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Critique de Presence


Ce tome comprend les épisodes des ABC Warriors parus les progs (numéros) du magazine hebdomadaire britannique 2000 AD suivants : 555 à 566, 573 à 581, en 1988. Tous les scénarios ont été écrits par Pat Mills. Aux dessins, SMS et Simon Bisley alternent en fonction des épisodes. Pour bien comprendre qui sont Hammerstein et Ro-Jaws, il vaut mieux avoir lu Ro-Busters: The Complete Nuts and Bolts Vol. I & Ro-Busters: The Complete Nuts and Bolts Vol. II, car Pat Mills n'est pas adepte des résumés en cours d'histoire. du coup pour pouvoir saisir quelques références, le lecteur a intérêt à avoir lu les épisodes des Ro-Busters.

Pendant la période classique de l'histoire de Terra, l'empereur Zalinn a fait construire un trou noir / blanc sur la planète elle-même. Cette installation a permis aux humains de se rendre partout dans l'univers et de conquérir planète après planète. Plusieurs villes se sont bâties autour et à proximité du bypass trou noir, dont Necropolis la ville mausolée, et Agartha, la ville éternelle. Mais comme toute civilisation, celle-ci a fini par décliner quand un empereur (Thano, troisième du nom) a accepté les mariages inter-races, entre humains et extraterrestres. Il faudra attendre l'ascension de Tomas de Torquemada pour que la race humaine regagne de sa pureté, freiné dans son élan par Nemesis le sorcier. Dans les affrontements qui s'en sont suivi, le fils de Nemesis a détruit le poste de contrôle du trou noir, déclenchant une contamination par les radiations de milliers de planète à travers la galaxie. Afin de réparer les dégâts, Nemesis a dépêché les ABC Warriors : Hammerstein, Joe Pineapples, Ro-Jaws, Blackblood, Mongrol et Mek-Quake. Ils doivent traverser un labyrinthe de conduites appelées les déchets du temps pour atteindre le poste de contrôle au coeur du trou noir.

Joe Pineapples, Hammerstein et Blackblood ont pris place sur le dos de Mek-Quake (ayant une forme de tank avec une tête sur un long cou), et Mongrol porte Ro-Jaws sur son épaule. Hammerstein constate qu'ils ne sont que 6, Deadlock étant resté sur Mars. Alors qu'ils progressent ainsi en volant dans un tunnel, ils sont attaqués par un gang de psycho-bikers dont une femme s'appelant Terri. Alors qu'ils se fraient un chemin en tuant les psycho-bikers sur leur chemin, ils sont observés par une silhouette encapuchonnée, se tenant un peu à l'écart. Il s'agit de Deadlock revenu pour les aider, afin de préserver l'existence de la galaxie. Alors qu'ils continuent de s'enfoncer dans les tunnels, ils se heurtent aux Mekaniks, les gardiens des tunnels de maintenance du trou noir / blanc.

Attention ! la série passe en hyper-espace. Il s'est donc écoulé près de 10 ans entre la parution de The Meknificent Seven et cette nouvelle histoire, et ça se voit. Pour commencer, le lecteur doit s'accrocher : en moins de 2 pages, Pat Mills effectue un résumé hypercompressé de la situation, du développement de ce trou noir / blanc, de l'existence de Tomas de Torquemada et du lien qui unit Nemesis the Warlock aux ABC Warriors. Si l'attention du lecteur faiblit ne serait-ce qu'une seconde pendant ces 2 pages, il perd complètement pied et doit recommencer depuis la première case. En outre, les ABC Warriors ont croisé la route de Nemesis dans sa propre série, voir The Complete Nemesis the Warlock: Bk. 2. En fait, le lecteur est censé être déjà accoutumé aux ABC Warriors, parce que la présentation très orientée qu'en fait Deadlock ne suffit pas à comprendre ce que sont ces personnages. Ensuite, il doit disposer d'un peu de références concernant Nemesis et son histoire, car il y sera fait allusion dans le dernier tiers du récit, en particulier pour l'ennemi Monade. Enfin, il vaut mieux que le lecteur soit aussi familier de ce mode de transport lié au trou noir / blanc (apparu également dans la série Nemesis), et à Terra, car les rappels sont plus que succincts et guère explicatifs.

Il est possible que le lecteur ait été attiré par l'association de Simon Bisley avec Pat Mills, les auteurs de Sláine: The Horned God, l'aventure la plus connue (à juste titre) de ce barbare, leur collaboration suivante après la présente histoire. En outre, Pat Mills ne tarit pas déloge sur SMS, l'autre artiste ayant dessiné 8 des 21 épisodes de cette histoire. Celle-ci est en noir & blanc du début à la fin, le lecteur ne retrouve donc pas les peintures de Bisley. Par contre, ça décoiffe dès la première page, avec une approche outrée et non conventionnelle. le major Savard regarde le lecteur droit dans les yeux, sans raison apparente, en second plan des individus sont en train de se tirer dessus dont 2 avec ce qui semble être un casque de footballeur américain sur la tête.la représentation du trou noir / blanc est tellement géométrique qu'elle en devient abstraite. le représentation d'Arghata n'a pas de logique, autre qu'un impact esthétique. Thano le troisième a pris une pose lascive sur trône métallique en forme de squelette d'extraterrestre… et ce n'est que la première page. Dans la deuxième page, Torquemada prend la parole devant un bouquet de micros avec un air dément, Nemesis dresse son épée ensanglantée comme un pénis monumental, les 6 ABC Warriors défient le lecteur droit dans les yeux. Celui-ci a l'impression de plonger dans un numéro de Métal Hurlant illustré par un artiste spécialisé dans la science-fiction métallique et déviante.

Simon Bisley ne fait pas montre de beaucoup de patience pour les décors. La majeure partie des cases dispose d'un fond blanc uni, ou alors d'un fond noir uni, le plus souvent sans aucune trace d'un élément de décor. de temps à autre, il se souvient le temps d'une case que le récit est censé se dérouler dans des tunnels, et il rétablit une sorte de perspective avec 3 traits, ou une porte. Il s'investit un peu plus quand il faut dessiner un accessoire indispensable à l'action, comme la presse à robot avec déchiqueteur, ou les parois d'un tunnel, ou encore les bécanes métalliques des psycho-bikers ou de Deadlock. Pour ces accessoires de décors là, le lecteur peut alors contempler des formes torturées, mélange de courbes sensuelles et d'angles agressifs, rutilant de partout. La bécane de Deadlock défie l'entendement avec un ski à la place de la roue avant, mais une vraie roue à l'arrière, et une crinière sur la figure de proue aux dents acérées. C'est un fantasme de Hell's angel de l'espace, cyberpunk avant l'heure.

Le lecteur se délecte tout autant des différents accessoires des personnages, à commencer par la carapace métallique des robots, aux formes sensuelles et froides. Il découvre l'accoutrement de barbare baroque de Deadlock, avec cape finement brodée et déchiquetée, épée trop longue à la lame bifide et ébréchée, coutelas dans un fourreau richement décoré, épaulettes métalliques décoratives et énormes, etc. Bisley refuse de se laisser contraindre par la vraisemblance ou la praticité, il transforme les personnages en des fantasmes barbares et technologiques, pleins de fougue et de morgue. En dernière page du premier épisode, le lecteur découvre un dessin d'Hammerstein en pleine page se tenant sur un monticule de cadavre, étranglant un ennemi à ses pieds d'une main, et défouraillant avec une énorme arme à feu de l'autre main. Dans l'épisode suivant, il en prend plein les mirettes avec un portrait en pied de Joe Pineappales tenant un fusil au canon démesurément long et ajustant son tir. 2 épisodes plus loin, il voit Terri en pleine action, une femme bodybuildée comme une Miss Univers, qui se croit un robot dans un corps d'être humain, s'en prendre à un Mekanik. Dans ce même épisode, il voit Deadlock prendre la pose comme Conan, avec la main gauche appuyée sur le pommeau de son épée. Vers la fin, le lecteur voit la créature de l'esprit créer par les robots se tenir sur sa monture dans la même posture que le Death Dealer de Frank Frazetta. Les dessins de Bisley irradient une flamboyance et une outrecuidance terribles, montrant des personnages vivant intensément l'instant présent, totalement impliqués dans leurs actions.

Simon Bisley tire donc cette aventure des ABC Warriors dans une représentation fantasmée, métal-punk en diable, exsudant la testostérone et l'exultation de la chair, paradoxe extraordinaire car il s'agit de personnages faits de métal et de câbles. Cette glorification de l'étrangeté provocante est tempérée par des cases grotesques ou incongrues au dernier point, comme celle ne contenant qu'une paire de plateform-boots, un escarpin, un pin's Peace & Love et un tibia. Par contraste, SMS donne l'impression de moins exister, de réaliser des pages moins intenses. Mais en fait il n'en est rien. Il rapproche la narration visuelle d'une représentation plus figurative. Il réintroduit des décors en arrière-plan. Il représente des figurants humains normaux. Toutefois le lecteur s'aperçoit que ses décors présentent une qualité monumentale qui inscrit ces péripéties dans une autre forme onirique. Il s'inspire des escaliers sans fin de Maurits Cornelis Escher pour une page démentielle. Il s'avère également très dérangeant pour les séquences d'horreur corporelle, avec une qualité de la chair torturée qui donne l'impression de pouvoir la toucher. À sa manière, il continue de dessiner les robots comme des vraies créatures métalliques, sans lien avec l'humanité, donnant l'impression de singer leurs créateurs, sans aucune possibilité de leur ressembler.

Avec cette histoire, les ABC Warriors pénètrent dans un monde visuel beaucoup plus radical que celui de leurs aventures précédentes. Ils affrontent également des péripéties qui ont gagné en conceptualisation. A priori, l'intrigue est très basique : parcourir les tunnels de maintenance du trou noir / blanc, affronter les robots et les humains qui y vivent, gagner la salle de contrôle, rétablir le fonctionnement des commandes. Dans l'exécution de cette mission, ils passent par des étapes d'affrontements physiques magnifiés par Bisley jusqu'à l'absurde, mais aussi par des étapes incongrues jusqu'à l'absurde. le lecteur se retrouve face à une humaine (Terri) qui se prend pour un robot, à un nouveau traître dans l'équipe des ABC Warriors (différent de Blackblood), au plus grand robot du monde qui est réduit à effectuer des tâches balayage à cause de comptables qui appliquent des réductions budgétaires, à l'utilisation du tarot divinatoire par des robots, à un robot qui lit aussi bien les romans de Barbara Cartland (1901-2000) que le choix de Sophie (1979) de William Styron, à une citation de Tacite, à des masques vénitiens etc. Arrivé à la fin, il a bien bénéficié d'une résolution en bonne et due forme contre le méchant (Le monade), mais il frise aussi l'indigestion du fait de l'hétéroclisme des thèmes développés à vitesse grand V.

La lecture de cette histoire des ABC Warriors est à réserver aux lecteurs aventureux, capables d'apprécier que la flamboyance graphique l'entraîne vers une science-fiction impressionniste et que le scénariste donne l'impression de sauter du coq à l'âne à la faveur d'une intrigue très mince. 4 étoiles pour un récit expérimental traversé de fulgurances démentes.
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