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Michel Delon (Autre)Noël Arnaud (Autre)
EAN : 9782073042491
592 pages
Gallimard (01/02/2024)
3.94/5   886 notes
Résumé :
Ce journal d'une femme de chambre est celui de Célestine, au Mesnil-Roy, en Normandie. Elle est nouvellement engagée, acceptant la place dans l'espoir de se reposer des turbulences parisiennes. Les événements ne manqueront pas pour colorier son quotidien. Un quotidien qu'elle consigne avec "toute la franchise qui est en elle et quand il le faut toute la brutalité qui est dans la vie".

C'est donc là un journal de femme en province, au bas de l'échelle... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (152) Voir plus Ajouter une critique
3,94

sur 886 notes
Un bijou, un joyau, une perle... Aurai-je assez de superlatifs pour mettre à l'honneur ce grand roman social ?

Deux choses m'ont particulièrement fascinée au cours de ma lecture.
Premièrement, la force et la beauté du style d'Octave Mirbeau que je découvre avec cette oeuvre, l'une de ses plus renommées. C'est fantastique de voir combien le 19ème siècle arrive encore à nous surprendre !
Deuxièmement, la modernité à peine concevable de ce journal qui s'inscrit en plein dans la vague naturaliste et qui apporte une pierre d'importance à l'édifice des sciences humaines et sociales.

Célestine, femme de chambre parisienne, dépeint crûment le monde bourgeois dont elle est l'esclave - pas toujours consentante. Comme des millions d'autres avant et après elle, elle est domestique, c'est-à-dire un être corvéable à merci, transparent, que l'on n'estime pas, que l'on n'aime pas et que l'on remarque à peine. Sous sa plume franche et grinçante, c'est une grande satire sociale qui voit le jour, celle d'un monde aux innombrables paradoxes, entre morale bourgeoise et hypocrisie flagrante, entre pauvreté et richesse, entre honnêteté et perversion.

"Le journal d'une femme de chambre" a été publié sous forme de feuilleton dans "L'Echo de Paris" à la fin du 19ème siècle. Je peine à imaginer l'accueil que lui a réservé le lectorat de l'époque tant y est décriée une société où chacun peut s'y reconnaître. Ce roman sonne juste, terriblement vrai ; il plonge le lecteur dans un contexte économique, social et politique incroyablement concret.

J'ai pris énormément de plaisir à cette lecture. Célestine est un personnage attachant qui suscite l'empathie et la compassion et qui dégage un charme brut, sans fards, tout en érotisme et en puissance. Un régal !


Challenge 19ème siècle 2016
Challenge Multi-Défis 2016
Challenge PAVES 2015 - 2016
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A force d'en voir les adaptations au cinéma, j'avais fini par penser que le Journal d'une femme de chambre ne m'apporterait, à la lecture, plus aucune surprise... quelle erreur!

Ce livre est un brûlot,  une friandise stylistique, ou , pour parodier Octave Mirbeau,  un "monstrueux hybride" romanesque!

 L'écueil du roman social , comme Charybde et Scylla,  est double : soit on est emporté dans un tourbillon de bons sentiments, soit on se fracasse sur un naturalisme excessif et rebutant ..

Rien de tel chez Octave Mirbeau,  et ceci pour deux raisons: ce n'est pas lui qui tient la plume ni qui mène la danse mais l'étonnante Célestine-  même si le "truc" a,  depuis, vieilli, le subterfuge qui consiste à attribuer la...maternité d'une oeuvre à une autre personne que l'écrivain qui n'aurait, lui, fait que quelques malheureuses retouches fait souvent mouche- il en résulte une liberté de ton, une audace dans l'abord de certains thèmes, une "franchise" du point de vue qui emportent l'adhésion. L'autre raison est la complexité de la narratrice: elle est d'un caractère rétif,  notre bretonne à  Paris, rien d'une Bécassine, même si  sa Madame de Grand Air s'appelle ..madame Lanlaire, du coup, elle "fait" les places comme on fait les boutiques: jamais très longtemps dans chacune!

On balaie donc, avec elle, tout un échantillonnage social: petits-bourgeois qui jouent aux grands et se ruinent en "diners"aussi "chics' que ridicules, noblesse fauchée et radine, bonnes soeurs qui ne méritent guère leur épithète attitrée,  patrons tortionnaires, avares ou dépensiers, sadiques experts en petites et grandes humiliations, maîtres  érotomanes, maîtresses suspicieuses et tâtillonnes...personne n'a grâce aux yeux impitoyablement lucides de Célestine...

Mais elle ne s'épargne guère non plus  : même dans la plus grande émotion, dans le drame sentimental le plus crucial -l'épisode du jeune phtisique, Georges qui est un des seuls moments sentimentaux du roman- elle avoue avec honte  sa "prudence" qui l'empêche de perdre la tête et de se compromettre dans une  situation critique mais n'hésite pas, en concluant l'épisode, à  couvrir de son mépris les trois idiots qui n'ont rien compris à ses précautions, tant ils avaient confiance en elle.

Ce cynisme de l'héroïne loin de la rendre antipathique,  la rend plus humaine. L'humanité qu'elle côtoie, qu'il s'agisse du capitaine  mangeur de furet, de la ragotière Rose, de l'égoïste William, et surtout du redoutable Joseph, au silence impénétrable et menaçant n'offre rien moins qu'une bonne compagnie..

Mirbeau en effet ne recule devant rien,  ni le portrait à charge d'une bourgeoisie avare, corrompue, acharnée à exploiter, humilier et  dominer un petit peuple de domestiques que les bureaux de placement étranglent et taxent au passage, ni le portrait au noir  de ces domestiques eux-mêmes coupés de leurs racines populaires, voués à la dissimulation, à  la vengeance..ou au mimétisme.

Le bonheur de Célestine, chèrement payé,  a un goût dangereux..et le ver est dans le fruit: dans les silences, les non-dits, les premières disputes, on reconnaît presque le couple mal assorti des patrons de William, ces maîtres à la coule, encore amoureux mais pleins de ressentiments mortifères qui sont en train de les détruire.. .

Le nomadisme professionnel de Célestine  transforme son journal en un roman à  mille facettes. Tantôt on est dans un roman sentimental et "mélo", un roman "qui fait pleurer" comme elle les aime- l'épisode dévoué au jeune phtisique- ,tantôt dans un roman satirique et vitriolé, épinglant le snobisme de la bourgeoisie parisienne à la mode où les dîners ne sont réussis que si l'on invite des divorcés,  des personnes à la sexualité ambiguë  ou des artistes: les Charigaud ne sont pas loin des Verdurin! Tantôt c'est un court épisode, d'un réalisme cruel et navrant, à la Maupassant, quand Célestine évoque la pauvre Louise, petite bretonne embauchée au rabais du fait de sa laideur. Tantôt c'est un "suspense" bien noir avec la sombre figure de Joseph... une version impunie de la Petite Roque. Au fil des pages,  le récit devient pamphlet quand Mirbeau-Célestine  égratigne les antideyfusards - antisémites , les loyalistes réactionnaires et les catholiques ultras!

Bref, ce seul journal est une sorte de roman multiple.. Et le style brillant, caustique, les percutantes maximes "morales" de l'immoraliste Mirbeau achèvent de faire de cette lecture un plaisir rare et raffiné. 

Un sacré bouquin et un sacrément grand écrivain!




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"Le journal d'une femme de chambre" est un de ces rares livres dont on ne sort pas indemne.
Octave Mirbeau y touche avec sa plume l'endroit douloureux où la littérature rejoint la vie.
Octave Mirbeau c'est l'homme de lettres par qui le scandale arrive et le scandale fait les yeux doux à la femme de chambre.
S'il m'a paru essentiel de lire ce livre dans une édition ancienne, ce n'est pas par un snobisme puéril, mais pour tenter de mieux ressentir, à travers l'odeur du vieux papier, l'atmosphère de l'ouvrage.
J'aime les vieilles éditions par ce qu'elles nous rapprochent de leurs auteurs.
Célestine R... vient de se placer en Normandie, au Mesnil-au-Roy, à la propriété du Prieuré, chez monsieur et madame Lanlaire.
Célestine, qui est d'Audierne, garde la nostalgie de sa Bretagne natale.
Pourtant elle y a vécu une enfance sordide, coincée entre misère, coups et alcool.
Célestine, en fait, est devenue une vraie parisienne qui méprise la province.
Mais une fatalité pèse sur son existence.
Elle ne demeure jamais plus de six mois à la même place.
Quand on ne la renvoie pas, c'est elle qui part.
Parfois, elle se sent abandonnée et se raccroche au passé, aux souvenirs.
Alors, elle écrit, presque au jour le jour, un journal intime ...
Octave Mirbeau, dans un petit préambule, assure n'avoir fait que corriger un véritable journal.
Et ceci pour s'excuser d'avoir remplacé par de "la simple littérature ce qu'il y avait dans ces pages d'émotion et de vie".
Mirbeau possède une plume redoutable qui tisse l'émotion au détour de chaque phrase.
Son livre est un livre sulfureux, morbide, qui pousse parfois le désespoir jusqu'à l'écoeurement.
Mais "toujours la vie reprend avec ses hauts et ses bas, et ses changements de visages".
"L'homme n'est que surprise, contradiction, incohérence et folie".
Mieux que personne, par la peinture qu'il fait de ses personnages, Octave Mirbeau le démontre.
Mais pourtant, dans ce sale pays, dans le silence et la campagne, au fond de l'âme désolée de Célestine, il suffit d'un peu de poésie, de quelques vers pour que luise une étincelle de bonheur, pour lui faire sentir la beauté de la vie.
"Lorsqu'on a de la sensibilité, on est toujours un peu poète" ...
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Lu, il y a plus de 20 ans, j'ai relu Journal d'une femme de chambre avec un égal plaisir.
L'écriture d'octave Mirbeau est incisive, décapante avec aussi une pointe truculente qui nous porte sans effort dans la lecture.
Cette histoire se déroule dans une France qui se partagera en deux entre les drefuysards et les antis.
Mirbeau décrit de façon manifeste ce " patriotisme" sans foi ni loi qui alimente la haine et le rejet des autres. Il est pertinent quand Mirbeau fait dire à Celestine: " Pourtant, lorsque je m'interroge sérieusement, je ne sais pas pourquoi je suis contre les juifs...
Dans ce roman, le thème central c'est la condition et la vie du personnel ancilaire sur qui la société bourgeoise déverse toute sa haine et son pouvoir.
Les domestiques ne sont pas véritablement des êtres humains, " un monstrueux hybride humain" à qui on ne reconnaît rien y compris son nom.
"Nous autres, nous n'avons même pas le droit d'avoir un nom à nous" de ce fait, pour les bourgeois qui les emploient, ils sont réduits à un esclavage et à la soumission de leurs désirs.
Les maîtres pouvant s'ecrier devant eux, " avec un dégoût qui nous rejette si violemment lors de l'humanité, il a une âme de domestique"
Octave Mirbeau dans sa satire sociale n'est pas en reste, et malheureusement pas loin de la réalité d'aujourd'hui par certains aspects à l'encontre des petites gens.
Journal d'une femme de chambre a vieilli mais son contenu n'a pas pris une ride.



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Le journal d'une femme de chambre dénonce l'état de servitude dont sont victimes les domestiques à la Belle époque, sous fond d'affaire Dreyfus.
Célestine, ballottée de place en place, exploitée économiquement et la plupart du temps perçue comme une travailleuse sexuelle à domicile, nous dresse un portrait bien noir de la bourgeoisie de cette époque. Vile, hypocrite, avare, vaniteuse, elle traite ses domestiques comme de la marchandise.
Les domestiques ne sont pas épargnés non plus par ce roman. Ils copient les vices de leurs maîtres, ils empruntent leur idéologie. Ils n'ont « le courage que pour souffrir », mais pas pour se révolter. Ils sont fatalistes : « C'est la vie ». Il leur manque la culture pour s'émanciper. Sans cela, même s'ils deviennent riches à leur tour, ils ne vaudront pas mieux que leurs anciens maîtres, ils seront même pires.
Célestine, bretonne courageuse, intelligente, est au-dessus des autres, elle a un esprit critique et une volonté de vie meilleure. Elle espère sortir de sa misérable existence, dans laquelle elle est plongée depuis son enfance à Audierne. Avec sa riche expérience de femme de chambre, aura-t-elle les moyens et la culture suffisante pour s'émanciper et mener une vie honnête, loin de toutes ces vilenies ?
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Citations et extraits (244) Voir plus Ajouter une citation
J’en ai eu une qui avait un drôle de truc… Tous les matins, avant de passer sa chemise, tous les soirs, après l’avoir retirée, elle restait nue, à s’examiner des quarts d’heure, minutieusement, devant la psyché… Puis, elle tendait sa poitrine en avant, se renversait la nuque en arrière, levait d’un mouvement brusque ses bras en l’air, de façon que ses seins qui pendaient, pauvres loques de chair, remontassent un peu… Et elle me disait :
- Célestine… regardez donc !… N’est-ce pas qu’ils sont encore fermes ?
C’était à pouffer… D’autant que le corps de Madame… oh ! quelle ruine lamentable !… Quand, de la chemise tombée, il sortait débarrassé de ses blindages et de ses soutiens, on eût dit qu’il allait se répandre sur le tapis en liquide visqueux… Le ventre, la croupe, les seins, des outres dégonflées, des poches qui se vidaient et dont il ne restait plus que des plis gras et flottants… Ses fesses avaient l’inconsistance molle, la surface trouée des vieilles éponges…
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.J’adore servir à table. C’est là qu’on surprend ses maîtres dans toute la saleté, dans toute la bassesse de leur nature intime. Prudents, d’abord, et se surveillant l’un l’autre, ils en arrivent, peu à peu, à se révéler, à s’étaler tels qu’ils sont, sans fard et sans voiles oubliant qu’il y a autour d’eux quelqu’un qui rôde et qui écoute et qui note leurs tares, leurs bosses morales, les plaies secrètes de leur existence, tout ce que peut contenir d’infamies et de rêves ignobles le cerveau respectable des honnêtes gens. Ramasser ces aveux, les classer, les étiqueter dans notre mémoire, en attendant de s’en faire une arme terrible, au jour des comptes à rendre, c’est une des grandes et fortes joies du métier, et c’est la revanche la plus précieuse de nos humiliations...
De ce premier contact avec mes nouveaux maîtres je n’ai pu recueillir des indications précises et formelles... Mais j’ai senti que le ménage ne va pas, que Monsieur n’est rien dans la maison, que c’est Madame qui est tout, que Monsieur tremble devant Madame, comme un petit enfant... Ah ! il ne doit pas rire tous les jours, le pauvre homme... Sûrement, il en voit, en entend, en subit de toutes les sortes... J’imagine que j’aurai, parfois, du bon temps à être là...
Au dessert, Madame, qui durant le repas n’avait cessé de renifler mes mains, mes bras, mon corsage, a dit d’une voix nette et tranchante :
– Je n’aime pas qu’on se mette des parfums...
Comme je ne répondais pas, faisant semblant d’ignorer que cette phrase s’adressât à moi :
– Vous entendez, Célestine ?
– Bien, Madame.
Alors, j’ai regardé, à la dérobée, le pauvre Monsieur qui les aime, lui, les parfums, ou du moins qui aime mon parfum.
Les deux coudes sur la table, indifférent en apparence, mais, dans le fond, humilié et navré, il suivait le vol d’une guêpe attardée au-dessus d’une assiette de fruits... Et c’était maintenant un silence morne dans cette salle à manger que le crépuscule venait d’envahir, et quelque chose d’inexprimablement triste, quelque chose d’indiciblement pesant tombait du plafond sur ces deux êtres, dont je me demande vraiment à quoi ils servent et ce qu’ils font sur la terre.
– La lampe, Célestine !
C’était la voix de Madame, plus aigre dans ce silence et dans cette ombre. Elle me fit sursauter...
– Vous voyez bien qu’il fait nuit... Je ne devrais pas avoir à vous demander la lampe... Que ce soit la dernière fois, n’est-ce pas ?...
En allumant la lampe, cette lampe qui ne peut se réparer qu’en Angleterre, j’avais envie de crier au pauvre Monsieur :
– Attends un peu, mon gros, et ne crains rien...
Et ne te désole pas. Je t’en donnerai à boire et à manger des parfums que tu aimes et dont tu es si privé... Tu les respireras, je te le promets, tu les respireras à mes cheveux, à ma bouche, à ma gorge, à toute ma chair... Tous les deux, nous lui en ferons voir de joyeuses, à cette pécore... Je t’en réponds !...
Et, pour matérialiser cette muette invocation, en déposant la lampe sur la table, je pris soin de frôler légèrement le bras de Monsieur, et je me retirai...

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Un domestique, ce n’est pas un être normal, un être social… C’est quelqu’un de disparate, fabriqué de pièces et de morceaux qui ne peuvent s’ajuster l’un dans l’autre, se juxtaposer l’un à l’autre… C’est quelque chose de pire : un monstrueux hybride humain… Il n’est plus du peuple, d’où il sort ; il n’est pas, non plus, de la bourgeoisie où il vit et où il tend… Du peuple qu’il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve… De la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux, sans avoir pu acquérir les moyens de les satisfaire… Et les sentiments vils, les lâches peurs, les criminels appétits, sans le décor, et, par conséquent, sans l’excuse de la richesse… L’âme toute salie, il traverse cet honnête monde bourgeois et rien que d’avoir respiré l’odeur mortelle qui monte de ces putrides cloaques, il perd, à jamais, la sécurité de son esprit, et jusqu’à la forme même de son moi…
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- Oh ! Monsieur !… Si Madame vous voyait ?…
Il se troubla encore, mais comme nous étions séparés de la maison par un épais rideau de châtaigniers, il se remit vite, et crâneur maintenant que je devenais moins sévère, il clama, avec des gestes dégagés :
- Eh bien quoi… Madame ?… Eh bien quoi ?… Je me moque bien de Madame, moi !… Il ne faudrait pas qu’elle m’embête, après tout… J’en ai assez… j’en ai par-dessus la tête, de Madame…
Je prononçai gravement :
- Monsieur a tort… Monsieur n’est pas juste… Madame est une femme très aimable.
Il sursauta :
- Très aimable ?… Elle ?… Ah, grand Dieu !… Mais vous ne savez donc pas ce qu’elle a fait ?… Elle a gâché ma vie… Je ne suis plus un homme… je ne suis plus rien… On se fout de moi, partout dans le pays… Et c’est à cause de ma femme… Ma femme ?… c’est… c’est… une vache… oui, Célestine… une vache… une vache… une vache !…
Je lui fis de la morale… je lui parlai doucement, vantant hypocritement l’énergie, l’ordre, toutes les vertus domestiques de Madame… À chacune de mes phrases, il s’exaspérait davantage…
- Non, non !… Une vache… une vache !…
Pourtant, je parvins à le calmer un peu. Pauvre Monsieur !… Je jouais de lui avec une aisance merveilleuse… D’un simple regard, je le faisais passer de la colère à l’attendrissement. Alors il bégayait :
- Oh ! vous êtes si douce, vous… vous êtes si gentille !… Vous devez être si bonne !… Tandis que cette vache…
- Allons, Monsieur… allons !…
Il reprenait :
- Vous êtes si douce !… Et cependant… quoi ?… vous n’êtes qu’une femme de chambre…
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Joseph est chargé de tuer les poulets, les lapins, les canards. Il tue les canards, selon une antique méthode normande, en leur enfonçant une épingle dans la tête… Il pourrait les tuer, d’un coup, sans les faire souffrir. Mais il aime à prolonger leur supplice par de savants raffinements de torture ; il aime à sentir leur chair frissonner, leur cœur battre dans ses mains ; il aime à suivre, à compter, à recueillir dans ses mains leur souffrance, leurs frissons d’agonie, leur mort… Une fois, j’ai assisté à la mort d’un canard tué par Joseph… Il le tenait entre ses genoux. D’une main il lui serrait le col, de l’autre il lui enfonçait une épingle dans le crâne, puis tournait, tournait l’épingle dans le crâne, d’un mouvement lent et régulier… Il semblait moudre du café… Et en tournant l’épingle, Joseph disait avec une joie sauvage :
- Faut qu’il souffre… tant plus qu’il souffre, tant plus que le sang est bon au goût…
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Vidéo de Octave Mirbeau
Le livre est disponibles sur editions-harmattan.fr : https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_ecrivains_decadents_et_l_anarchisme_une_tentation_fin_de_siecle_alexandre_lecroart-9782336410142-78065.html ___________________________________________________________________________
La fin du XIXe siècle est marquée par une série d'attentats anarchistes. Ces actes récoltent le soutien d'écrivains d'avant-garde comme Paul Adam, Octave Mirbeau et Rémy de Gourmont. Ces affinités avec l'anarchisme étonnent, venant d'écrivains résignés et élitistes qui rejettent la politique au profit de la littérature. Cet ouvrage examine l'influence qu'a exercée l'imaginaire de la décadence sur ces écrivains. Véritable mythe de la fin du siècle, la décadence donne naissance à une esthétique littéraire : le décadentisme. Mais elle agit également sur les anarchistes, qui y voient l'occasion de faire émerger une société nouvelle. Cette analyse jette ainsi un regard nouveau sur les liens entre politique et littérature. La bombe et le livre se superposent, l'utopie anarchiste et l'imaginaire décadent se télescopent. Ce cocktail détonnant laisse entrevoir une intense période de création littéraire et d'ébullition politique. Il questionne les représentations du progrès et de l'histoire, et signale l'émergence de l'artiste d'avant-garde, révolutionnaire en art et en politique.
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Bonnes lectures !
Crédit : Rudy Matile, la prise de son, d'image et montage vidéo
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