De temps en temps, je m'offre une descente aux enfers via la lecture d'un bon roman noir américain.
Jesse le héros de
Lawrence Millman "un chef d'oeuvre du noir enfin extirpé de l'oubli" selon la critique m'a attiré justement par le fait qu'il n'avait apparemment pas connu le succès qu'il méritait.
Arrivée à la dernière page, je me suis dit que cet éloge me paraissait un peu excessif.
Pourquoi ce bémol ?
C'est vrai que tous les ingrédients d'un bon roman noir sont présents.
Le décor ? Loin des strass et paillettes d'Hollywood... L'histoire se passe dans une petite ville du New Hampshire, Hollingsford dont un panneau à l'entrée de la ville pourrait être ainsi libellé : "Hollinsford, son usine de manches à balais, sa décharge municipale et ses rats, son bar à poivrots le Cartier Club, vous souhaitent la bienvenue..." Pas mieux du côté des habitants dont l'auteur brosse quelques portraits au vitriol notamment celui de Sam Pettigrem le père incestueux ou celui de Hack le camionneur un container de bières à lui tout seul. N'oublions pas les femmes ! Par exemple Iris Carnerrelli, la serveuse moustachue du Cartier Club.
C'est sur ce terreau nauséabond où dégénérescence et alcoolisme font bon ménage, qu'a poussé
Jesse, le héros du roman. Mauvaise pioche sur le plan génétique, mauvaise graine aux yeux de toute la communauté de Hollinsford. le talent de l'auteur est de ne pas faire de Jesse un cas clinique mais un curieux personnage dont les délires psychotiques le disputent à la déficience mentale. Il ne sait pas plus nouer ses lacets de chaussures qu'il ne fait la distinction entre la réalité virtuelle et celle où il vit. Son univers fantasmé : celui de la guerre du Vietnam dans laquelle son frère est impliqué. Pour lui tuer des Viets dans son imaginaire ne fait aucune différence avec le fait de flinguer quelqu'un à bout portant avec une Winchester calibre 33. Dans les deux situations, un seul ressenti émotionnel : une exaltation sans bornes liée à un sentiment de toute puissance et à des pulsions sexuelles incontrôlables. Coktail explosif, si l'on ajoute à cela qu'il est incapable de distinguer ce qui relève de son propre désir de celui de l'autre et qu'il ne maîtrise aucun des interdits et des codes sociaux liés à la sexualité. Tout cela fait de lui un individu dangereux pour lequel, en dehors de son père, un consensus général s'est fait : il faut l'enfermer à Concord, un " centre spécialisé", à une centaine de kilomètres de Hollinsford et qui accueille toute une population aux troubles mentaux très diversifiés.
Cette solution, Jesse s'y oppose de toutes ses forces et sa fugue hors du domicile paternel va être le point de départ d'une longue cavale meurtrière avec Grace Pettigrew, une adolescente, un peu attardée, au profil victimaire, et d'une si grande innocence qu'elle va consentir à suivre Jesse.... jusqu'au Vietnam ! Car à partir de ce point de bascule du roman, Jesse vit dans une totale confusion mentale et va s'enfermer dans un cycle de violences où il ne fera plus du tout la distinction entre ce qui relève de l'imaginaire et ce qui relève de l'extérieur. Plus il va avancer dans sa cavale meurtrière, plus les deux vont se mêler et s'entrecroiser dans des scènes hallucinatoires de plus en plus nombreuses et violentes. L'écriture de l'auteur sèche, dépouillée, se prête d'ailleurs parfaitement à cette montée de l'horreur.
Alors, qu'est-ce qui n'a pas complètement fonctionné ? Je crois que je ne me suis pas identifiée ni vraiment sentie touchée sur le plan émotionnel par Jesse sans que je puisse au juste expliquer vraiment pourquoi. L'auteur a pourtant bien su opérer une symbiose entre les différentes perspectives qui permettent de comprendre le héros. Mais ça n'a pas fonctionné pour moi. Dernier point, je ne suis pas non plus complètement convaincue par la nécessité sur le plan narratif de la surprise finale.
Ceci dit, je pense que les amateurs du genre ne bouderont pas leur plaisir à la lecture d'un tel roman.