Cette posture apophatique, qui nie toute tentative et tout intérêt à vouloir tirer un enseignement quelconque de l'expérience pure de non dualité, invite à développer ce que le mystique Nicolas de eues appelait la « docte ignorance » » du mystique : non pas l'ignorance de celui qui ne sait rien, mais l'ignorance pleine de sagesse de celui qui, confronté.à l'expérience de la non dualité, se contente de la vivre, sans jamais chercher à l'enfermer dans une vérité quelconque. C'est la « docte ignorance » du mystique, qui sait que le langage passera toujours à côté de ce qu'il tentera d'exprimer, pour cette simple et bonne raison que la non dualité est au-delà du langage, trouve sa source et s'exprime par le silence. Car le silence est, peut-être, la parole de l'être.
Le fait qu'une même expérience de non dualité se retrouve et se décline en même temps différemment sur chaque continent, dans chaque spiritualité, et même de manière laïque en dehors de toute religion, constitue un enseignement précieux: en retrouvant probablement le sentiment océanique originel et l'expérience d'une fusion ou réabsorption dans un grand tout qui dépasse l'ego, le fait d'y revenir en pleine conscience change tout: cela permet d'accéder en même temps à une nouvelle compréhension intuitive et globale de ce vaste mouvement de la vie, en perpétuelle transformation.
Il ne reste plus, alors, qu'à suivre ce conseil qui clôturait le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
Plutôt que vouloir déduire de la non dualité du « non-deux » une vérité quelconque, métaphysique, théologique ou autre, ne pourrait-on simplement en rester à l'expérience pure de l'éveil non duel tel qu'il peut se manifester à tout moment en chacun de nous, en prônant comme Nagarjuna et Vimalakirti l'inanité de tout concept, de tout langage qui voudrait le réifier dans des mots, l'emprisonner dans une vérité ou dans un système de croyance?