Trois soeurs, fille de métayers de la campagne perdue de Corrèze, au service d'une famille un peu huppée mais finalement très terrienne aussi, un peu décadente. Surtout le fils, le fils justement dont l'aînée est amoureuse, sans suite, et qui est amoureux de la benjamine, sans suite là non plus ; il se serait bien faite aussi celle du milieu, si jolie mais simplette et attardée. Il y a eut aussi un garçon, mort en bas âge. La vie triste et déprimante de ces trois soeurs est vue à travers le récit qui en est fait à un jeune neveu par la plus vieille des soeurs, devenue institutrice, maintenant à la retraite, par l'amante du jeune homme, d'un certain âge déjà et par la mère du jeune homme, ce qui n'est pas dit ici, l'est là ou précisé. La description de tout un monde disparu, celui de la campagne profonde de Corrèze après guerre jusque dans les années récentes, surtout les années cinquante et soixante, quand les jeunes filles sont en âge d'être amoureuses ou aimées. Tout un milieu étriqué, étouffant, circoncis par quelques petites montagnes ou forêt, une ambiance surannée, faite d'espoirs sans suite et jamais vraiment espérés. Les longues phrases de Millet tissent une toile comme oppressante autour de ces personnages au caractère trempé mais comme engoncé dans une incapacité de sortir de soi, ni l'institutrice qui a réussi à sortir de son milieu ni la petite dernière qui se comporte comme un homme et finira par en mourir après une longue période de paralysie, clouée sur une chaise roulante. Ici, le récit se lit facilement, est-ce l'habitude au bout d'un moment de lire Millet ou bien un ouvrage plus jeune dans sa carrière ? Une certaine lassitude s'installe par moment, une lassitude voulue, pour peut-être mieux faire sentir ces vies grises qui se dévident toutes seules, de manière trop attendue même si difficilement prévisible.
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Du fond de la Corrèze, histoire d'une famille aux prises avec le destin, les différences sociales, les désillusions et le temps qui passe, à une époque pas si lointaine (après-guerre) mais qui semble si loin de nous.
3 soeurs : Yvonne, l'institutrice laïque, Lucie, la belle et douce débile mentale, et la plus jeune, Amélie , rebelle et sauvageonne. 3 histoires de femmes découvertes et racontées par un jeune cousin éloigné qui vient tous les lundis rendre visite à la vieille Yvonne et retrouve ensuite sa maîtresse dans une chambre d'hôtel.
Des phrases longues, rythmées par le flot des souvenirs et les digressions, un vocabulaire précis et enrichi de patois, des références bibliques, une écriture parfaite, rien à redire ..
.Mais...
on ne sent pas comme chez Laffon l'empathie du romancier pour ses personnages. Ils restent distants et leurs ébats amoureux, leurs particularités physiques, leurs désirs mettent mal à l'aise, l'ensemble laissant une impression de perversité.
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Un récit toujours bien mené, une écriture toujours impécable...Plusieurs mondes se chevauchent dans cette histoire, le thème est cher à R Millet, les repères qui s'évanouissent avec le temps qui passe, les rudesses de l'existence et les rêves où désirs qui se heurtent aux évènements imprévus de la vie, comme une malédiction...
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Beaucoup les ont aperçues ainsi, les deux sœurs, derrière leur fenêtre sans rideau ni volet, avalant, sous I' ampoule qui pendait des poutres noires, cette soupe plus sombre que du sang et qui leur faisait baisser la tête, les coudes bien posés sur la table afin de combattre, I' une la fatigue et le sommeil, I' autre cette griserie qui la faisait rire en s'étouffant, soir après soir, dans le silence qui montait avec la nuit et le froid, comme si elle eût redouté le regard harassé de sa cadette qui, à ce moment, n'écoutait sans doute plus que la rumeur de ses songes, les yeux fixés sur I' innocente mais voyant bien autre chose, par delà les murs trop blancs et humides, par delà la fatigue et le fait d'être une Piale, d'avoir à garder sa dignité devant un maître d'école, un Éric Barbatte, un Thaurion, ou un patron d'usine - oui, d'être une Piale, murmurait Yvonne, c'est-à-dire à peine plus qu'une brève syllabe clamée à ras de terre et vite dissipée dans le grand souffle des vents qui raclent le granit, quelque chose qui dure pourtant bien plus longtemps dans son piaulement bref et plaintif que les visages qu'elle nomme, cette syllabe de chair qui n'aurait bientôt plus que trois filles pour I' arborer ; et c'était sans doute ça le destin d'une Piale : une syllabe avant la nuit, et le silence, I' ultime bruit étouffé par le silence qu'auraient fait sur cette terre trois petites femmes sans postérité.
Voyage au bout de l'enfer du RER avec Richard Millet. Il présente son dernier ouvrage, "Paris bas-ventre. le RER comme principe évacuateur du peuple français", aux éditions de la Nouvelle Librairie sur notre site le 27 mai 2021
https://nouvelle-librairie.com/boutique/politique/actualite/paris-bas-ventre-le-rer-comme-principe-evacuateur-du-peuple-francais/