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Isabelle Minière (Autre)
EAN : 9791090175815
195 pages
Serge Safran éditeur (06/05/2021)
4.44/5   8 notes
Résumé :
Avec une mère violente et hargneuse, plus préoccupée par ses amants et ses traductions de romans à l’eau de rose que par sa fille, la vie d’Albertine n’est pas un long fleuve tranquille. Depuis son enfance jusqu’à l’adolescence, ce ne sont que brimades, injustices et souffrances. Pour échapper à cette mère surnommée « la sorcière », Albertine s’invente des histoires qu’elle note dans un cahier.
Le jour de sa majorité, sa mère la met à la porte, munie de trois... >Voir plus
Que lire après J'ai dix-huit ans, tous les âges à la fois, et j'ai un papaVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Albertine à la recherche de son histoire

Isabelle Minière nous revient avec un roman subtil et prenant. En confiant à Albertine le soin de raconter son histoire depuis son enfance auprès d'une mère violente, elle retrace une quête envoûtante.

C'est l'histoire d'une fillette qui vit seule avec sa mère et qui subit jour après jour sa violence. Après les coups viendront la ceinture et le martinet. Mais sa fille encaisse en silence, car elle a trouvé un moyen d'oublier sa peine. Elle se raconte des histoires, s'entraine à lire et à écrire et se promet qu'un jour elle racontera sa vie, quand bien même elle serait sans intérêt. «Qui décide si une vie est intéressante ou pas? Une vie sans intérêt peut être intéressante à raconter, je me raccrochais à ça, sinon j'aurais déprimé à fond, Je me serais retrouvée au fond du fond du fond, j'avais des prédispositions.»
Inutile de mettre en oeuvre ses plans pour fuguer, pour partir loin de cette sorcière, car un soir en rentrant chez elle, elle voit sa mère partir en ambulance, après une tentative de suicide. Un premier changement dans sa misérable vie qui lui offre un peu de liberté. le second, encore plus radical, arrive avec ses dix-huit ans. Elle se voit confier un post-it avec le nom de son père et trois sacs Ikea contenant toutes ses affaires. Bon débarras! Son géniteur, qu'elle croyait disparu à jamais, habite en fait à quelques centaines de mètres, dans un immeuble d'un quartier plus huppé.
Accueillie par un ami qui l'installe dans l'appartement de son père, Albertine – cet ami connait le prénom de la jeune fille, alors que sa mère ne l'a quasiment jamais utilisé – va aller de surprise en surprise. Ce père est loin d'être un monstre. Sa version des faits remet en cause celle servie par sa mère, même si de nombreuses questions restent en suspens. «Les mensonges. Les pièces d'un puzzle. Il me manquait des pièces. La sorcière a empêché mon père de me reconnaître, de me voir, de m'approcher. Ouais mais, mais quand même... C'était un grand garçon, ce mec-là, il aurait pu exiger de me voir, me voir de force, m'enlever, me kidnapper à la sortie de l'école, me sortir des griffes de la sorcière. Puisqu'il savait que j'existais, il m'a abandonnée. À mon triste sort.»
Autant dire que la méfiance règne, que l'on est loin du conte de fées. Que le père et sa fille vont devoir tout reconstruire pour se trouver enfin. Mission impossible?
Isabelle Minière poursuit ici son exploration des relations familiales et des situations explosives. Depuis On n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise, en passant par Au pied de la lettre jusqu'à Je suis né laid, elle creuse un sillon qui donne, au fil des romans, de forts jolies moissons.


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« Je suis arrivé à un âge où il faut prendre parti, décider une fois pour toutes qui on veut aimer, et qui on veut dédaigner, se tenir à ceux qu'on aime et, pour réparer le temps qu'on a gâché avec les autres, ne plus les quitter jusqu'à la mort. Marcel Proust, du côté de chez Swann.
Bouleversant, sans pathos, « J'ai dix-huit ans, tous les âges à la fois, et j'ai un papa » est criant d'authenticité. Contemporain, il est une voix, celle d'Albertine, fillette écorchée vive au fronton de la maltraitance. L'écriture est une larme abandonnée, encre qui s'écoule, si belle, dont on retient toute la profondeur intrinsèque. Cette enfant est martyrisée par sa mère, des coups sur des sourires avortés, des regards noirs, orages assassins, caresses réprimées. La violence exutoire, crescendo, main, ceinture et martinet. Cette mère qu'Albertine appelle : « la sorcière » secrètement, est célibataire, traductrice dans une maison d'édition qui met au monde des romans à l'eau de rose. Tout le contraire de sa gestuelle de haine et de rejet. Dans ce côté ville, parfumée, aux nombreux bijoux, l'apparence d'une femme quelconque, surtout pas odieuse et méchante. Côté face : le noir est sa valeur sûre, la haine son chapelet de traductions véridiques. On ressent une mère aux abois, en souffrance, devenue hystérique par ses frustrations. Albertine est son souffre-douleur, le reflet de ses méprises. Comment cette petite fille grandissante au fil des pages, peut-elle se réaliser sous les averses de coups et d'hostilité dévorée de sadisme de sa propre mère ? Isabelle Minière élance ce récit en douceur et compassion. Albertine conte, genoux repliés contre le mur de sa chambre, bercée par ses histoires, ses amis, Non-Non et bientôt ses sacs Ikéa. Elle écrit sur un carnet : « pour ne pas oublier, j'ai trouvé une astuce, très simple : me dire chaque jour ce que je devais me souvenir, même si ce que j'entendais ne m'intéressait pas toujours. » délivrance, nage dans un lac glacé. Sa propre vie ne tient qu'à un fil. Triste, le rire étouffé, cette enfant n'a que peu d'amis, la mélancolie fait peur. Elle rase les murs, prend des forces dans l'imaginaire, la traversée du miroir. Albertine n'est pas Alice. Nous sommes dans l'instinct de survie, dans un livre extraordinaire capable d'extraire les rais de lumière sous les persiennes. Puiser en soi les amis résistants qui écoutent Albertine, tant de cailloux lourds dans ses poches. Dire ou ne pas dire le prochain pas d'Albertine ? La sorcière au jour de ses dix-huit ans pousse Albertine dans le dos. Passage forcé, effacer la présence de cette jeune fille devenue. Une adresse, trois sacs Ikéa en main, les cheveux perlés de pluie, la faim parabolique au ventre, Albertine est d'errance et de peine. Franchir la porte inconnue. Albertine est forte et digne, un roseau qui flanche mais qui ne cède rien. Que va-t-il se passer ? Juste, dire juste la puissance intrinsèque de ce récit. Isabelle Minière est digne d'un génie évident, une belle personne. Dire le salvateur et le pouvoir des contes, de l'émancipation par le mot. Dire la flamboyance dans ce récit manichéen, table des rois, hommage aux enfants meurtris. Albertine est le symbole des enfants cabossés. Des filles trop vite échappées de l'enfance. Des sorcières assoiffées de tendresse et qui dévorent la chair de leurs chairs, à coups de griffes lacérées et de dents pointues. Retenez ce grand livre témoignage dans vos mains, il est nécessaire et rédempteur. Il donne la clef : prenez-là ! Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.
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« Dès que j'ai su lire, j'ai eu envie d'écrire l'histoire de ma vie. Même si ma vie n'était pas très intéressante. Je me suis d'abord entraînée en inventant l'histoire de Non-Non »
Ses portes de sortie ? L'histoire de Non-non qu'elle écrit dans sa tête, celle de sa vie avec la Sorcière (c'est le nom qu'elle a donné à sa mère). D'abord, savoir lire et écrire. Elle déchiffre les livres dans son lit le soir. Ce qui, bien sûr, est source de corrections.
Car oui, Albertine est une petite fille maltraitée par sa mère qui la bat « Dès que la porte s'ouvrait, je me tassais sous la couverture, un oreiller sur la tête, j'étais terrifiée à l'idée qu'un coup particulièrement violent puisse ma fracasser le cerveau – je doutais beaucoup de sa solidité. » Pour ne pas abîmer ses mains, elle passe à la ceinture, jolie progression !
Bien sûr, pas un compliment. Albertine est une vraie Cendrillon, elle doit faire le ménage, tenir la maison. Elle ne fait pas à manger mais bon, la cuisine de la cantoche est meilleure que la bouffe infâme qu'elle mange chez elle, c'est dire.
La sorcière fait des tentatives de suicide, mais pas au point de mourir. S'enfermer, ne rien dire, ne pas avoir d'amie, être invisible. Elle attend.
« Ma vie est restée sans intérêt, à part quelques livres qui me rappelaient ma promesse, la promesse faite à moi-même, toute petite, d'écrire un jour l'histoire de ma vie… Et que m a mère ne meure pas à cause de moi, même si c'était une sorcière ».
Ah oui, parce que la sorcière a fait une tentative de suicide en notifiant bien que c'est de la faute de sa fille.
Albertine n'est pas méchante, mais avec le boulet, les casseroles qu'elle traîne difficile de réussir « Comme un personnage de roman, j'ai tout foiré. Mes études, mes amitiés, mes amours. Pour les emmerdes, ça allait, je réussissais très bien. »
Maintenant, Albertine a dix-huit ans. Comme cadeau, sa mère lui offre des sacs Ikea… avec toutes ses affaires dedans et comme bonus, sur un bout de papier, le nom et l'adresse de son père. Maintenant, débrouille-toi et fiche le camp, la sorcière a rempli sa part du travail.
Albertine et la découverte d'une nouvelle vie, d'une vie nouvelle. Albertine rencontre son père et ne se fait pas rejeter. Au contraire, il lui fait confiance !! Quelle nouveauté pour elle. Oui, mais pourquoi n'a t-il jamais cherché à la rencontrer alors qu'il habite près de chez elles ? « Qui es-tu mon père, toi qui n'es pas mon papa ? »
Ce géniteur, lui raconte les déboires judiciaires qu'il a eu avec sa mère pour l'empêcher de rencontrer Albertine. Oui, mais… Puisqu'elle ne l'aime pas, pourquoi l'avoir séparé de son père ??? Tant de questions dans le crâne de la jeune fille.
Ce père ne doit pas être le monstre d'indifférence dessiné par la sorcière puisque même le voisin et ami sait qu'elle s'appelle Albertine (donc son géniteur lui a parlé d'elle) et lui permet d'attendre dans l'appartement paternel dont il a la clé. Quoi, des gens lui font confiance, connaisse son prénom que sa mère n'a jamais prononcé !! L'autre côté du miroir pourrait ressembler au bonheur, mais, on ne sait jamais. Ne pas s'ouvrir pour ne pas souffrir de nouveau.
Petit-à-petit, la confiance naît, Albertine s'ouvre, le père raconte et montre sa stupeur lorsque Albertine lui dit que sa mère l'a mise à la porte pour ses dix-huit ans.

L'amour ne se décrète pas, mais se donne et se reçoit, peut se partager, se choisir. C'est ce qu'apprend Albertine. Maintenant, elle peut se construire, se modeler, se faire confiance, aller de l'avant.
Isabelle Minière, démontre la force de l'humain et continue son exploration des drames familiaux, du non-amour, des situations plus que difficiles, de la volonté, la possibilité de se reconstruire lorsque l'on rencontre les bonnes personnes.
J'apprécie l'écriture d'Isabelle Minière, nette, précise, volontaire et cela donne de très bons livres. « Au pied de la lettre » et « Je suis né laid » sont de la même eau.
Merci Monsieur Safran de m'avoir proposé cette lecture.

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Albertine est une petite fille battue et terrorisée par sa mère « la sorcière », violente, manipulatrice et névrosée. « Dès que la porte s'ouvrait, je me tassais sous la couverture, un oreiller sur la tête, j'étais terrifiée à l'idée qu'un coup particulièrement violent puisse me fracasser le cerveau. Je doutais beaucoup de sa solidité… »
Albertine est aussi la narratrice du récit, de son enfance et de son adolescence.
Ce qui donne une note particulière au récit : le ton n'est jamais grave. Il est naïf, (quelquefois, il nous fait sourire) et terriblement lucide. Elle raconte également les rêves qui lui permettent de tenir. Écrire l'histoire de sa vie, « même si sa vie n'est pas intéressante. »
Le ton est léger mais la souffrance est continuelle et bien réelle : « Cela me donnait envie de mourir pour la soulager, et pour me soulager aussi ; mais comme je n'avais pas encore écrit l'histoire de ma vie, je préférais ne pas mourir tout de suite. » Cette dichotomie permanente est l'un des charmes du récit, comme Isabelle Minière sait si bien le faire, notamment avec « Je suis né laid »
Les souffrances, la mort, d'une part et le détachement de l'enfance, d'autre part. L'acceptation d'une situation habituelle.
« A chaque fête des mères et à chacun de ses anniversaires, j'ai pensé que le plus beau cadeau que je pouvais lui faire, c'était de mourir. Sa joie, en me trouvant morte dans mon lit. J'ai essayé de me suicider plusieurs fois, en prenant 4 comprimés d'aspirine d'un coup, en dépassant largement les doses n mais ça n'a pas marché. Je me suis réveillée le lendemain, j'ai essayé avec du paracétamol, ça n'a pas marché non plus. »

A ses 18 ans, sa mère la fiche dehors avec pour tout bagage, 3 sacs Ikea et les coordonnées de son père. Peut-être, une nouvelle vie pour Albertine…

Encore une fois, j'ai apprécié le regard si particulier de l'auteure sur l'enfance, sur ses souffrances : lucidité et humour.
Mais… Je n'y ai pas retrouvé la force, la puissance de « Je suis né laid » où l'auteure m'a tenue en haleine jusqu'au bout.
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Parler d'une mère, c'est souvent parler de douceur, de câlins, de beaux moments de tendresse. Ce n'est pas le cas pour Albertine, une jeune adolescente. Sa mère est d'une violence inouïe. Une violence aussi bien physique, psychologique que verbale. Quelle est l'histoire de cette mère violente? Qu'est-ce qui la pousse à haïr sa fille? Albertine supportera t-elle longtemps ces violences? le ton est donné dès le début.

Cette adolescente se voit à travers le regard de sa mère. Elle a une grande mésestime d'elle-même. Comment lui expliquer qu'elle n'y est pour rien? Comment lui dire qu'elle est une victime? C'est avec beaucoup d'humour et de réalisme qu'Albertine nous raconte sa vie, son calvaire. Avec un grand détachement aussi. Nous découvrons l'histoire hors normes de cette jeune femme à la recherche de sa vie. de son destin. de son géniteur. Cela réussira t-il à l'apaiser? Sa vie en sera t-elle changée?

La vie d'Albertine est unique en son genre. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser à toutes les Albertine à travers le monde. A tous les enfants battus par leurs parents. Albertine nous parle de sa non-vie. du désamour de sa mère qui n'a rien de maternel. Qui n'a aucune fibre dans ce sens. Albertine partage avec nous son enfance malheureuse. Une enfance-calvaire. Une enfance de coups et d'humiliation. Comment grandir de manière équilibrée avec tant de douleur? Avec tant de mensonges? Comment garder le goût de vivre? A elle seule, Albertine nous offre une belle leçon de résilience.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Les yeux du paternel continuent à briller. Stop. Je n'ai jamais pleuré au cinéma, et j'ai l'impression d’être plongée dans un film dramatique. J'ai pas choisi de jouer. Je pleurerai pas.
Je ferme les yeux, j'imagine. Mon père, ma mère, le bébé interdit de père. Les mensonges. Les pièces d’un puzzle. Il me manquait des pièces. La sorcière a empêché mon père de me reconnaître, de me voir, de m'approcher. Ouais mais, mais quand même... C'était un grand garçon, ce mec-là, il aurait pu exiger de me voir, me voir de force, m’enlever, me kidnapper à la sortie de l’école, me sortir des griffes de la sorcière.
Puisqu'il savait que j’existais, il m'a abandonnée. À mon triste sort. p. 101
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INCIPIT
L'histoire de Non-Non
Dès que j'ai su lire, j'ai eu envie d'écrire l'histoire de ma vie. Même si ma vie n'était pas très intéressante. Je me suis d’abord entraînée en inventant l'histoire de Non-Non.
J'écrivais ça dans mon lit, dans ma tête. Et sans réfléchir. J'entendais les pas de ma mère monter l'escalier, comme une sorcière, sans chapeau pointu (ce que j'aurais trouvé plutôt rigolo), mais avec un couteau entre les dents. Ma mère, la sorcière, venant vérifier si je dormais.
Avant, le temps d'avant, avant que je ne sache lire, je cachais un livre dans mon lit et j’essayais de le déchiffrer. J’explorais les pages, les lettres, les dessins... Mon imagination inventait des histoires à dormir debout, à ne pas dormir du tout. Du coup: flagrant délit. La sorcière surgissait, et rugissait «Tu ne dors pas!» Comme si on dormait sur commande ; je ne comprenais pas. J'avais beaucoup de mal à comprendre les adultes, ils me semblaient manquer de logique, surtout ma mère. S'il était bon de se coucher de bonne heure, que faisait-elle dans l'escalier, tard le soir, à se faufiler, marche après marche, à pas de loup, pour que je ne l’entende pas? Elle aurait été plus tranquille dans son lit, non? On aurait été tellement plus tranquilles, elle et moi, si elle avait appliqué les consignes qu'elle m'imposait: dormir tôt.
J'étais si absorbée à deviner ce que les lettres et les dessins signifiaient que je ne voyais pas le temps passer. Je me promettais chaque soir d'éteindre vite la lumière, et ne tenais pas ma promesse, c’est le problème avec les livres.
Soudain elle ouvrait la porte, me surprenait avec la lumière allumée. Alors la furie la prenait, ses mains devenaient folles, sa voix aussi. Coups et hurlements. Une folie; elle ne se contrôlait pas, comme si un monstre prenait possession d'elle, c’est pourquoi elle est pour moi devenue la sorcière; c’est pourquoi parfois je la plaignais. Elle n'avait pas choisi d’être possédée par une sorcière, elle subissait cela, tout comme je subissais les coups, les hurlements, et tout le reste. Je me disais des choses aussi bizarres que ça, pour éviter de la détester tout à fait. C’est très difficile de détester sa mère. Pour un père, je ne savais pas, je ne connaissais pas le sujet, j'étais inculte en la matière.
Dès que la porte s'ouvrait, je me tassais sous la couverture, un oreiller sur la tête, j'étais terrifiée à l’idée qu’un coup particulièrement violent puisse me fracasser le cerveau — je doutais beaucoup de sa solidité.
Mes précautions ne servaient jamais à rien. Elle se précipitait sur moi, envoyait valdinguer draps, couverture et oreiller, Les lançait dans la pièce. Ma peau nue, c’est ce qu'elle voulait. Elle poussait un cri de rage, on aurait dit une bête sauvage, puis se ruait sur moi, frappait, frappait, frappait. J’essayais de protéger ma tête avec mes mains, je me concentrais là-dessus, jusqu’à ce que la sorcière s'épuise. Ça arrivait d’un seul coup: elle était à bout de souffle, à bout de force. Elle poussait un énorme soupir et repartait en se lamentant «Qu'est-ce que j'ai fait au ciel pour avoir un enfant pareil?» Je ne voyais pas ce que le ciel venait faire là-dedans, ça faisait partie du délire de ma mère.
Un soir elle a quitté la chambre en geignant: «J’en ai plus qu’assez d’avoir mal aux mains À cause de toi! Égoïste! Tu t'en fous d’abîmer les mains de ta mère!» Il devait me rester un fond d'optimisme, car j'ai espéré que ce serait la fin des coups, que pour prendre soin de ses mains elle renoncerait à me frapper.
Or elle a vite trouvé une solution pour ménager ses mains. La ceinture a fait son apparition. Ça faisait encore plus mal, mais ça faisait un peu moins de peine: la ceinture était un objet, sans intention, sans méchanceté. Sauf que j'étais encore plus inquiète pour ma tête. Puis elle a sans doute eu peur d’abîmer la ceinture, ce fut le tour du martinet. Elle prenait son élan, hurlait, et me lacérait. Le dos, le fesses, le ventre, les jambes. Et elle oubliait la tête. Ce ne devait pas être un martinet pour tête. C'était presque rassurant, je pouvais protéger mon ventre sans craindre que mon cerveau éclate en morceaux. Ça se terminait par la même litanie «Qu'est-ce que j'ai fait au ciel pour avoir un enfant pareil?» Pauvre ciel; j'avais la certitude qu'il n'y était pour rien, et que ma mère était cinglée.
Parfois, dans des moments de calme, entre deux orages, les moments où elle était trop fatiguée pour me traiter d'idiote d’andouille, de crétine, d’abrutie, d’imbécile, ou autres douceurs qu'elle affectionnait, elle se plaignait d’avoir été maltraitée par sa mère, d’avoir été battue, insultée. J'étais sidérée, même si j'étais habituée. Quoi? Elle avait souffert de ces choses-là et elle les répétait? Ça ne lui traversait pas l'esprit? C'était incompréhensible. Je me disais que ce n'était pas sa faute, si ma mère était un peu folle. Et j'avais très très peur d’être folle à mon tour. Non, pas par hérédité, mais par histoire ressemblante, une espèce d’imprégnation. C'était très confus. Très troublant aussi: je plaignais beaucoup l'enfant malheureuse que ma mère avait été, ça m'empêchait de trop la détester, ce qui était pourtant tentant, surtout quand les gifles pleuvaient, pour un oui pour un non, quand les cris, quand les coups. Surtout le soir. Le soir quand la sorcière venait faire son tour de garde.
Puis j'ai su lire, et elle fut bien déçue.
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Avant, le temps d’avant, le temps où je ne savais pas lire, les flagrants délits étaient fréquents, je rallumais la lumière pour explorer les pages, les lettres, les dessins, comprendre l’histoire. Et la sorcière jouait son rôle de sorcière, moi je jouais le rôle de la petite fille qui cache ses larmes, pour ne pas donner trop de joie à la sorcière. C'était le temps d'avant. Ma mère ne savait pas que je savais lire, je m'étais bien gardée de le lui dire. Ne jamais faire trop de confidences aux gens en qui l’on n’a pas pleinement confiance. Les confidences, ça se mérite.
Quand elle me voyait avec un livre, elle croyait que je regardais les images, j'avais la délicieuse sensation de lui jouer un bon tour.
Donc, je ne dormais pas, mais la lumière était éteinte et j'écrivais. Je voyais les pages défiler, comme dans un vrai livre, j'ajoutais çà et là des dessins, pour décorer. J’entendais les pas redescendre l'escalier, et je pensais: «Je t’ai bien eue, sorcière!
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C'est la maîtresse d'école qui a annoncé à ma mère que je savais lire et écrire. Elle a fait semblant d’être déjà au courant, «Oui, oui, bien sûr.»
J'avais peur qu'elle me dise, arrivée à la maison «T’aurais pu me le dire!», et qu'elle me foute une claque — elle avait la claque tellement facile que ça m'intriguait, comme si la claque partait de façon automatique, comme un réflexe. Même pas. Pas de claque. Pour un peu, j’aurais été déçue, ma prédiction de claque automatique étant contredite.
Elle ne m'a pas parlé de ce que la maîtresse lui avait dit. Mais elle a continué à jouer à la sorcière, marche après marche, pour vérifier si je dormais. Soir après soir, j'ai continué à la décevoir. Et à imaginer comment lui échapper. Me sauver la nuit, quand elle dormait? Et pour aller où? Me trouver seule, toute petite, face à un loup? Il y avait beaucoup de loups dans mon imagination, des loups sauvages, meurtriers, encore plus dangereux que la sorcière. Alors comment faire?
Avant d'éviter les loups, éviter les coups.
Ça m'a demandé du temps, mais j'ai fini par trouver la cachette du martinet: sous son lit, dans une petite valise, dissimulé sous du linge de toilette, et enveloppé dans une taie d'oreiller. Je l'ai foutu à la poubelle, sous les épluchures, et j’ai sorti la poubelle, J'étais fière de moi. J'ai fini l’histoire de Non-Non, bien décidée à écrire un jour l’histoire de ma vie.
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Et j'écrivais l'histoire de Non-Non.
Non-Non était un petit pantin au visage tout rond, de bonnes joues, un bonnet rouge sur la tête. J'avais très envie d’avoir un bonnet, comme la plupart de mes camarades en hiver, et je l'aurais choisi rouge si j'avais eu le choix — mais la sorcière était contre les bonnets, allez savoir pourquoi. Non-Non avait donc droit, lui, au bonnet rouge. Il était très drôle, il faisait des blagues. Il était né dans un champignon géant, et le champignon l'avait tout de suite accueilli comme son enfant, passé le moment de la surprise. Champignon, ainsi baptisé par Non-Non, offrait une voiture jaune à Non-Non, lui apprenait un tas de choses, et rigolait. Ils s’entendaient bien, tous les deux, Champignon disait des trucs tellement rigolos que Non-Non éclatait de rire. Moi, je collais le drap sur ma bouche pour ne pas rire. Je riais à l’intérieur.
J'inventais chaque soir un nouvel épisode des aventures de Non-Non, j'inventais sa vie. Non-Non me consolait de vivre. L’histoire de Non-Non, je l'ai écrite dans ma tête, soir après soir, mais c’est quand même mon premier livre. Ensuite, je me l'étais promis, j'écrirais l'histoire de ma vie.
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