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Critique de michfred


Vu du Pont:
Une tragédie chez les dockers italo-américains sur fond d'immigration clandestine et d'inceste inavoué.

Une tragédie grecque avec son choeur -un avocat, Alfieri, monté en grade à coup de droit et de plaidoiries, mais qui reste un personnage parmi les autre- , il a juste un peu plus de conscience et de recul, il voit arriver le drame, il en commente l'inexorable avancée.

Une tragédie grecque avec ses lois.

Celles de l'hospitalité qu'on ne peut violer sans perdre jusqu'à son nom : "Rends-moi mon nom!" , crie Eddie qui a vendu ses hôtes à la police de l'immigration et à qui l'on crache au visage comme à un paria.

Celles de l'honneur à la sicilienne, toujours vivaces, même dans cette grande ville nord-américaine où tous ces immigrés italiens brûlent pourtant de s'intégrer, et qui commandent la vendetta, l'omertà et le meurtre.

Celles du code pénal qui précisément interdisent le meurtre et recommandent la médiation de la parole...

Mais la parole justement est empêchée dans cette moderne tragédie: dans ce monde de rudes travailleurs, on ne peut se parler de rien. On n'a pas les mots pour le dire.Peut-être parce qu'à force d' errer entre deux mondes, entre deux pays, entre deux codes, on a perdu la langue de ses émotions...

On ne met pas de mots sur les maux.

Pas de mot sur le désir en panne entre Béatrice et Eddie. Pas de mots sur la passion dévorante d'Eddie pour Cathy, sa très jeune nièce, ce "bébé" qu'il a élevé et qui devient tellement femme. Pas de mots sur la gêne que ressent Eddie devant le beau Rodolfo, si blond, si tendre chanteur, si bon couturier, si fin cuisinier. Pas de mots sur l'atroce jalousie qui lui mord les tripes quand il voit ce" voyou" si peu viril mettre les mains sur la belle Cathy...

Alors comme on n'a pas les mots, on se défend avec les gestes: en soulevant une chaise d'une main, en boxant à la loyale puis à la sauvage, en dansant comme on se noie, en se déhanchant sur un standard de jazz, en chaloupant sur des talons trop hauts, en balançant une jupe trop courte....

Mais dans la tragédie, il n'y a que les personnages pour ne pas voir qu'on va droit dans le mur et que les gestes sans les mots ne peuvent arrêter le destin quand il est lancé comme un train dans un tunnel...

"Il avait les yeux comme des tunnels." dit maître Alfieri d'Eddie. Il y a lu, dès leur première entrevue, toute la noirceur aveugle de la passion.

Un tunnel, un train fou, un fil tendu, prêt à craquer..

Le spectateur de "Vu du pont" découvre ce grouillant microcosme passionnel quand se lève la boîte noire qui découvre la scène des ateliers Berthier.

Il est aussitôt pris à la gorge et saisi d'un sentiment d'urgence et de terreur qui va croissant. Pas de costumes, pas de décor, juste une cour, un seuil, des personnages qui tournent sur le plateau entouré de gradins. Encerclés, encagés, dominés et "vus du pont" les protagonistes se débattent sans espoir. On repose la pierre sur les insectes qui se déchirent dans un bain de sang. C'est la fin. Terrible.
On est presque soulagés de voir enfin se relâcher la pression sous un déluge de pluie sanglante.

Le texte limpide et fort d'Arthur Miller sort incroyablement rajeuni et vibrant de la fantastique mise en scène de Ivo van Hove.

Les sorcières de Salem

Cette pièce est inspirée du procès en sorcellerie qui a défrayé la chronique, à la fin du 17ème siècle, dans la communauté puritaine de la petite ville de Salem, Massachusetts, et dont les annales ont été conservées. Mais sous la plume de Miller, ce drame historique doit se lire aussi comme une dénonciation très contemporaine des procès intentés aux artistes et écrivains tentés par les idées socialistes dans l'Amérique fanatisée par le Mac Maccarthysme...une "chasse aux sorcières" d'un autre genre, qui fit des ravages terribles dans l'intelligentsia américaine des années 50.
Je l'avais lu avec passion dans mon adolescence, et ne l'ai vu qu'au cinéma et jamais sur une scène de théâtre.
J'ai peur que ce soit, des deux pièces de ce recueil, celle qui ait le plus vieilli: Vu du pont, lui, n'a pas pris une ride! Quel texte!
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