur 3
EAN : 9782253040385
697 pages
Le Livre de Poche (01/01/1987)
3.93/5   345 notes
Résumé :
Sexus s'ouvre sur la rencontre de l'auteur et de sa seconde femme (qu'il appelle ici " Mara " puis " Mona "). C'est l'histoire du grand amour qui transforme de fond en comble Miller, le secoue et lui fait prendre conscience de sa vocation d'écrivain. Certains passages, très crus, d'une crudité explicite, ont rendu ce livre célèbre. Il fut d'ailleurs interdit pendant longtemps. L'auteur rencontre Mara, danseuse dans un dancing. La passion entre eux sera fulgurante. L... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (27) Voir plus Ajouter une critique
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La Crucifixion en Rose (tout rapprochement à faire avec le concept de Téléphone Rose serait fortuit…) est une oeuvre de grande envergure qui s'ouvre avec un premier volume intitulé Sexus (ici encore, le titre est explicite). Cette trilogie prétend être la somme de l'existence de Henry Miller. En réalité, on comprendra qu'il ne s'agit que d'une somme sélective, bien loin de rappeler tous les évènements de la vie de l'écrivain. Les morceaux mis en premier plan sont surtout ceux qui permettent au livre de mériter son titre.

Ainsi, les premières pages nous présentent un Henry Miller qui ne semble pas être du premier âge –en tout cas pas pour un homme qui prétend écrire le récit complet de son existence. L'écrivain n'est encore qu'un écrivaillon, certes, mais il est déjà marié à Maude –une femme qu'il s'empressera de tromper sitôt nommée dans les pages du livre- et père de plusieurs enfants –qui ne seront évoqués qu'à une ou deux reprises, lorsqu'ils apparaîtront comme des empêcheurs de baiser en rond. Existence monotone dont les origines ne méritent pas d'être évoquées ? Henry Miller marque le début de sa véritable existence avec la rencontre de Mara, une jeune femme simple, complètement insouciante et volage –bien loin de l'hystérique Maude qui, entre pudibonderie et nymphomanie, incarne aux yeux de Miller le prototype de la femme dégénérée. Pourtant, il y reviendra, partagé entre le dégoût et le désir insatiable de se fourrer dans tout ce qui possède des attributs féminins. D'ailleurs, Miller ne se contente ni de Maude, ni de Mara, aussi satisfaisantes que puissent (parfois) être l'une ou l'autre. Rappelons qu'il convient d'honorer le titre du livre… Cinq pages ne s'écoulent pas sans que Henry Miller ne soit assailli par des pensées, des pulsions ou des envies qui lui fassent aussitôt dresser le mât. Lorsqu'il passe à l'acte, il se fait plaisir, aussi bien dans l'acte physique en lui-même que dans les souvenirs qu'il en conserve et qu'il retranscrit par la suite dans de longues pages regorgeant de précisions sensitives. Certains passages sont crus, mais parviennent mal à dissimuler la joie fanfaronne ressentie par Miller à l'idée de se répandre dans une écriture sciemment provocante. Ce côté narquois est parfois agaçant mais Miller est irréprochable : il réussit à représenter la réalité des relations sexuelles dans ce qu'elles ont de plus terre-à-terre, que cela soit plaisant pour lui-même et le lecteur ou non.


« Quand je revins au supplice, j'avais l'impression que ma pine était faite de vieux bouts d'élastique. Tous mes nerfs étaient morts, à cette extrémité ; c'était comme si j'avais enfoncé un morceau de suif raide dans un tuyau d'écoulement. Par-dessus le marché, la batterie était complètement à plat ; s'il devait arriver quelque chose, cela relèverait de la noix de galle, de la teigne, de la goutte de pus dans une solution d'émincé de cancoyote. Ce qui m'étonnait, c'est que ça continuait à se tenir levé comme un marteau ; ça avait perdu toute apparence d'outil sexuel ; ça vous avait un air écoeurant de machin-truc bon marché droit sorti du prisunic, de fragment d'engin de pêche brillamment coloré…moins l'appât. Et sur ce machin-truc, éclatant et glissant, Mara se tortillait comme une anguille. »


En refusant toute complaisance dans la description des relations qui unissent plus généralement les hommes –en dehors du seul cadre des relations sexuelles-, Sexus apparaît comme un livre qui sonne juste, loin de toute naïveté hallucinée. Publié pour la première fois en 1949, on sent que cette mise à mal de toutes les conventionalités qui régissent habituellement les rapports humains permet également de justifier l'attrait évident que Miller ressent pour l'esprit d'émancipation qui commence à bourgeonner au milieu du siècle passé. En cherchant à revendiquer l'expression libérée et totale de son être, Miller en vient paradoxalement à perdre toute singularité, devenant seulement un des étendards de l'opposition aux normes de son époque. Son comportement, à présent, pourrait être rapproché de la bannière trop connue du « Sexe, drogue et rock'n'roll ». On ne peut pas reprocher à Miller d'avoir anticipé le succès de masse de ce mode de pensée ; il n'empêche, il avait vu faux en pensant qu'il suffirait à lui seul à permettre l'épanouissement des « rejetés de la société bien-pensante ».



Sexus redevient singulier lorsque, entre deux parties de jambes en l'air avec l'une ou l'autre des femelles de son entourage, et une bravade adressée à l'ordre établi (maudit soient le travail et la famille, destructeur de la pure innocence de mon âme préservée !), Miller s'interroge sur son obsession des mots et de l'écriture. Les questions ne sont pas nouvelles : qu'est-ce qui nous pousse à écrire ? quelle absence, quel manque cherchons-nous à pallier à travers l'utilisation des mots ? Les réponses apportées par Miller semblent être le fruit d'une longue maturation. C'est à ce moment-là où l'écrivain se retire de l'action frénétique –sorte de réaction de terreur dans laquelle on le sent obligé de prouver au lecteur qu'il est bien cet homme émancipé qu'il rêve d'être- qu'on sent enfin émerger une individualité à part entière, faite de réflexions et d'expériences singulières. Enrichis de ces passages qui nous permettent de prendre conscience que Miller ne se dupe pas quant à son art, on apprécie alors à leur juste valeur les moments au cours desquels la prose de l'écrivain s'emballe dans des descriptions burlesques et sordides. On n'est jamais loin de l'émerveillement, tant les images que convoque Miller interpellent l'imaginaire du lecteur.


« Nous étions maintenant allongés au creux d'une dune de sable suppurante, à côté d'un lit d'herbes puantes et onduleuses, au bord sous le vent d'une route macadamisée, sur laquelle les émissaires d'un siècle de progrès et de lumières roulaient, dans ce fracas familier et sédatif dont s'accompagne la plane locomotion de ferblanteries à cracher et péter, étroitement tricotées à coups d'aiguilles en acier. le soleil se couchait à l'Ouest comme d'habitude, dans le dégoût cependant, et non dans la splendeur et le rayonnement –pareil à une omelette somptueuse noyée dans des nuées de morve et de glaires catarrheux. C'était le décor idéal pour scène d'amour, tel qu'on le vend ou le loue dans les drugstores, relié cartonné, bonne petite édition de poche. »


En 668 pages, l'écrivain évoque seulement un tiers de ce qu'il juge convenable d'appeler son « existence ». Cette densité tient aux détails et aux anecdotes dont Miller se répand dans un souci d'hyperréalisme qui pousse au voyeurisme.

Plexus et Nexus se profilent à la suite de ce premier volume… Ce serait sans doute risqué de se jeter tout de suite dessus –risque de saturation. Il n'empêche, Henry Miller a réussi à susciter suffisamment d'intérêt pour nous donner envie de le retrouver dans les volumes suivants de la Crucifixion en rose, même s'il faudra sans doute attendre un certain temps afin que l'assimilation de ce premier volume se fasse dans son intégralité…

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La première chose à vous demander avant de commencer ce bouquin c'est : « est-ce que j'aime les livres pervers ? » Parce que ça, c'est pervers. Sûrement pas le pire – loin de là – mais c'est déjà quelque chose.

Henry Miller s'est mis en tête de raconter sa vie en trois volumes de plus de 600 pages. Vu la taille de l'entreprise, c'est qu'il devait en avoir, des choses à dire ! Eh bien non. Résumé de ce premier tome : Miller n'aime pas son travail, n'aime pas sa femme ni sa fille, veut baiser Mona (une femme qu'il a rencontrée dans un dancing), et devenir écrivain. Sauf qu'il ne lit pas et qu'il n'a jamais écrit de sa vie. Voilà. Ça, c'est le fil rouge de l'intrigue – autant vous dire que j'ai été extrêmement déçue.
Mais c'est loin d'être le plus triste. Dans sa biographie, il se rend héroïque en mettant en avant à quel point c'est difficile de changer de vie (ce qui est vrai, je ne le nie pas), à quel point il est courageux de faire cela, et combien les autres sont stupides et faibles de continuer à travailler. (Mais si plus personne ne travaillait, il serait obligé d'enfiler ses peaux de bêtes et d'apprêter son arc et ses flèches pour aller chasser le lapin en hiver. Je ne suis pas sûre que ça lui plaise…)
À côté de cela, il se comporte assez égoïstement. Tout lui est dû : il s'invite chez la cousine de sa femme et squatte jusqu'à ce qu'elle lui offre à manger (bon gré mal gré), baise Maude, sa femme, alors qu'ils sont en instance de divorce, baise de toute manière une bonne partie des femmes qu'il croise alors que lui et Mona sont amoureux (dixit lui-même), déchire les pages des livres de la bibliothèque qui l'intéresse (sacrilège !!), etc.
Il ne parle que de ce qui le met en valeur, évoquant sa fille une ou deux fois à peine (n'a-t-elle donc aucune importance pour lui ?), soulignant le fait qu'il réussisse tout ce qu'il entreprend tandis que Mona échoue à faire du théâtre car elle n'est bonne qu'à séduire (je reviendrai sur ce point), et se comparant à des amis qui sont passés à côté de leur carrière artistique. Ulric, Kronski et tant d'autres ont voulu faire de l'art (que ce soit la peinture, l'écriture…) et ont finalement été rattrapés par le moule impitoyable de la société, qui consiste en cinq principes : travaille, gagne beaucoup d'argent, fonde une famille, vote et tais-toi. Miller se sent donc infiniment supérieur, mais il a peur aussi, car il y a un risque qu'il prenne ce chemin. (Mais bon, si on tient son livre dans sa main, c'est qu'on sait qu'il va y arriver, donc pas de souci…)

Parlons de Mona, maintenant ! C'est certainement le personnage le plus intéressant et ambigu de la trilogie… Elle est ce qu'on pourrait appeler un « personnage-caméléon », car elle s'adapte à chacun de ses interlocuteurs et porte sans cesse un masque, celui qui captivera le plus celui qu'elle veut séduire (elle arrive au début faire croire à Miller qu'elle est amatrice de littérature alors qu'elle n'y connaît rien). Elle fait cela de manière presque inconsciente, mais par conséquent, tout ce qu'elle dit n'a aucune valeur de vérité. Miller est ainsi incapable de savoir si elle a une famille, des frères, une soeur… Il ne sait rien de son passé car tout ce qu'elle lui dit ne peut être pris au sérieux.
Cependant, Mona a un rôle capital auprès d'Henry : c'est sa muse inspiratrice, une des rares personnes qui le soutiennent corps et âme dans son projet d'écriture. En cela, elle s'oppose complètement à Maude, qui le critique sans cesse. En fait, les deux sont opposées en tout : la première est une bohémienne (à ce qu'elle dit !), un être totalement libre qui n'a pas d'enfant et ne semble pas fait pour en avoir. Elle fascine complètement Henry, a une sexualité débridée et est infidèle. (Car oui, ce n'est pas dit explicitement, mais Mona trompe Miller plusieurs fois – mais bon, ce n'est pas très héroïque d'être cocu. Étant donné qu'elle est la seule source de revenu du ménage quand Henry divorce et quitte son travail alors qu'elle ne travaille pas, on comprend tout de suite comment elle arrive à payer le loyer.)
La seconde est une petite femme rangée qui n'aspire qu'à s'emprisonner dans moule de la société américaine, elle a une fille dont elle s'occupe à la place de son mari et n'attire pas (ou plus) ce dernier. Pour finir, elle est fidèle, elle, alors qu'elle a toutes les raisons de ne pas l'être.
On SUPPOSE que Mona aime Miller : ils s'installent ensemble, et ils finissent même par se marier – alors qu'ils sont tous deux contre toute forme d'autorité sociétale (religion, respect de l'ordre, de la justice, de la pudeur…), n'est-ce pas une jolie contradiction que voilà ? C'est bien une preuve que tout n'est pas dit – mais encore une fois, ça ne reste que de la spéculation, tellement ce personnage est insaisissable.

Le discours de Miller est contre-culturel : il s'oppose à la manière courante de voir les choses et ses critères de jugement sont différents de ceux promus par la société. Dans les années 20, aux États-Unis, le travail était extrêmement important. L'auteur, lui, dit grosso modo qu'il n'aime pas travailler parce qu'il ne peut pas faire ce qu'il veut : se lever tard, danser toute la nuit avec Mona, rester chez lui toute la journée, se promener... Il cherche clairement à choquer, et rabaisse tout ce qui nous paraît ne pas pouvoir être rabaissé : lors d'un entretien d'embauche, il coupe son possible futur employeur dans son speech et demande à aller aux toilettes, par exemple. Il n'a pas le job, bien sûr.

Je déteste Miller pour son égoïsme, sa perversité, sa critique de tout ce qu'a fondé la société (OK, c'est loin d'être parfait, je suis la première à le reconnaître. Mais des hommes se sont battus pour faire de leur mieux, et ça a mis plus de deux cents ans d'efforts pour créer tout cela). TOUT se rapporte au sexe : le titre du tome (Sexus), mais aussi celui de la trilogie : La Crucifixion en rose. Crucifixion parce qu'il meurt et renaît de ses cendres tel le Christ (en quittant son job, sa famille, sa vie puis en recommençant tout depuis le début) et en rose... Bah, parce que le sexe, quoi. Franchement, y a des fois où j'ai envie de la lui couper... Mais sa vie n'aurait plus aucun but, ce serait trop méchant.
Je dois tout de même reconnaître une chose : il écrit bien. La lecture est fluide et les pages se tournent facilement.

Mais pour ma part, j'ai eu ma dose et je m'arrête là. S'il voulait choquer, c'est réussi, et je repose, outrée, ce livre au fin fond de ma bibliothèque.
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Contre toute attente, je me suis régalée. Oui, j'ai aimé !
Pourquoi, moi qui ne suis pas franchement portée sur les histoires pornographiques, j'ai malgré tout pu lire ce texte ? C'est simple ! La puissante énergie vivante qui s'en dégage.
(Et ma maturité aussi, certainement, sourire).
Ce type est un jouisseur pur et dur ! Aucun doute là-dessus ! (quand même marié 5 fois l'énergumène). Il adore la vie et tout de la vie, absolument tout. D'ailleurs, il le dit lui-même à la fin de l'ouvrage par l'intermédiaire de son lui « fictionnel ».
Mais il l'adore à sa façon, sa façon débridée de pur animal instinctif.
On sait que pour les animaux, le bien, le mal, çà n'existe tout simplement pas.
Et qui a déjà vécu avec ou fréquenté un individu de sexe mâle, est en général immunisé contre leur obsession du ‘chose' comme il dit, le salace, la lubricité et l'obscénité, le graveleux bien graisseux. Le pipi caca typique des mâles on connaît, au bout d'un moment on a l'habitude. On sait qu'on moque, on charrie la chair, parce qu'on a conscience d'en être et de ce qu'elle est ; d'en être dépendant, prisonnier. On la moque parce que cela nous débecte d'y être asservi de cette manière, comme de vulgaires bêtes, incapables de se détacher de leurs instincts.
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Mais finalement, dans ses scènes de ‘sexe', il reste dans du pornographique assez classique. Il s'offre la jouissance de la réalisation des fantasmes masculins les plus banals, c'est à dire en majorité et en général, une domination totale sur des objets de concupiscence, sur lesquels ils reportent de façon simpliste ce qu'ils sont eux et leur propre vision et vécu des choses ; en gros comme en détail, toutes les nanas sont des « chaudasses » qui n'attendent que çà et eux, il leur suffit de mettre leur tuyau à pisse dans un trou pour faire grimper au plafond n'importe quelle 'conne'. C'est valorisant pour eux, çà flatte ce qu'ils considèrent comme leur « virilité », centrée autour de leurs organes génitaux, mais ce n'est pas très réaliste, ni crédible. Et à mon avis, c'est là qu'on trouve le plus de fiction et le moins d'autobiographique.
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Toutefois, dans ce texte, on sent qu'il s'est fait plaisir, qu'il a pris son pied.
Et de toutes les manières, c'est le cas de le dire.
C'est … pff ! Plantureux, copieux. Crise de foie assurée (sourire).
Un gueleton gargantuesque ! Rabelaisien !
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Dans ce premier volet de la crucifixion, on assiste à la mise bas de Miller par Miller. Miller écrivain sortant de Miller l'animal, obsédé sexuel et érotomane compulsif, comme un Alien lui crevant la poitrine et déchiquetant la viande à grands coups de crocs rouillés en dents de scie. Portrait d'un porc priapique, épique ! Dégénéré typique, « s'embarquer dans l'aventure charnelle » dit-il, donc « dans la démence», si on suit son raisonnement.
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Au début, le tableau qu'il nous brosse de lui-même est celui d'un raté de base comme notre société actuelle, dite ‘humaine', en fabrique par milliers. Le parcours habituel. Il saute par-dessus les illusions des débuts et passe directement à l'amertume sur les rêves qu'on a dû laisser crever, désillusion de n'avoir pas accompli quelque chose de grand et résignation. Job de merde exercé par défaut, faute de mieux et pour survivre, et vie de merde à l'avenant qui s'épuise en longueur. Sauf que lui, il a maintes fois l'occasion de faire mieux mais il ne préfère pas. C'est pourtant un exalté, un passionné ; il est dans l'expression spontanée et enthousiaste des choses, il réagit au quart de tour, bourré d'énergie vitale, mais il est aussi et clairement un ‘glandeur' (du point de vue de la société productiviste, s'entend) très actif et un jouisseur qui s'assume complètement, conscient et heureux de l'être. Alors qu’il est encore marié, il rencontre Mara, une "poufiasse" à l'équivalent, ratée de base elle aussi, qui vivote dans un job de merde qui ne dit pas ouvertement son nom, mais on sait à quoi s'en tenir. En effet, elle bosse dans ce qui est pudiquement appelé un « dancing », autrement dit, à l'époque et dans ce New-York là, un bordel déguisé qui sous couvert de faire danser le « pecno » pratique d'autres activités ludiques (pour pas dire lubriques ;) et rémunératrices.
Bref, leur libido débridée les fait s'agripper l'un à l'autre comme deux damnés bestiaux sur le radeau de la méduse et ils se mettent à la colle. Lui, çà ne lui pose aucun problème de partager la femme, qu'il dit ‘aimer' avec moult et plus d'un ‘admirateur' ; il va peu à peu glisser ‘macro' comme une anguille, sans heurts et sans bruits et sans s'en apercevoir ou même s'en émouvoir, un souteneur quoi. Mais il faut dire que c’est elle qui se propose et lui qui dispose. ( heu… Oups ! Là j’anticipe un peu, j’ai malheureusement commencé par le second volet, Plexus). Toutefois il faut préciser qu'il a une définition bien à lui de « l'amour » et du verbe ‘aimer'. D'ailleurs, il traite les femmes qu'il prétend « aimer », exactement comme les autres, comme de la viande qu'il trouve appétissante. Et souvent, dans ses descriptions de copulations, ce ne sont pas des femmes qu'il décrit, mais des morceaux de corps, comme un dépeçage en règle façon Hannibal Lecter. Il y a effectivement quelque chose de la dévoration et du cannibalisme dans son attitude. Il dévore la vie, sa vie, et celle des autres comme un vampire. La greluche, aidé en cela par tous ses potes et connaissances qui poussent dans le même sens, lui met dans le crâne qu'il est destiné à écrire et celui-ci se monte le bourrichon et finit par y croire dur comme fer. On suit alors leurs tribulations dans la ville ; deux cloches paumées avec une ribambelle de fondus du même calibre qui gravitent autour d'eux, et qui passent tout leur temps en beuverie, ripailles, arnaques en tout genre et coups tordus pour survivre.
Bouffe, alcool et « sexe » à gogo, enfin… plutôt copulation animale que sexe ; recherche de fric facile - quels que soient les moyens ils sont bons - comme dans l'urgence et l'imminence d'une catastrophe, comme s'ils allaient mourir demain.
Le tout, dans une soumission absolue à tout ce qui fait notre animalité la plus brutale, sans fard et sans finesse, mais de façon si naturelle, si spontanée, presque naïve, qu'elle semble innocente et ingénue. Cela parait étrange de dire çà, ici et dans ce contexte ; mais après tout… est-ce qu'on en veut aux animaux d'être ce qu'ils sont et de se comporter selon ce que la biologie à fait d'eux ? Non ! Et même… on les aime bien en général (sourire).
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Au début du texte donc, nous avons affaire au « Bestiau » Miller pas encore à l'écrivain. Il se dépeint comme un simple spécimen qui gesticule parmi les autres au sein du cloaque qu'est toute grande ville ; et tout rassemblement de bipède hominidé en général. Il se livre pieds et poings liés à l'absurdité de l'existence de bête humaine pur jus et il n'y va pas de main morte, c'est le moins qu'on puisse dire. Ce n'est pas qu'il n'ait pas de volonté, car ce n'est ni un tiède, ni un frileux et quand il décide d'agir réellement il le fait, c'est simplement qu'il choisit de ne pas l'utiliser la plupart du temps, à part pour ce dont il a envie. Là encore, c'est la bête Miller qui s'exprime. Et il a décidé en toute conscience de fonctionner à l'instinct.
C'est donc avec un enthousiasme sans fards et un consentement total à la seule règle qui vaille dans ce pays là, c'est-à-dire qu'il n'y en a aucunes, qu'il se livre à l'occupation de survivre.
Mais sous la peau du jouisseur, se trouve un animal des profondeurs. Il se sent piégé entre être et devenir. Voilà un homme qui démarre mal dans la vie ; comme les plus nombreux d'entre nous. Seulement lui, suite au hasard d'une rencontre, il décide de secouer le joug sociétal, d'envoyer valser le jeu truqué dans lequel nous sommes tous embarqués, de s'extirper résolument de l'animalité ordinaire, pour s'élever et atteindre à la personne pensante, ayant son libre arbitre. Comme un boxeur, il monte alors sur le ring de la vie et frappe, frappe et frappe encore, comme le poids lourd qu'il est, jusqu'à s'étourdir, se saouler, s'imbiber de vivant, au propre comme au figuré et à tomber sonné, knock-out.
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Reprendra-t-il connaissance, tout fripé, englué et vagissant dans la peau d'un écrivain ?
Seule la lecture de la suite vous le dira ! (sourire)
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La crucifixion en rose
Tome I SEXUS
Henry Miller (1891-1980)
« Ce doit être un jeudi soir que je la rencontrai pour la première fois, au dancing…Je me sentais frais et dispos le coeur pur, obsédé par une seule idée : la posséder à tout prix…J'approchais de ma trente troisième année, l'âge du Christ en croix…J'étais au plus bas de l'échelle ; un raté dans toute l'acception du terme…J'étais loin de me figurer que cette semaine allait être l'apothéose de ma vie et durer sept longues années… »
Ainsi débute ce roman et d'entrée le ton est donné par le narrateur, marié il faut le savoir avec une personne qu'il hait, Maude, une femme qui secrète une tristesse accablante au sein d'un foyer qui ressemble à un sépulcre. Il n'espère guère que sa vie va changer suite à cette rencontre quand il dit :
« Voilà trente ans que je porte la croix de fer de la servitude infâmante, que je sers sans la foi, que je travaille sans gages, que je me repose sans connaître la paix. »
Il n'y a vraiment pas de raison que ça change, et pourtant …
Dès lors, il n'a de cesse de la rechercher dès le lendemain, pour des retrouvailles orgasmiques lorsque Mara allume pour lui, pleins feux la rayonnante incandescence de son amour.
Travaillant dans le télégraphe, il est peu motivé et songe plutôt à une carrière d'écrivain. D'une humeur sombre quand il n'est pas avec Mara, il voit le monde en larmes pour l'éternité, le rire n'étant qu'un instant qui passe et la joie une folie passagère dans un monde de tristesse.
« Faire rire le monde est une chose ; faire son bonheur, c'est une autre paire de manches. Personne n'y a jamais réussi. »
On peut dès l'entame admirer le beau style de Henry Miller :
« Mara était vêtue d'une robe noire à pois, à la mode suisse, qui soulignait l'opulence de ses formes. La brise jouait légèrement avec la masse noire, luisante, de ses cheveux, avivant son visage lourd d'une pâleur de craie, comme l'embrun qui fouette la falaise. Dans sa foulée rapide et souple, si sûre d'elle, et alerte, je vis une autre preuve d'un sens renouvelé de la vie : c'était l'animal jaillissant de la chair éclatée, avec la grâce et la beauté fragile de la fleur. C'était elle dans son être diurne, fraiche, saine, vêtue très simplement et parlant presque le langage de l'enfance. »
Magnifique.
L'autre trait de caractère d'Henry est d'être constamment désargenté tout en étant très généreux dès qu'il a trois sous, issus soit de son salaire soit d'un emprunt aux amis Ulric ou Kronski.
Son ami le Dr Kronski passe son temps dans de grands discours à nettoyer le monde, remettant de l'ordre dans la « grande bâtisse », préparant la voie à la fraternité humaine ! et au règne de la liberté de pensée. Kronsky qui ne se prive pas de privautés avec Mara qu'il fait plus que guigner :
« La tête blottie dans le giron de Mara, telle une vipère dilatée, il laissait les mots filtrer de ses lèvres, à la façon du gaz qui fuit d'un robinet mal fermé. C'était la plainte étrange de l'irréductible atome humain, la sub-âme errant dans les caves de la misère collective. »
Henry pense que Mara ne lui dit pas tout de sa vie et chaque jour connaît son lot de découvertes et de déconvenues passagères qui lui permettent de renouer temporairement avec Maude après qu'il lui a avoué sa liaison avec Mara.
Un nouveau rival se profile en la personne de Carruthers et Henry entrevoit la possibilité de s'établir avec Mara pour couper court à toute intrusion.
C'est plus tard le début d'une vie commune : Henry et Mara ne peuvent plus se quitter et s'installent dans le Bronx. Henry avoue qu'il ne possède pas Mara même si elle est entièrement sienne presque esclave, mais que c'est lui qui est possédé, la proie d'un amour comme il ne s'en est jamais offert, un amour qui est un gouffre, un amour total…pour se prosterner devant l'image de la divinité, mourir mille morts imaginaires, anéantir toute trace de soi, découvrir l'univers entier, incarné, enchâssé dans l'image vivante de l'autre… À présent ils sont Mona et Val : ils ont changé de vie et de noms !
Henry ne s'est pas rendu compte, au début de leur relation, du grand besoin que Mona a de lui, ni du changement qu'elle a opéré dans ses habitudes, afin de lui offrir d'elle une image idéale. Elle fait l'impossible pour se rendre indispensable, pour aimer Henry avec dévotion et abnégation. Et Henry de reconnaître qu'il a certainement plus besoin d'elle qu'elle de lui.
Mona incite de plus en plus Henry à se mettre à l'écriture qui lui de son côté se dit qu'il se doit de commencer ne serait-ce que par amour pour elle. Et alors Henry s'épanche en des phrases magnifiques pendant des nuits de hantises, où regorgeant de créations il ne voit rien que les yeux de Mona et dans son regard, montant comme des lacs de lave bouillante, des fantômes s'exhalant en surface, se fanant, s'évanouissant, réapparaissant, trainant avec eux l'effroi, l'appréhension, la peur, le mystère. Image fugitive et toujours poursuivie…et derrière ses fantômes se dissimule une créature enfantine, diminutive faisant mine de s'offrir lascivement…
« « Nuit après nuit, je ne quittais les mots que pour trouver le rêve, la chair, le fantôme. Possession et dépossession...chair blanche et frêle de l'enfant…et la nuit, c'est le désir et l'attente, l'attente au-delà de toute endurance. »
S'en suit une longue réflexion sur la création littéraire, un thème qui obsède Henry entre deux épisodes amoureux, s'interrogeant sur les grands mystères du rapport entre l'Homme et l'Univers. Pour lui, l'artiste se doit de franchir en force les frontières du réel.
« L'intelligence est peut-être une bénédiction ; mais la confiance totale, la crédulité poussée jusqu'à la simplicité d'esprit, la reddition sans condition, c'est une des joies suprême que réserve la vie. »
Henry sous prétexte de voir sa fille rend régulièrement visite à Maude dont il n'est pas encore divorcé et les corps avec nostalgie se rapprochent dangereusement… Sans compter avec Mélanie, la servante de sa femme, un être fantasmatique à priori ridicule mais dont la bestialité provoque Henry « comme le ferait une brebis en chaleur pour un berger solitaire… Ses cheveux blancs ne faisaient que mieux souligner le leurre frémissant de sa chair, ses yeux étaient d'un noir de jais, son sein ferme et plein, sa hanche telle un champ magnétique…Elle donnait l'illusion d'aller et de venir nue…Elle me hantait comme un feu rouge en pleine nuit…Songeant à la beauté démente de Mélanie, je m'abandonnais souvent à d'extatiques rêveries charnelles… » Mélanie, une veine de fabulation qu'Henry étalerait sur le papier un jour…
Henry, toujours aussi désargenté, plus tard connaît des moments d'exaltation et d'inspiration qu'il raconte, comme habité en marchant dans les rues du Bronx pour écrire le livre d'une vie.
« le soleil se couchait à l'ouest comme d'habitude, dans le dégoût cependant, et non dans la splendeur et le rayonnement, pareil à une omelette somptueuse noyée dans des nuées de morve et de glaires catarrheux. »
Alors qu'il se livre à des ébats avec Maude, il est appelé d'urgence ; Mona a fait une tentative de suicide. Elle ne supporte plus les visites répétées d'Henry à son ex. Elle décide d'abandonner la danse pour le théâtre, ce qui lui va bien, car elle est dans la vie de tous les jours capable de changer de rôle avec une rapidité dévastatrice :
« Elle changeait de rôle sous vos yeux, avec ce talent incroyable et insaisissable de prestidigitateur qui permet aux étoiles de music-hall d'incarner les personnages les plus divers. Ce qu'elle avait fait inconsciemment toute sa vie, elle apprenait maintenant à le faire délibérément grâce au théâtre. »
La relation amoureuse entre Mona et Henry prend alors un tour nouveau :
« Elle dégageait une force, un magnétisme, un charme rayonnant. Elle faisait penser à une de ces Italiennes de la Renaissance dont le regard méditatif et le sourire énigmatique vous contemplent, du fond d'une toile qui recule à l'infini…C'était mon devoir, ma mission, ma destinée en cette vie de la chérir et de la protéger… Un revenant de la Renaissance, tombant sur Mona et moi à l'improviste, eût parfaitement pu nous prendre pour deux personnages délogés d'un tableau représentant la fin violente de l'escorte miteuse d'un Doge sybarite. Nous gisions à l'orée d'un monde en ruines, composition présentant les caractères d'une étude plutôt précipitée de perspectives et de raccourcis, où nos corps prostrés mettaient la touche picaresque. »
À noter les très belles descriptions de New York page 566 et 567 conjuguées avec la vie sexuelle échevelée de Henry Miller qui est relatée sans circonlocutions dans la plus verte crudité dans le chapitre XIX. Tout ce chapitre est un moment d'anthologie peu égalé dans la littérature érotique.
Ce livre de 666 pages (diaboliques !) est un grand, passionné et féroce récit autobiographique avec le présent et le passé alternant, avec des analepses savoureuses comme ce souhait d'Henry d'instaurer un ménage à trois avec sa femme Maude et une de ses maîtresses Carlotta, avec l'évocation de tranches de vie avec ses amours et ses amis et les réflexions métaphysiques induites. Ou encore quand Henry psychanalyse son ami Kronski moyennant finance et se constitue une petite clientèle, toujours à l'affut de quelques dollars à gagner.
C'est une oeuvre étonnante, ardente, riche, puissante, totale avec comme fil conducteur l'amour indestructible pour Mona.
Extraits :
« On ne devient jamais que pour être. »
« du peu de lectures que j'avais faites, j'avais tiré cette conclusion que les hommes qui trempaient le plus dans la vie, qui la moulaient, qui étaient la vie même, mangeaient peu, dormaient peu, ne possédaient que peu de biens, s'ils en avaient...Ce qui les intéressait, c'était la vérité, rien que la vérité. Ils n'accordaient de valeur qu'à une seule forme d'activité : créer… Et créer, c'est trouver ma légende où entrerait ma clef qui ouvre l'âme. »
« L'objet de la discipline est de promouvoir la liberté. »
« L'imagination, c'est la voix de l'audace. »
« Les gens continuent à espérer jusqu'à leur lit de mort. L'espoir est un signe funeste ; symbole d'impuissance. le courage n'est pas plus utile. »
« le cul d'une femme vous renseigne exactement sur elle : caractère, tempérament.. ; il vous dit si elle est ardente, morbide, gaie ou légère, responsive ou non, maternelle ou amoureuse du plaisir, active ou indolente, voire même si elle est sincère ou menteuse de nature ! »
En visite à la cathédrale de Naples : « Deux mille ans d'imposture et de calembredaine pour aboutir à ce triomphe de foire ! »
Quand on est sans travail et trop dégouté pour en chercher, mieux vaut encore aller s'asseoir dans un trou puant… »
À lire absolument !
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Sexus : Book One of the Rosy Crucifixion
Traduction : Roger Giroux (pour le Livre de Poche)

Plus construit - du moins est-ce l'impression que j'en ai retirée - que les deux "Tropique", "Sexus" est le premier volume de la "Crucifixion en Rose." C'est aussi une ode à Mara-Mona, c'est-à-dire à June, la seconde épouse de l'auteur, celle qu'il célèbrera d'ailleurs maintes fois dans son oeuvre.
Le premier chapitre s'ouvre d'ailleurs dans le dancing où, la veille même, le narrateur vient de rencontrer une hôtesse qui vend ses danses et sa compagnie aux hommes seuls.
A partir de là, Miller entraîne son lecteur dans une ronde de personnages dont il nous a déjà fait admirer certains specimens. Je ne citerai qu'un nom - qui se passe de tout commentaire : l'ineffable Kronski.
Mais Sexus, c'est surtout l'occasion pour Miller de peaufiner son personnage hyper-viril, capable de contenter toutes les femmes - ou presque. Qu'il soit avec Mara, laquelle, à un certain moment, demande "humblement" à Kronski si "elle est vraiment digne de Henry" (!!!), ne l'empêche pas de forniquer à droite et à gauche, et même avec son épouse légitime alors que tous deux ont pourtant entamé leur procédure de divorce. le lecteur note tout de suite que c'est pratiquement Maude qui le lui demande.
Je crois à l'auteur américain beaucoup trop d'intelligence et de subtilité pour ne pas avoir brossé en vain de lui-même un portrait aussi peu flatteur. Parce qu'il s'attèle en profondeur au récit de sa vie - le fait qu'il enjolive nombre de détails ou les arrange en une perspective plus théâtrale n'enlève rien à cette profondeur - Miller sait qu'il ne peut plus reculer : cette fois-ci, il ne pourra pas se contenter d'effleurer le Miller gigolo, le Miller macho, le Miller lâche et fuyant qu'il fut aussi. Par conséquent, avec une habileté joviale et un talent qu'on ne saurait lui contester, l'écrivain dévoile alors tout ce qui, en lui, choque et scandalise comme jamais n'y sera parvenu le langage crû qu'il affectionne.
Le plus extraordinaire, c'est que, tout au long de ces 670 pages (en édition de poche), on ne songe pas un seul instant à planter là Henry, son sexe, ses blenmorragies, ses femmes, ses arnaques à l'argent, ses chantages aux sentiments, ses cuites et les invraisemblables amis qu'il traîne dans son sillage. Parfois, c'est vrai, on s'arrête, on s'interroge : voyons, ce funambule exhibitionniste qui, complètement saoul, nous fait des pieds-de-nez tout là-haut, sur cette corde qui a le tranchant d'une lame de rasoir, c'est vraiment le grand Henry Miller ? Incroyable ! Malgré tout ce qu'on savait déjà sur sa frénésie sexuelle, sur ses complications sentimentales et sur la vie d'homme entretenu qu'il mena par exemple auprès d'Anaïs Nin, on n'aurait jamais cru ça de lui ...
Et pourtant, malgré tout, on lui conserve une petite place tout au fond de notre coeur. Nul n'est parfait, se dit-on et au moins ne pourra-t-on taxer d'hypocrisie cet écrivain qui s'acharne à se peindre sous de telles couleurs.
Ultime clin d'oeil adressé au lecteur par le texte lui-même : l'anecdote que Miller rapporte sur Knut Hansum, l'un des auteurs qu'il aimait. Je vous laisse la découvrir, elle resssemble à la part d'ombre de Miller : agaçante, pitoyable, rusée, arrogante et cependant si naïve qu'on ne peut s'empêcher de sourire ainsi qu'on le ferait devant les frasques d'un gamin mal élevé mais brillant. ;o)
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Citations et extraits (186) Voir plus Ajouter une citation
Nous avons coutume de considérer que nous formons un grand corps démocratique dont les membres sont liés entre eux par une communauté de sang et de langage, et dont l'unité indissoluble est assurée par tous les modes de communication qu'ait pu tramer l'ingéniosité de l'homme ; nos vêtements, notre alimentation sont identiques ; nous lisons les mêmes journaux (exactement, titre, poids et tirage mis à part) ; nous sommes le peuple le plus collectiviste du monde, hormis quelques peuplades primitives que nous tenons arriérés dans leur développement. Et pourtant...
Pourtant, malgré tant d'apparences qui sembleraient prouver que nous sommes étroitement liés et apparentés ; que nous vivons en bons voisins ; que nous avons bon caractère ; que nous sommes serviables, compatissants, fraternels presque, nous sommes un peuple solitaire, un troupeau morbide et dément, se démenant de tous côtés dans une rage frénétique et jalouse ; un peuple qui voudrait oublier qu'il n'est pas ce qu'il croit, un peuple qui n'est pas réellement uni ; dont les individus n'ont, les uns pour les autres, aucun dévouement réel, aucune attention réelle, ne sont, en vérité, que des unités brassées par Dieu sait quelle main invisible, selon une arithmétique qui n'est pas notre affaire.
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...j'avais tiré cette conclusion que les hommes qui trempaient le plus dans la vie, qui la moulaient, qui étaient la vie même, mangeaient peu, dormaient peu, ne possédaient que peu de biens, s'ils en avaient. Ils n'entretenaient pas d'ilusions en matière de devoir, de procréation, aux fins limitées de perpétuer la famille ou de défendre l'état. Ce qui les interessait, c'était la vérité, rien que la vérité. Ils n'accordaient de valeur qu'à une forme d'activité: créer.
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Suivez la première rue venue, dans cette tendresse de lumière violette. Faites le vide dans l’esprit. Aussitôt, mille sensations vous assaillent de tous côtés. Ici l’homme est encore créature de poil et de plume ; ici le kyste et le quartz ont encore la parole. On y trouve des maisons qui parlent, des édifices volubiles, avec leurs visières de tôle et leurs fenêtres qui suent ; des lieux saints aussi, où les enfants se drapent autour des portiques, tels des contorsionnistes ; des rues roulantes, ambulantes, où rien n’est immobile, rien n’est fixe, compréhensible, sauf aux yeux et à l’esprit du rêveur. Des rues hallucinantes, également, où tout, soudain, n’est que silence, désert, comme après le passage d’un fléau des rues qui toussent, d’autres qui battent comme des tempes en fièvre, d’autres encore où l’on peut bien mourir, qui s’en soucie ? Des rues étranges, frangipaniques, où l’essence de rose se mêle à l’âcre morsure du poireau et de l’échalote. Des rues en pantoufles, répercutant le flip, flap de nonchalances mouvantes. Des rues droit sorties d’Euclide, qui ne s’expliquent qu’à coups de logique et de théorèmes…
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Le meilleur de l'art d'écrire, ce n'est pas le mal réel qu'on se donne pour accoler le mot au mot, pour entasser brique sur brique ; ce sont les préliminaires, le travail à la bêche que l'on fait en silence en toutes circonstances, que ce soit dans le rêve ou à l'état de veille. Bref, la période de gestation. Personne n'a jamais réussi à jeter sur le papier ce qu'il avait primitivement l'intention de dire : la création originale, qui est continue, que l'on écrive ou non, participe du flux élémentaire : elle s'inscrit hors de toutes dimensions, de toutes formes, de toutes durées. Dans cet état préliminaire, qui est création et non naissance, les éléments qui sont appelés à disparaître ne sont pas détruits pour autant ; un message qui se trouvait déjà être présent, marqué du sceau de l'impérissable, par exemple la mémoire, la matière, Dieu, surgit à l'appel et l'être s'y précipite comme le fétu de paille dans le torrent. Mots, phrases, idées, si subtils et ingénieux soient-ils, coups d'ailes les plus forcenés de la poésie, rêves les plus profonds, visions les plus hallucinantes, ne sont qu'hiéroglyphes grossiers gravés par la douleur et la souffrance en commémoration d'un événement qui demeure intransmissible. Dans un monde suffisamment ordonné, il serait inutile de faire l'effort déraisonnable de noter tels hasards miraculeux. Cela n'aurait à vrai dire aucun sens. Si l'humanité prenait le temps de se rendre compte des choses, qui saurait se contenter d'une contrefaçon, quand il n'est que de tendre la main pour saisir le réel ?

43 – [Le Livre de poche n° 6267, p. 25]
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« Pourquoi n'essaies-tu pas d'écrire ? ». Cette phrase n'avait cessé de me hanter tout le jour, revenant d'elle-même avec insistance (…)

Ecrire (…) doit être un acte dépouillé de toute volonté. Le mot, semblable au courant des grands fonds, doit remonté à la surface, de sa propre impulsion. L'enfant n'a pas besoin d'écrire : il est innocent. Si l'homme écrit, c'est pour vomir le poison qu'il a accumulé en lui du fait de l'erreur foncière qu'il commet dans sa manière de vivre. Il cherche à reconquérir son innocence. Ses écrits n'ont d'autre effet que d'inoculer au monde le virus de ses désillusions. Je ne pense pas qu'il se trouverait un homme au monde pour noircir une feuille de papier, si nous avions le courage de vivre ce en quoi nous avons foi. L'inspiration est déviée dans son cours au sortir de la source. Si c'est un monde de vérité, de beauté et de magie que nous entendons créer, à quoi bon dresser des millions de mots entre nous-même et la réalité de ce monde ? Pourquoi remettre à plus tard l’acte – si ce n’est que, comme le reste de l’humanité, nous n’avons, au fond, d’autre ambition que la puissance, la gloire et le succès ? Les livres sont des actes morts, disait Balzac ; ce qui n’empêche qu’ayant perçu cette vérité, il livra délibérément l’ange au démon qui le possédait.

24 - [Le Livre de poche n° 6267, p. 23-24]
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Vidéo de Henry Miller
Un roman envoûtant sur celle qui fût la muse de l'écrivain Henry Miller.
Au fin fond de l'Arizona, une femme affaiblie s'est réfugiée dans le ranch de son frère. À ses pieds, des malles contiennent les derniers souvenirs de son grand amour : le sulfureux écrivain Henry Miller. Après leur coup de foudre dans un dancing de Broadway, elle l'a encouragé à écrire, a été son épouse et l'a entretenu pour qu'il puisse donner naissance à son oeuvre. Elle s'appelle June Mansfield. Tour à tour entraîneuse, serveuse ou comédienne, June n'a eu de cesse de brouiller les pistes. Sous la plume de l'auteur de Tropique du Cancer et d'Anaïs Nin, avec qui elle a formé un célèbre triangle amoureux, elle est devenue un personnage de fiction, mais n'a jamais livré sa vérité. Emmanuelle de Boysson nous entraîne dans le New York de la Prohibition et le Paris des années 1930. Elle fait revivre cette personnalité fantasque, ô combien attachante, et recompose le puzzle d'une existence aux nombreuses zones d'ombre. https://calmann-levy.fr/livre/june-9782702185117
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