Un père très âgé peut demander beaucoup de choses à son grand fils, beaucoup de choses prévisibles quand la force physique vient à manquer et que des tâches deviennent trop difficiles pour être exécutées par soi-même.
Mais quand la demande consiste à vouloir
apprendre à lire et à écrire, cela devient une vraie surprise, avec de l'incrédulité, de l'agacement et de l'inquiétude à la clé, pour finir par un vrai sentiment d'impuissance : c'est ce qui arrive à Antoine, sexagénaire héros de ce livre, homme qui a réussi malgré ses origines modestes de fils de berger sarde, devenu directeur général d'un puissant organe médiatique, qui entretient une relation assez froide avec son père. Et le voilà qui plonge dans les méthodes d'acquisition de la lecture. Mais, n'est pas professeur qui veut !
Heureusement, Antoine, au fil de ses expériences avec des escorts, rencontre Ron, élève-professeur, qui accepte la tâche d'enseigner à son vieux père et une complicité surprenante s'établit entre les deux hommes. Antoine n'a jamais connu d'échange affectueux avec son père, ni confiance, ni tendresse, ni même partage du sentiment de douleur après la mort brutale de sa mère encore jeune. Bien au contraire, il essuie depuis des années l'humeur acariâtre de son père, quand ce n'est pas l'impression diffuse qu'il lui reproche la mort de sa mère, lui, tout jeune, qui était chargé de lui donner ses médicaments : et s'il s'était trompé de cachet ?
Alors l'arrivée quasi miraculeuse de Ron va avoir des effets inespérés sur l'éveil du vieillard. Alex, le compagnon d'Antoine avec qui il n'a plus de vie sexuelle depuis longtemps, va sans doute se poser des questions mais finalement comprendre que Ron est essentiel à la vie du vieil homme et qu'Antoine ne lui est pas attaché.
Et un beau jour, Antoine, Alex et le vieux berger sarde retourneront au pays où Antoine enfin ressentira le lien très fort qui l'unit à cet homme, comme un dernier cadeau.
Encore un livre sur la relation parent-enfant, sur cette interrogation qui semble tarauder nombre d'auteurs, parce qu'elle est sans doute universelle : QUI est vraiment ma mère, mon père ? Comment éviter que leur mort ne les dissolve totalement, juste parce qu'on n'aura pas pu, pas su, pas osé essayer de découvrir leur vraie nature, leur vraie vie ? Même s'ils ont droit au silence, même si leur vie est sans secrets fondamentaux, nous nous posons éternellement la question : qui étaient-ils vraiment ? Comment leur redonner chair et existence dans notre souvenir ? Comment faire pour que leur voix ne s'éteigne définitivement ?
La réponse est peut-être dans le titre :
Apprendre à lire, et de façon corollaire : à écrire. Après les avoir beaucoup écoutés, enregistrés, peut-être.
Un premier roman touchant, proche de tous, de surcroît bien écrit.