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Dans les années 40 en Sardaigne, pays de son origine, un père qui n'a reçu aucune instruction, passé 80 ans, qui ne sait encore ni lire, ni écrire. Un fils unique, directeur dans la presse qui trouve ça normal. Pourtant le père ramasse toutes les publicités, les dépliants bariolés des boîtes aux lettres, les range soigneusement et à chacun des passages de son fils lui demande de les lui lire. Ce dernier en reste quand même abasourdi quand le père lui demande un jour de lui apprendre à lire et à écrire, qu'il considére au premier abord comme une lubie de vieille personne, au second, comme la cata pour lui. Il va pourtant s'y mettre, jusqu'à ce que l'occasion d'une rencontre assez spéciale va lui offrir l'idée d'une meilleure opportunité pour poursuivre la tâche, "À cet instant, j'ai su que j'allais faire entrer le ridicule de ma situation sur le terrain glissant de l'affection.".......


Il y a quelque chose d'impersonnel et de glaçant dans cette histoire, aussi bien dans le fond que dans le style, superbement adouci par un humour léger. Un jugement positif de ma part, car ca relate bien son contexte.
Une très belle histoire , comme quoi une idée dangereuse et saugrenue, peut se révéler excellente ! Un petit livre passionnant, comme quoi il n'y a pas d'âge pour apprendre quoi que ce soit ! Et merci à cathulu !

"Il arrive un moment dans l'existence où l'on sent que ce qu'on n'aurait jamais pu faire est la chose à faire."
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Le père, le fils. Entre les deux, pas d'épouse, pas de mère, elle est partie trop tôt, morte de maladie lorsque le fils était encore enfant. Depuis lors, et cela fait longtemps puisque Antoine a maintenant près de 60 ans, il n'y a pas eu grand-chose pour relier les deux hommes, qui vivent dans des mondes parallèles, avec bien peu de points communs. Antoine est directeur de presse, peu apprécié dans le métier, est cultivé, raffiné même, homosexuel, en couple avec Alex, un artiste-peintre. Un couple heureux mais sans passion, alors Antoine s'autorise de temps à autre à recourir à un escort. Il s'occupe aussi de son père, surtout de son intendance, en fait : il lui fait ses courses, lui rend visite, lui téléphone pour s'assurer qu'il a bien éteint le gaz. Et le père, s'est-il jamais occupé de son fils ? Il l'a sans doute nourri, logé, blanchi et lui a payé ses études, mais pour la tendresse, l'affection, la chaleur humaine, ce n'était pas dans ses cordes. La faute à qui, à quoi ? A une frustration d'enfant jamais digérée, lui le jeune berger sarde à qui son père avait interdit d'aller à l'école parce qu'il fallait bien que quelqu'un s'occupe des chèvres ? À une blessure d'amour causée par un veuvage précoce ? Toujours est-il que la relation entre eux est faite d'incommunicabilité. Ils ne se sont jamais compris. En fait ils ne se sont jamais vraiment parlé, encore moins écoutés. Aujourd'hui, le père d'Antoine est un vieillard analphabète, grossier, tyrannique, qui collectionne les dépliants publicitaires pour que son fils lui en fasse la lecture. Alors quand un beau jour, il demande à Antoine De lui apprendre à lire, c'est la surprise, l'incompréhension, la réticence. Antoine finit par accepter, et par renoncer presque aussi vite, découvrant qu'il n'a pas une once de fibre pédagogique. C'est lors de l'un de ses rendez-vous tarifés qu'il trouve la solution, son escort du jour étant par ailleurs un étudiant qui cherche à arrondir ses fins de mois sans trop d'états d'âme. le prostitué qui s'improvise professeur d'alphabétisation, la recrue est aussi inattendue qu'elle s'avère efficace, instaurant en prime une sorte de complicité latente entre ces trois personnages.
Drôle de relation triangulaire (avec quand même Alex, la quatrième patte du trépied), dans laquelle un père et fils apprennent sur le tard à se lire l'un l'autre. Sincèrement, j'aurais voulu aimer ce roman de tout mon coeur, mais il ne m'a pas touchée autant que ce que j'attendais. le style est impeccable, l'histoire n'est même pas improbable, l'humour est présent, les thèmes sont intéressants: la relation père-fils chaotique, la transmission à l'insu de son plein gré (Antoine qui a toujours tout fait pour que sa vie ne ressemble pas à celle de son père et qui réalise à 60 ans qu'ils ont le même sale caractère), l'impact d'une blessure d'enfance. Mais les personnages ne sont guère attachants, à la limite du stéréotype, et l'ensemble me laisse un goût amer, avec cette relation qui n'aura pas le temps de se (re)construire, la froideur et le détachement dans le ton, et surtout l'amour aux abonnés absents, ou à tout le moins qui ne parvient pas à s'exprimer (à temps).
Dire aux gens qu'on les aime avant qu'il soit trop tard...
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Ce premier roman "Apprendre à lire"..., je l'ai déniché hier soir par hasard, toujours... sauf mon regard attiré par cette couverture au rouge claquant, repéré il y a déjà un bon moment, avec le choix d'un autre titre de cette collection : "Histoire d'oeils" de Philippe Constamagna, qui m'avait enthousiasmée...

Ce premier roman est un extraordinaire coup de coeur. J'ai lu ce récit aussi
bouleversant que pudique, sans fioritures, d'une traire, cette nuit ! Je suis même triste de l'avoir déjà achevé...

Un récit d'apprivoisement filial, le rapprochement entre un fils, patron de presse, homo, arrogant et cynique, et son père, sarde, au parcours douloureux d'étranger analphabète, d'un autre siècle. Ce père retrouve sur le tard son fils, et le sollicite pour lui apprendre à lire et écrire. le fils, accaparé par son travail, ne le prend guère au sérieux, estimant plus cette demande comme une lubie de vieillard...Peu patient ,piètre pédagogue,
il tente toutefois d'apprendre à lire à son paternel... finalement il trouvera un escort boy (service qu'il sollicite régulièrement, en dépit d'une vie commune heureuse, de près de 30 ans, avec son compagnon, Alex, artiste peintre). Cet escort boy, Raphaël, dit Ron, ... fait cela pour payer ses études afin de devenir instituteur...

A l'infinie surprise du fils, ce père grincheux, acariâtre, impossible taiseux... va s'attacher à ce jeune homme, prendre plaisir à apprendre avec son soutien, se confier, parler enfin... de lui, de sa vie... Ron va prendre ce défi, et cette tâche avec sérieux et bienveillance, envers ce vieux Monsieur... Il deviendra involontairement le médiateur entre le fils et le père...


"Que mon père ne sache ni lire ni écrire, je n'y avais jamais pensé. Je n'avais jamais remarqué chez lui un quelconque sentiment de honte car je croyais mon père plus fort que la honte. (p. 23)

"Lire et écrire, comme inspirer et expirer, ce sont des gestes naturels que personne ne se souvient d'avoir appris." (p. 35)

Une très émouvante histoire de retrouvailles entre un fils mal-aimé et incompris d'un père, lui-même englué par ses fantômes: une enfance de maltraitance , comme berger, sans la possibilité d'aller à l'école, une Sardaigne pauvre, archaïque, un père terrifiant...l'exil, le départ de la terre natale, le travail harassant dans les mines du Nord, la mort prématurée de son épouse, son incompréhension et son indifférence apparentes envers son fils...Je n'en dévoile pas plus... car l'écriture très fine de l'auteur provoque une grande émotion...et une progression lumineuse, pleine de surprises...

Une authentique pépite que ce roman qui traite avec subtilité de sujets délicats et douloureux... Restent ces graines de Renaissance, si précieuses car si tardives, ayant même failli "ne pas être": les retrouvailles d' un fils et son père... Enfin un dialogue amorcé grâce à l'apprentissage tardif, mais combien déterminé de ce père vieillissant....de la LECTURE....L'accompagnement enfin serein d'un fils envers son "paternel vieillissant".. retournant ensemble sur la terre sarde, etc.

Je ne peux pas résister à transcrire une dernière citation... qui me plaît infiniment !

"- Mais à quoi ça va te servir de savoir lire ?
- A quoi ça va me servir ? Mais à lire. Peut-être que lire, ça fait mourir moins vite." (p. 33)

Je trouve d'autant plus juste le nom de la collection, publiant ces thématiques délicates et ce premier roman, "Courage" [qui est aussi le nom d'une revue parallèle, lancées toutes deux en 2015, par Charles Dantzig]

[ Petits bonheurs supplémentaires: mon attirance envers la Sardaigne, île
natale de l'une des premières femmes, Prix Nobel de Littérature, Grazzia Deledda... qui justement narre avec force et talent ce monde des bergers...et... deuxième fort souvenir que le narrateur évoque : le film des frères Taviani, "Padre Padrone", film qui m'avait "tourneboulée"..; à sa sortie !]

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****

Antoine est directeur de presse, 60 ans, en couple avec Alex depuis plusieurs années. On pourrait le dire heureux s'il ne vivait pas une relation compliquée avec son père. Ils ont perdu leur épouse et mère très tôt et ils ont eu beaucoup de mal à créer des liens de tendresse jusqu'à aujourd'hui. C'est au détour d'une banale conversation cependant que tout va basculer : ce père de 80 ans demande à son fils de lui apprendre à lire et à écrire ! Étonné et déstabilisé par cette demande, Antoine va alors découvrir toute la souffrance et la solitude avec lesquelles son père a grandit et pourquoi il peut parfois être aussi désagréable et colérique...

Le premier roman de Sébastien Ministru m'a profondément ému. L'écriture toute en finesse et en pudeur ne nous cache pas la grande douleur de ce vieil homme et l'incompréhension de son entourage. Ne pas avoir eu la chance d'aller a l'école lui a comme volé son enfance, sa naïveté, sa dignité. Sans que personne ne s'en aperçoive, il a du se construire sur ce manque, sur cette colère et sur ce sentiment d'injustice. Il a lui aura fallu un immense courage pour avouer cette souffrance, et encore plus pour apprendre à lire et à écrire a son âge avancé.
Les personnages qui gravitent autour de lui sont tout autant attendrissant et on ressent aussi leur blessure...

Nous qui lisons, nous qui écrivons, n'avons pas toujours conscience du trésor qu'on a entre les mains...

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasser pour le partage de ce très beau premier roman...
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Un premier roman prometteur, un sujet peu souvent abordé me semble t'il , la relation père -fils quand le père se fait vieux , des critiques chaleureuses, bref toutes les conditions semblaient réunies pour un grand moment de lecture. Mais voilà cela n'a pas été le cas. A trop attendre on est souvent déçu! Sébastien Ministru sait écrite cela va sans dire, la plume est incisive, souvent sèche voire rebelle . La relation entre un père tyrannique, grossier, malotru , inculte, analphabète et un fils intransigeant, bien élevé, cultivé, homosexuel, n'a pas été des plus faciles, elle n'est toujours pas aisée quand s'ouvre ce récit mais le temps ou du moins les quelques semaines qu'il reste à vivre à ce père de 83 ans vont apaiser un peu les choses. Que m' a t'il manqué je ne sais pas vraiment mais il m'a manqué le petit quelque chose qui permet de se dire que l'on vient de lire un roman qui aura sa place dans notre mémoire littéraire, ce ne sera pas le cas de celui-ci même si je me suis sincèrement réjouie que ce vieux père ait réussi à sortir de son illettrisme . Au final n'est-ce pas tout simplement le manque d'empathie et de tendresse exsudant de chaque ligne, de chaque page que j'ai trouvé insupportable ? Va savoir!
Un grand merci aux Editions Grasset via NetGalley pour cette découverte.
Roman présent dans la sélection hiver 2018 des 68 premières fois
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Il n'y a pas d'âge pour apprendre
Un beau roman d'initiation entre un père âgé et illettré et son fils, cadre d'entreprise. Un roman pudique et touchant pour les débuts en littérature de Sébastien Ministru.

Décidément la Belgique est à l'honneur en ce début d'année. Après Les Déraisons d'Odile d'Oultremont et le champ de bataille de Jérôme Colin voici un troisième premier roman venu d'Outre-Quiévrain, également signé d'un chroniqueur à la RTBF, par ailleurs auteur dramatique.
Pour son premier roman, Sébastien Ministru nous propose une variation sur un grand classique du roman, la relation père-fils. Mais cette fois le fils est proche de la retraite et le père a dépassé les quatre-vingt ans. Antoine est directeur de presse, chargé de mener à bien une fusion-acquisition et vit dans la hantise que son père, qui vit seul, oublie de fermer le robinet du gaz. S'il se charge de l'intendance et vient régulièrement lui rendre visite, il n'a en général droit qu'à des remontrances et critiques sur cette société étrange qu'il analyse notamment via le petit écran. « Pour lui, les journalistes sont tous des hypocrites qui ne pensent pas ce qu'ils disent. Je lui ai un jour expliqué que c'était le rôle du présentateur du journal de ne pas penser ce qu'il disait, ce à quoi il m'a répondu qu'il fallait vraiment n'avoir aucune estime de soi pour faire du mensonge son métier. »
Ces contingences domestiques vont prendre un tour plus particulier le jour où il doit faire face à une demande particulière: son père veut apprendre à lire. Une demande qui l'oblige à creuser la biographie familiale, car il n'avait jamais pensé qu'il faisait partie de cette frange illettrée de la population. Et surtout ce que cette situation pouvait avoir de déstabilisant pour lui. "Mon père ne savait ni lire ni écrire parce qu'il avait dû obéir aux ordres de sa famille qui lui avait refusé le droit de fréquenter l'école et confisqué à jamais le droit de s'affranchir. Je voulais bien le croire mais il n'avait pas dû être le seul dans ce temps-là. Ce que j'avais oublié de prendre en considération c'était la souffrance qu'il avait dû endurer en silence et qui avait sans doute, fait de lui cet homme rude et difficile."
D'abord réticent, il finit par accepter mais se rend très vite compte qu'il n'a pas la pédagogie nécessaire, à moins que ce ne soit la peur de se faire constamment rabrouer par ce berger d'origine sarde, émigré devenu veuf trop tôt et qui a trouvé un peu de réconfort dans la fréquentation de prostituées. Ou parce qu'il pressent que cet apprentissage le déstabiliser, lui qui avait réussi jusque là à bien cloisonner son existence, à vivre une relation apaisée avec Alex, l'artiste-peintre qui partage sa vie " je l'ai vu, il m'a vu, on s'est plu. Ce qui nous a permis, ce soir-là, de nous rapprocher et de ne plus jamais se quitter. C'est exactement ainsi que Ia scène s'est déroulée, avec une facilité inouïe à nous indiquer la voie du bonheur. le contraire de la passion".
Aussi, pour se divertir, il a lui aussi recours aux services tarifés de jeunes hommes. C'est lors de l'un de ses rendez-vous clandestins qu'il va avoir l'idée, en découvrant que son amant entend se consacrer à l'enseignement, de l'engager non plus pour le sexe mais pour qu'il apprenne à son père à lire et écrire.
En inventant ainsi un nouveau trio, Sébastien Ministru va réussir, après quelques péripéties que je vous liasse découvrir à retisser des liens, à réapprivoiser l'histoire familiale et même à remettre en question sa propre existence. On imagine alors que la réflexion paternelle, quand il veut savoir pourquoi cette soudaine lubie et qu'il lui dit
«Peut-être que lire, ça fait mourir moins vite.» prendre tout son sens. «La forme des signes qu'il traçait avec cette volonté de prendre beaucoup d'espace révélait une autre part de lui, longtemps enfouie et qui, c'était vraiment ça le miracle, lui rendait le sourire qu'enfant on lui avait confisqué.» Avec pudeur et beaucoup de sensibilité.

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Apprendre à lire, à quatre-vingts printemps, a-t-on idée ? C'est pourtant le prétexte - j'ai envie d'écrire pré-texte - que Sébastien MINISTRU nous propose pour entrer dans l'histoire d'un triangle étonnant : un vieux père acariâtre, un fils de 60 ans excédé et Ron, un jeune prostitué qui se dit aussi étudiant pour devenir instituteur. Ce trio évoluera dans un monde nouveau pour chacun des personnages avec masques et contre-masques et sèmera autant qu'il récoltera des pensées noires, des espoirs timides, des réussites, des avancées, des reculs, des heurts, beaucoup de heurts et pas mal de compréhension lente mais subtile, de tendresse cachée, de pudeur et de sens à rendre à la vie.
Le lecteur verra sa lecture canalisée par une certaine apologie de l'homosexualité qui, à mon sens, n'apporte pas grand-chose au récit mais qui a le mérite, 'quelque peu fabriqué', de constituer une accroche nouvelle dans ce genre de récit. En fait, il faut lire bien au-delà du triangle père-fils-prostitué que le bandeau de la maison d'édition nommera amoureux pour ne pas choquer.
C'est dans le non-dit subtil d'un passé violent qui, pour quelques bonnes et beaucoup de mauvaises raisons, a éloigné un enfant-berger de l'école, lui conduisant à une vie d'analphabète, tare bien lourde à supporter, comme à partager. Il faut aller voir, au-delà des griefs père-fils, la tendresse qui se cache et se tait par pudeur, par manque de communication et, plus fondamentalement encore, par manque d'habitude de se parler.
Ce roman nous livre quelques belles pages de réflexions sur ce que fut la vie des sardes immigrés et sur le côté complètement déjanté d'une certaine jet-society dans le monde des galeries artistiques. Mais le coeur du récit est une quête des raisons à se donner pour se tenir debout et pouvoir, en se regardant dans le miroir, y retrouver sa famille, sa raison d'être, une soif d'absolu.
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Sébastien Ministru, auteur et acteur de théâtre, chroniqueur de radio, ajoute une corde à son arc en écrivant ce premier roman, sans doute un peu inspiré de ses origines sardes et de son vécu personnel, mais qui est bien une fiction. Son idée d'introduire un personnage de jeune prostitué pour apprendre à lire au père du narrateur est pour le moins originale. Il me faut avouer que j'ai bien aimé ce roman mais que je ne sais trop comment en parler…

J'ai aimé comment, au fur et à mesure que le vieil homme apprend à déchiffrer les mots, les phrases, son histoire et celle de son fils remontent à la surface alors que les deux hommes se sont éloignés l'un de l'autre par la difficulté, voire l'impossibilité de communiquer, par les non-dits, par le ressentiment. Ces souvenirs sont touchants, bien que ni le père ni le fils ne soient spécialement sympathiques : le vieux est acariâtre, indélicat, le fils est souvent cynique. C'est l'introduction du troisième personnage, le jeune homme qui se prostitue pour améliorer ses fins de mois tout en poursuivant ses études d'instituteur, qui fait évidemment bouger les lignes. Parallèlement le couple que forment Antoine (le narrateur) et Alex évolue lui aussi. On sent bien l'influence du théâtre, milieu « naturel » de Sébastien Ministru, à travers ce procédé du triangle de personnages et à travers les dialogues incisifs. Mais il s'agit bien d'un roman, mené jusqu'à une fin qui le clôt élégamment. Il m'a manqué un peu d'émotion pour être vraiment emportée par ce premier roman mais ne manquez pas cette lecture fine et lucide, sans concessions.
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Antoine s'occupe de son père, veuf. Sa mère est morte lorsqu'il était enfant.


Ces deux-là ne se sont jamais compris, n'ont jamais suffisamment apprivoisé leur douleur pour en parler. Ensemble, d'ailleurs... l'ont-ils jamais été avant les 80 ans de cet homme, dont Antoine ne sait que peu de choses finalement.


Le vieil homme se révèle difficile. Un jour, il décrète qu'il lui faut apprendre à lire. Peut-on entrer au Paradis si l'on ne sait pas écrire son nom ? rien n'est moins sûr... Il ne veut pas prendre le risque ! Son injonction : apprendre à lire et à écrire maintenant !


Bien que patron de presse, Antoine, 60 ans ne se sent ni la patience, ni l'envie d'apprendre la lecture à son père qu'il juge trop vieux pour le faire. A quoi cela lui servira-t-il de savoir lire à son âge d'ailleurs...


Va naître de cette incapacité pédagogique un triangle étrange, Père, Fils, Etudiant-prostitué. En effet, Sébastien Ministru introduit un étrange personnage transposition du bon fils, patient, qu'il aurait dû être.


Raphaël-Ron, Escort à ses heures, étudie pour devenir instituteur. En tout cas, c'est ce qu'il explique à Antoine lorsque celui-ci lui demande de prendre le relais d'apprentissage auprès de son père. Quel challenge que de former ce vieil homme blessé depuis l'enfance d'avoir été privé du droit d'apprendre, au profit d'un troupeau montagnard. Savoir lire à cette époque, c'était pour les fils de notaires.


Antoine est dans le non-dit permanent. Il n'a pas vraiment fait son "coming out" avec son père, sans toutefois cacher un quelconque élément de sa vie. Il ne parle pas non plus à Alex de leur relation devenue platonique. Ne dit rien de son besoin d'avoir recours à des prostitués. Rien de son désarroi lorsque son père, pour tromper sa solitude, a pris pour compagne une ex-prostituée.


Sébastien Ministru décrit la prostitution en outil ordinaire de financement pour les étudiants, comme une "norme". Cet élément, forme de jugement favorable, prend à mon avis, une place gênante dans l'histoire.

Raphaël aurait pu être serveur ou équipier chez McDo, cela n'aurait rien enlevé à l'histoire... Il est défini : Escort.


La pudeur de la relation, la tendresse qui s'installe entre le père et le fils, deux écorchés, le chemin qu'ils parcourent lentement grâce à Ron pour se rencontrer vraiment, sont émouvants.


La construction de l'un, antithèse de l'autre, l'avènement d'une relation enfin rassérénée par l'écoute, la compréhension, le tendre accompagnement du retour aux racines. C'est ce long cheminement que raconte la plume incisive, souvent crue de Sébastien Ministru. La dignité retrouvée par le combat contre l'illettrisme d'un père face à son fils, carriériste.


Je ne me sentirai pas orpheline d'Antoine ou de son père. Antoine n'est ni aimable, ni détestable...

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A soixante ans, Antoine renoue avec son père, un homme difficile et mal aimant avec qui grandir n'a pas été une partie de plaisir. Malgré lui, Antoine se surprend à s'inquiéter de son bien-être, à lui rendre visite régulièrement, à accéder à ses caprices étranges de vieillard solitaire. Chaque vendredi, il lui lit son courrier et ses brochures publicitaires, jusqu'au jour où son père lui reproche d'être un mauvais fils pour ne jamais lui avoir appris à lire. Surpris, vexé et même réfractaire à cette idée, Antoine finira pourtant par mettre la main à la pâte et essayer de combler les lacunes du vieux Sarde n'ayant jamais eu la chance d'aller à l'école. C'est en admettant son manque de pédagogie qu'il fait rentrer dans leur vie Ron, instituteur et prostitué pour arrondir ses fins de mois, celui qui parviendra à faire lire le vieux, et à briser définitivement la glace entre les deux hommes.

D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été à l'école. J'ai appris à lire à l'âge de cinq ans, guidée par mes parents et ma maîtresse, encouragée et félicitée. Je considère ma capacité à lire et écrire comme quelque chose d'acquis, une base immuable sans laquelle je ne serais pas moi-même. Avant cette lecture, je ne m'étais jamais vraiment demandé ce que les analphabètes pouvaient ressentir dans notre monde où l'écrit est si souvent utilisé. Ici, Sébastien Ministru brise la glace, il nous confronte à cette réalité, certes de plus en plus rare mais toujours existante. Il associe la dignité d'un homme à sa capacité à lire et à écrire, cette capacité que nous prenons pour acquise alors qu'elle a été refusée à certains d'entre nous.

A travers un roman filial, réaliste et sincère, Sébastien Ministru explore les relations compliquées d'un père et son fils, le choc de deux générations, venues d'univers différents, chacun ayant grandi dans une réalité bien différente de l'autre. Un père analphabète, un fils journaliste. Et au milieu de ce duo mal assorti et pourtant attachant, le compagnon artiste à la fois secret et dévoué, puis l'amant d'un jour converti en instituteur-médiateur. Chacun trimbale ses casseroles, chacun trouve finalement du réconfort dans la présence des autres, une oreille attentive, un souci sincère, un échappatoire ponctuel. Cette combinaison étrange finit par permettre au père et son fils de (re)trouver, bon gré mal gré, pour quelques beaux moments.

Roman intime, profond et atypique, Apprendre à lire a été pour moi un véritable coup de coeur, l'occasion de réaliser la chance que nous avons d'avoir appris à lire et écrire.
Lien : https://theunamedbookshelf.c..
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