Automatisme, oui, je connais le job : ménager la chèvre, le loup, le berger, l’herbe, et être quand même très ferme avec le berger et l’herbe, tandis que le loup peut continuer à dévorer la chèvre du moment où il ne le fait pas en public, parce que c’est quand même un peu de sa faute, à la chèvre, si elle se trouve là, sur le chemin du loup, et l’herbe c’est quand même là pour faire joli dans le paysage, et c’est pas du tout de la faute du loup s’il est un loup.
Me sentir vivante après m’être crue en train de mourir étouffée me semble une sorte de miracle. Envie de profiter de la vie. Profiter du sursis. On est tous en sursis, condamnés à mort dès le début, et même avant le début, même quand on n’est qu’une hypothèse dans l’imaginaire de nos géniteurs.
J’étais sous le charme. J’aimais sa voix, j’aimais son rire, j’aimais son sourire, j’aimais ses gestes, sa démarche, ses façons de dire. J’aimais tout de lui.
Quand il s’est rapproché de moi, de plus en plus, j’étais aux anges – et un peu incrédule : comment pouvais-je lui plaire ? Ce n’était peut-être que de la sympathie, je voulais éviter de me raconter des histoires et je m’en racontais quand même.
On est devenus amis, j’étais ravie.
On est devenus amants, un enchantement.
Il y a des moments dans la vie où l’on se voit faire les choses, comme si on assistait à la scène. C’est après seulement qu’on se dit que l’on était un peu responsable quand même. Mais sur l’instant, non, c’est comme si on se dédoublait, comme si on n’était pour rien à ce qui se passe – allez reprocher au spectateur telle ou telle action dans le film qu’il regarde, ça n’aurait pas de sens. Il peut toujours sortir du cinéma,mais c’est tout, il ne peut rien à l’action filmée.
J’essaie de me faire mal, de me blesser avec des souvenirs, mais ça ne marche pas trop. Ça ne saigne pas, je n’ai pas le cœur en lambeaux, comme dans un livre. Je suis très attristée par ce temps perdu, ces faux espoirs, la sensation d’avoir été utilisée, mais avec l’impression que ça me sert de leçon, que j’en tire quelque chose de bon (sans doute une séquelle du livre de développement personnel que j’ai lu dans mon sommeil). Suis-je devenue insensible ?
Isabelle Minière - Au pied de la lettre