AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


The Last Empress
Traduction : Jacques Guiod

ISBN : 9782290010082


L'être étrange et mystérieux, quand on ne l'affirme pas froidement débauché et cruel, que fut l'Impératrice douairière Tseu-hi, dernière grande souveraine de l'Empire du Milieu, n'a cessé d'inspirer toutes sortes d'écrivains. Anchee Min a choisi la voie de la biographie romancée et nous donne un livre en deux volumes, fort bien documenté et pas si ardu que pouvaient le craindre certains en lisant çà et là des critiques d'internautes qui en sont encore à considérer Tseu-hi à la lumière du - au demeurant - très beau film de Nicholas Ray, "Les Cinquante-Cinq Jours de Pékin." En outre, l'auteur a décidé de prendre le parti de son héroïne et la défend jusqu'au bout avec beaucoup de panache, en gommant héroïquement les aspects négatifs qui permirent à la jeune Orchidée, entrée à quinze ans dans le harem de la Cité interdite, de devenir l'une des souveraines les plus respectées et les plus craintes du Céleste Empire.

Pour Anchee Min, l'explication de la si mauvaise réputation de Tseu-hi - ou Cixi, comme le veut l'orthographe actuelle - serait due à une campagne de calomnie systématique, engagée par les contemporains étrangers avec le soutien des grands de la Cour mandchoue, et que l'évolution du régime politique chinois d'une part, ainsi que le système de pensée confucéen encore aujourd'hui si solidement ancré dans cette culture, ont aidé à perdurer.

L'idée est non seulement intéressante mais plutôt crédible. Après tout, sans chercher bien loin, combien de reines de France ont-elles été honteusement calomniées, de leur vivant même, par leurs opposants mais aussi par des historiens de sexe mâle à qui déplaisaient leur caractère fort et leur volonté bien déterminée de gouverner envers et contre tous ? Blanche de Castille, Isabeau de Bavière, Catherine de Médicis, Anne d'Autriche ... Combien sont-elles ? Et combien n'avons-nous pas citées, à commencer par Brunehaut et Frédégonde, qu'on aime tant à dépeindre comme deux rivales horriblement jalouses l'une de l'autre en oubliant que, dans une époque de barbarie, elles n'avaient d'autres recours que la barbarie pour se protéger - et protéger les leurs ? Mais ce sont des femmes, alors, elles inspirent un sourire condescendant ou le mépris - et les motifs qui les guidaient aussi. Alors que, si on regarde bien le comportement de leurs équivalents masculins de l'époque, force est de constater que ces deux ennemies irréconciliables étaient toutes deux bien plus malignes et bien moins primaires que ces messieurs ...

Alors, Cixi victime de la calomnie ? Pourquoi pas ?

L'ennui, c'est que, à trop vouloir faire l'ange, on fait la bête. Si Lucien Bodard et quelques autres se sont complu à fantasmer jusqu'à l'improbable la vie - surtout sexuelle - de Cixi en faisant de cette dernière une sorte d'idole impassible, exsudant le souffre, le sang et le sexe, Anchee Min tombe dans le travers opposé : l'angélisme. Or, pour tout d'abord parvenir à passer trois mois entiers - jour et nuit - dans la chambre d'un Empereur blasé par la débauche - car c'est ainsi que commença l'incroyable ascension de la jeune Orchidée, concubine parmi tant d'autres - puis pour se faire confier le pouvoir suprême et enfin, pour le conserver contre vents et marées jusqu'à sa mort, survenue à l'âge de soixante-treize ans, Cixi a dû, par la force des choses, se livrer à ce que Lénine dénommait, avec son cynisme de bourgeois, "le cassage d'oeufs." Eh ! oui, si on ne fait pas de révolution sans casser des oeufs, comme disait cet opportuniste d'Illitch, on ne régne pas non plus sans concocter une omelette plus ou moins monstrueusement assaisonnée. Ce n'est même pas une histoire de méchanceté personnelle : cela devient un devoir d'Etat.

Pour autant, ne boudez pas cette biographie de Cixi. Elle passionne même si elle escamote, elle séduit même si elle dissimule. En somme, elle est à l'image de celle qui l'inspira, dont la noblesse d'allure et l'affabilité ne manquèrent pas de charmer les femmes des diplomates étrangers, reçues à la Cité interdite après la guerre des Boxers. A l'image de ce "Vieux Bouddha" qui, vaille que vaille, réussit à reculer au maximum l'effondrement de l'Empire mandchou, miracle dont on la crédite rarement mais qui reste pourtant bien le sien et que ses successeurs ne réitérèrent pas. ;o)
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}