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Critique de Illustrissime


Aujourd'hui, le commentaire d'un ouvrage qui est devenu un véritable best-steller pour les spécialistes du XIXème siècle : la biographie de l'Empereur Napoléon III écrite par un très grand contemporanéiste : Pierre Milza. A l'origine spécialiste de l'histoire du fascisme et de l'Italie fasciste, Pierre Milza est devenu un expert dans les deux siècles de l'époque contemporaine et a rédigé une des meilleures biographies de notre dernier Empereur, Napoléon III.

Son ouvrage commence par nous raconter l'enfance et la jeunesse de Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l'Empereur Napoléon Ier, fils d'Hortense-la fille de Joséphine-et de Louis Bonaparte roi de Hollande de 1806 à 1810. Nous apprenons comment c'est passée la jeunesse de Louis-Napoléon surnommé « oui oui » par sa famille : son enfance dorée, les dures années d'exil, sa proximité avec sa mère mais les difficultés de ses rapports avec un père dure et absent, son éducation qui fut plus que négligé avant qu'Hortense ne se résolve à lui embaucher un excellent précepteur en la personne de Philippe le Bas qui a éveillé en lui la soif de savoir et lui a appris comment vivre dans le monde mais aussi sa découverte de la sensualité dans les bras de belles dames. Après le temps de l'enfance, vient le temps des premières conspirations. Jeune adulte, Louis-Napoléon Bonaparte qui se trouve en Italie en 1830 voit des patriotes italiens se soulevés contre l'ordre établit dans la péninsule qui, à cette époque, est divisé en plusieurs Etats-le royaume de Piémont-Sardaigne ; le royaume Lombardo-Vénitiens qui a comme roi l'Empereur d'Autriche, les duchés de Modènes et de Parmes, le grand-duché de Toscane, les Etats-Pontificaux qui comprennent le centre de la péninsule et qui a le pape comme chef d'Etat et le royaume des Deux-Siciles qui comprend la Sicile et le royaume de Naples fusionnés en un seul et même royaume. Libéral, favorable au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Louis-Napoléon et son frère, Napoléon-Louis Bonaparte s'engagent corps et âmes dans la lutte aux côtés des patriotes et essayent de les aider à prendre le pouvoir dans les Etats-Pontificaux mais échouent et Napoléon-Louis meurt de maladie aux cours des événements. La réaction triomphante répriment fortement les patriotes et obligent Louis-Napoléon à fuir l'Italie avec sa mère. C'est au cours de ce chapitre que Pierre Milza commet une petite erreur d'inattention : à un moment, il appel le duc de Modènes « Frédéric IV » alors que ce dernier s'appelait « François IV ». Et puis, dans plusieurs pages, il parle d'un « royaume de Naples » alors qu'à partir de 1816 il vaut mieux parler d'un royaume des Deux-Siciles puisque le roi Ferdinand Ier a fusionné les royaumes de Naples et de Sicile en un seul et même Etat.
1832 : Napoléon II, le fils de Napoléon Ier décède, Louis-Napoléon devient chef de la famille impériale, les trois frères de Napoléon Ier : Joseph, Jérôme et Louis n'ont pas vraiment envie de jouer ce rôle. En tant que tel, Louis-Napoléon Bonaparte tente deux fois de prendre le pouvoir en France : ce sont les coups de Strasbourg (1836) et de Boulogne (1840). A chaque fois il échoue, l'armée qu'il tente de le soulever contre le roi Louis-Philippe refuse de le suive. Gracier la première fois, il est emprisonné en 1840 et envoyé dans la prison de Ham. Plutôt bien traité par ses geôliers, il profite de sa captivité pour étudier et pour écrire des ouvrages visant à promouvoir ses idées notamment l'Extinction du paupérisme son ouvrage le plus socialisant. Mais la captivité lui pèse, il parvient à s'évader avec l'aide de complices, une évasion spectaculaire et très bien décrite par Pierre Milza. Il s'installe à Londres où il s'engage comme officier volontaire dans la police et il prépare son grand retour en France. Après la Révolution de Février 1848 bien décrite dans le livre, Louis-Napoléon se lance en politique et s'engage dans l'élection présidentielle. L'auteur retrace très bien sa campagne électorale, propose des analyses pertinentes sur celle-ci et sur les raisons de sa victoire
Nous voilà au chapitre « le prince-président ». Louis-Napoléon, président de la Seconde République doit faire face à une Assemblée monarchiste avec qui les rapports sont très conflictuels. Les événements sont correctement analysés, les raisons qui amènent Louis-Napoléon a mettre fin à une République romaine proclamée à Rome en 1849 par des patriotes italiens avec qui il s'était battu en 1830 sont très bien présentées ainsi qu les événements et les raisons du coup d'Etat. Poussé au coup de force par ses proches, Louis-Napoléon renverse une Assemblée conservatrice la nuit du 1er au 2 décembre 1851, le voilà prince-président d'une République consulaire ou décennale puisqu'il n'a pas le titre de consul mais de président pour 10 ans. Les événements du coup d'Etat sont très bien analysés ainsi que leurs conséquences psychologiques sur le futur Empereur qui a déploré les morts et qui a cherché à amnistié ou a allégé des peines d'opposants condamnés par ses séides. Mais, être prince-président d'une République consulaire ne lui convient pas, ce qu'il veut, c'est être Empereur. Les causes et facteurs qui amènent à la Restauration de l'Empire sont finement dépeints et correctement analysés.
Après nous avoir présenté la Restauration de l'Empire, Pierre Milza nous parle davantage de Napoléon III, sa personnalité, ses idées, sa façon de voir le monde et il décrit aussi les gens qui l'entourent et l'accompagnent dans son gouvernement : l'impératrice Eugénie, une fervente catholique cultivée et très intelligente, une femme de poigne certes favorable à l'autoritarisme et au pouvoir autocratique mais aussi une femme moderne engagée dans l'amélioration du statut de la femme ; le duc de Morny, son demi-frère bâtard, un opportuniste ambitieux et sans scrupule mais aussi fidèle au libéralisme politique ; son cousin Napoléon-Jérôme, un libéral anticlérical favorable à une politique sociale mais égoïste et peu scrupuleux ce qui l'empêche de mettre en place le bonapartisme de gauche qu'il rêve d'instaurer mais aussi les autres (Eugène Rouheur, Achille Fould, son grand ministre de l'Instruction Victor Duruy etc …).

Vient ensuite l'analyse de la politique extérieure du Second Empire. Un peu utopiste, favorable à un Congrès paneuropéen qui pourrait maintenir la paix en Europe en réglant pacifiquement les conflits et défenseur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Malgré tout, il s'engage dans la guerre de Crimée aux côtés du Royaume-Uni et de l'Empire ottoman contre la Russie, cette guerre est bien décrite et les événements qui s'ensuivent qui font de l'Empereur un arbitre de l'Europe sont magnifiquement analysés. C'est dans ces pages, il me semble mais je n'en suis plus sûre, que Pierre Milza, fait une nouvelle erreur : il laisse à entendre que le prince de Roumanie Alexandre-Jean Cuza est mort sur son trône alors qu'en fait il a été détrôné par ses ennemis en 1866. Tout un chapitre est ensuite consacrée à l'intervention italienne de Napoléon III avec des descriptions et des analyses pertinentes et brillantes, l'auteur démontre bien que l'Empereur souhaite mettre en place une certaine unification de la péninsule tout en sauvant le pouvoir temporel des papes. Pour cela, il propose une confédération de quatre Etats-un royaume de Haute-Italie, un royaume d'Italie centrale, un Royaume des Deux-Siciles et des Etats-Pontificaux réduits uniquement au Latium-qui aura le pape comme chef d'Etat, le but étant aussi de faire de l'Italie un pays « client » de l'Empire français. Même s'il essaye d'amener pacifiquement l'avènement de cette confédération, la guerre finie par éclater mais, après quelques premiers succès, Napoléon III décide de quitter le conflit en raison des morts qui le traumatisent mais aussi de la peur du manque de moyen et aussi par la crainte d'un effondrement des Etats-Pontificaux dont les catholiques français pourraient le rendre responsables.
Viennent ensuite des chapitres traitant de l'apogée de l'Empire, de la politique économique et sociale de l'Empire qui fut intense et porteuse de fruits-Napoléon III fut l'un des premiers chef de l'Etat français à vouloir se mêler d'économie ou alors il était sincèrement préoccupé du bien-être des ouvriers, de la modernisation urbaine de Paris impulsée par l'Empereur et son génial préfet de la Seine, Haussman. Ces chapitres sont brillants et pertinents.
Mais l'opposition finie par se renforcer : sa politique italienne lui attire l'hostilité des catholiques qui ont peur que l'intervention ne finisse par nuire aux Etats-Pontificaux, sa politique libre-échangiste lui attire l'hostilité des patrons protectionnistes etc … Alors, Napoléon III décide de libéraliser l'Empire en redonnant de plus en plus de pouvoir au Parlement afin de s'attirer le soutien des libéraux orléanistes et des républicains modérés, une stratégie qui portera certains fruits mais qui connaîtra aussi certains échecs. Ces événements et les actions de l'Empereur sont très biens décrits et analysés, j'ai notamment apprécié le passage décrivant la politique de son grand ministre de l'Instruction Victor Duruy que je vous recommande vivement.
Pierre Milza nous parle aussi de la politique étrangère de l'Empereur après 1861. L'auteur nous parle de la question romaine-la protection du pouvoir temporel du pape. L'Empereur tente par tous les moyens de sauver ce pouvoir temporel, ses tentatives sont très bien analysés par Pierre Milza. Ensuite, il nous décrit l'expédition du Mexique ordonnée par l'Empereur pour forcer le gouvernement Juarez à lui payer les dettes dues par le Mexique à la France mais aussi pour faire du Mexique un Empire latin et catholique ami de la France mais surtout capable d'enrayer la montée en puissance des Etats-Unis. Une expédition pertinemment bien analysée malgré une erreur : page 637, Pierre Milza écrit « libéraux et conservateurs-les premiers représentants d'une oligarchie de grands propriétaires terriens peu désireux de renoncer à leurs privilèges et de partager leurs vastes domaines, les seconds fondamentalement anticléricaux et hostiles à la prépondérance politique est sociale de l'Eglise ». A mon avis, il s'est trompé et voulait dire l'inverse puisque les conservateurs d'un pays catholique de cette époque sont justement des cléricaux. L'auteur nous parle aussi de la politique algérienne de l'Empereur qui rêvait de faire de l'Algérie un royaume arabe dont il sera le roi et où les arabes musulmans seront les égaux des colons catholiques et des juifs. Petit reproche : autant la politique algérienne est très bien décrite, autant le reste de sa politique coloniale en Afrique (colonisation du Sénégal) et de l'Asie (colonisation de la Cochinchine et protectorat sur le Cambodge) est très vite balayée et peu analysée, dommage.
Mais les difficultés internes continuent : l'Empereur doit continuer à libéraliser le système politique et à donner de plus en plus de pouvoir aux parlementaires mais il refuse de faire du gouvernement un organe responsable devant le Parlement. Sa bonne volonté lui attire le soutien de nombreux politiques modérés comme le républicain Emile Ollivier qui finit par rallier l'Empire mais elle ne lui attire pas le soutien d'autres hommes politiques de premier plan comme Gambetta. Puis, vient la guerre contre la Prusse, les événements qui ont mené à la guerre ainsi que le déroulement de la guerre sont analysés avec un talent inouïe et une grande pertinence. La défaite de Sedan, la capitulation de l'Empereur-qui se rend non par couardise mais pour éviter une tuerie inutile-font perdre à Napoléon III sa popularité et engendrent la chute de l'Empire. S'ensuit une description des trois dernières années de la vie de l'Empereur.
Le dernier chapitre nous parle de l'image de Napoléon III et de son Empire dans l'historiographie française et nous explique qu'après une période de rejet et de calomnie sur l'Empire et sur l'Empereur, l'image et de l'Empire et de l'Empereur s'est considérablement améliorée et les études sont désormais moins passionnées et plus objectives. Pierre Milza termine son ouvrage en nous parlant de l'évolution du bonapartisme dans le temps et dans le monde politique.
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