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Ce bref roman en trois actes correspond à merveille à une citation que j'ai glanée ici sur ce site : « Sésame et Les lys de John Ruskin : un livre est essentiellement une chose non parlée, mais écrite, et écrite dans un but non de simple communication, mais de permanence ».

Le travail de Christina Mirjol n'est pas tant de communiquer sur cet homme, un sans abri qui parle à son caddie, mais vise la permanence de l'humanité, fût elle blessée par la rudesse de la vie. L'autrice écrit, dans un style à la fois théâtral et poétique un texte à la fois glaçant et chauffé à blanc comme « un sanglot qui revient du fond du lac » (p. 42). Ce qui surprend c'est l'absence de colère manifeste et la sublimation de « ce sursaut de vie qui [lui] est indispensable » (p. 86).

La superbe couverture est réalisée d'après une photo de 2012 de Paul Fave. le roman est précédé par une préface pertinente et émouvante signée Joseph Danan. Celui-ci fait d'ailleurs le rapprochement avec « Si c'est un homme » de Primo Levi.

Magnifique ! Juste magnifique !

Pour clore mon billet qui se veut incitation sincère à la lecture, voici encore une citation : « L'homme à la jambe démente et le petit caddie cahotent en bas de la rue, dans la nuit intolérable. Sous le grand vide cosmique, il dansent comme des étoiles, brinquebalant leur malheur devant un parterre de témoins » (p. 44). Une belle performance pour une véritable permanence littéraire.
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Un homme de Christina Mirjol est un petit livre de 123 pages seulement, mais un livre qui marque. D'abord par son écriture, fine, élégante, sobre, poétique et très expressive mais aussi par le thème abordé : la vie d'un invisible, la vie d'un de ces hommes parmi tant d'autres, un sans-abri. Un de ces hommes que nous avons tous croisé un jour. L'auteure que je découvre ici, propose un roman qui sort des sentiers battus par sa façon d'aborder le sujet.
Son livre se compose de trois chapitres. Un premier nous présente cet homme, qui marche et doit, chaque jour chercher une place pour dormir sous ses cartons, le choix de ce lieu étant primordial. le deuxième se déroule en 2012, où l'hiver avait été tardif et février un mois glacial. Sur l'Esplanade de la Grande Bibliothèque, un couple se rendant au cinéma et cherchant à se protéger du froid en attendant l'ouverture des portes va croiser cet homme aux vêtements étriqués et éprouver aussitôt de l'empathie pour celui-ci. Cette pensée du couple retranscrit parfaitement ce qui les sépare de cet homme : "Ô combien sont disjoints notre attente et la sienne, notre propre abattement et sa relégation !"
Dans le dernier chapitre qui représente plus de la moitié du roman et intitulé L'homme et le caddie, l'écrivaine nous entraîne dans un fabuleux et incroyable soliloque avec ce dernier. Bluffant de vérité et de réalisme.
Si un homme parlant à un caddie peut paraître au premier abord un peu loufoque et surréaliste, on s'aperçoit bien vite que pour lui qui est constamment seul, ce caddie lui est devenu indispensable et représente sa planche de salut. Car c'est, cet assemblage de ferraille sur roulettes, abandonné pour vétusté qui lui sert d'appui, n'ayant plus qu'une jambe valide et c'est lui qui transporte ses cartons et sa modeste sacoche. Autrement dit, c'est un compagnon fidèle et qui est en quelque sorte le réceptacle de tout son ressenti et qui se fait l'oreille de sa vie. Quelle peur d'ailleurs, lorsque l'ayant lâché par maladresse dans une rue en pente, ce dernier va aller s'écraser au bas d'une volée d'escaliers. Par chance, il le récupèrera mais quelle difficulté, ensuite pour remonter ces escaliers, d'autant que le froid glacial qui sévit a complètement détérioré la garniture plastique qui permettait d'isoler le métal pour les mains. J'ai peiné à marcher avec lui et souffert du froid avec lui, n'arrivant pas à réchauffer mes mains, ayant du mal comme lui à les mouvoir pour tenter de les mettre sous mes aisselles pour les réchauffer tant l'auteur a rendu vivant ce personnage sans nom !
Christina Mirjol fait preuve d'un réalisme et d'une extrême sensibilité dans l'évocation de cet homme perdu dans sa solitude au milieu d'autres humains qui ne le voient pas. Mais combien sont-ils ces hommes dans la même situation, ces hommes, ou ces femmes d'ailleurs, devenus des ombres que l'on ne voit plus ou qu'on ne veut plus voir ? Faut-il être confronté aux mêmes périls, ici le froid, pour s'apitoyer ? Et si demain, nous nous retrouvions dans la même situation qu'eux, la précarité peut vite advenir, deviendrions-nous, à notre tour, invisibles ?
Un livre qui interpelle sur notre monde contemporain. Comment est-il possible au XXIe siècle, que des hommes soient ainsi abandonnés ?
Pas d'action, pas de suspense, pas de pathos non plus dans cet ouvrage mais la bouleversante description de ce que vit un trop grand nombre d'humains.
Un homme a été pour moi un véritable coup de coeur et je remercie Christina Mirjol pour avoir su donner une voix à ces invisibles. Un livre que je recommande vivement.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Petit livre étonnant, bourré d'émotions et de réflexions bien senties, Un homme, de Christina Mirjol, m'a mis en présence d'un homme, une personne qui vit dans la rue et lutte comme elle peut contre le froid très vif et l'indifférence.
Trois parties rythment ce livre. D'abord, l'autrice présente cet homme puis ce sont un homme et une femme, en ce mois de février 2012 glacial qui veulent aller voir un film à la Grande Bibliothèque et aperçoivent cette personne réfugiée dans un endroit abrité. Elle n'est pas habillée pour résister au froid et attend de pouvoir accéder aux toilettes de l'établissement public. Il est tôt et le film débutant à 11 h15, les portes sont closes. Quand elles ouvrent enfin, le couple entre et l'homme tient la porte pour que le malheureux puisse entrer avec son caddie et sa jambe raide qui le gêne beaucoup pour se déplacer.
À ce moment-là, débute la troisième partie, la plus longue mais la plus émouvante, terrible parfois. C'est l'homme, dans le froid, qui parle à son caddie. Ce caddie, petit chariot avec sacoche pour faire les courses, il l'a trouvé sur un tas d'ordures, jeté là alors qu'il est en parfait état.
Il m'a ainsi fait partager toutes ses souffrances, toutes ses difficultés pour survivre et en même temps donné une formidable leçon d'optimisme. Quelle force, quelle volonté, malgré le froid, le gel, la glace ! Plusieurs réflexions bien senties émaillent le roman avec de très justes impressions, de souvenirs que Christina Mirjol a su parfaitement écrire tout en douceur et une efficacité remarquable.
De nos jours, il y a encore trop d'hommes et de femmes qui tentent de survivre dans la rue, personnes que nous pouvons croiser sans vraiment les voir. Au moment où j'écris ces lignes, nous sommes confinés et soudain, nous nous demandons comment protéger les sans domicile fixe, les SDF… Ce livre leur rend hommage et surtout ouvre nos yeux avec tellement de délicatesse que je suis heureux d'avoir pu lire un tel bouquin qui aurait mérité qu'un grand éditeur le mette en valeur !
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"On est bien peu de chose..."

... si on veut croire la célèbre rose sur parole. En tout cas, S. Zweig, pour qui j'ai beaucoup d'estime, pense un peu comme elle. Dans une de ses nouvelles, il s'interroge sur ce qui reste de l'homme, s'il est dépouillé de tout son vernis social, et doit affronter des choses aussi primaires que la faim, le froid ou la fatigue... car face à ces besoins essentiels, il a tendance à oublier tout le superflu. C'est alors uniquement à lui de garder encore sa force de raisonner, sa volonté, sa dignité humaine. Est-ce seulement possible ? A quoi pense t-on dans ces moments-là ?

La préface d'"Un homme" est belle, mais c'est la description de quelques photos d'oiseaux qui passent l'hiver en ville qui donne la véritable note du départ et fait office d'un prologue original.
C'est bien peu de chose, un oiseau en hiver. Une cavité pour se protéger, une main qui veut bien lui jeter quelques miettes sur le béton. Une bête du bon Dieu, qui vit au jour le jour. En faisant confiance, et en gardant l'espoir que "tout ira"...

Ce livre n'analyse pas les problèmes de la société, ne s'indigne pas, ne dénonce pas. Ne fait pas appel à la charité, et pourtant, sans le pathos inutile, vous trouverez un tas d'interrogations quelque part derrière les lignes de cette histoire simplissime.
Il fait très froid, et le cinéma est encore fermé. On est chaudement habillé, mais l'attente est longue, et le vent glacial prend le dessus; on s'impatiente, et on se plaint. Enfin que ça ouvre...
L'homme n'est pas chaudement habillé, et il ne dit rien. La rencontre est presque trop brève; une main qui retient la porte, pour le laisser entrer, les yeux qui retiennent son image.

Le reste du livre appartient à cet homme sans abri. Un monologue intérieur/extérieur adressé à lui même, à son corps transi et à son caddie. Ce petit caddie rouge qui contient toutes ses possessions à l'intérieur, et qui sert de béquille, car cela fait longtemps que cette damnée jambe ne veut plus obéir aux ordres. C'est un auditeur attentif... sans doute le seul.
Ce soliloque presque théâtral nous fait vivre quelques instants avec l'homme : on constate, on s'interroge, on se répète, on perd le fil, on se répète encore, on radote...
Les choses ridiculement simples deviennent des contraintes inimaginables. Monter l'escalier. Trouver une place à l'abri. Se réchauffer les mains.
Tout converge vers une fin inattendue, presque risible, si elle n'était pas aussi tragique. Mais toujours, cette étrange dignité, même dans la déchéance.

"... bientôt nous arrivons. Nous arrivons, dit l'homme."

On est bien peu de chose, et pourtant, on a cette volonté qui permet d'accomplir bien des choses. Inutile de croire à ces citations creuses qui disent que si tu veux quelque chose, tout l'univers se mettra en marche pour que tu l'obtiennes. L'univers se fiche éperdument de votre petite personne. Vous ne réussirez pas à chaque fois. Mais vous pouvez toujours faire de votre mieux. C'est peut-être ça, l'homme...

Un beau récit. Cinq étoiles ou presque, rien que pour ce passage de la montée de l'escalier.
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« Quant à leurs yeux, regarde, ils nous ignorent, tu vois, mais c'est presque de bonté…d'ailleurs ils se détournent. D'ailleurs ils partent déjà, c'en est presque fini ».

Avez-vous déjà essayé d'imaginer les pensées d'un Sans Domicile Fixe ? Sa solitude, ses souffrances, sa survie, son épuisement ? Ses efforts pour garder un peu de dignité, de courage ? Avez-vous déjà essayé de ressentir sa honte ? Son décalage face à la vision de nos conforts, de nos empressements, de notre bien-être, de nos petits soucis, de ce Nous qui fait société ? de ce qu'il peut vivre la nuit, nuit dont il sortira par chance indemne, puis lors de ce vent de lumière à l'aube lorsque les membres sont complètement transis ? de l'épopée que représente la recherche de simples toilettes ?

« Rien que ça. de pisser. de pisser là, dit-il. Assis là, tu sais bien. Même pas ce plaisir-là. C'est pas de chance, tu le sais car c'est notre plaisir. Pisser ici, tu vois, sans devoir se presser, tranquillement et tout seul, sans être dérangé, loin de toutes ces présences qui sont là et nous épient, à chaque fois qu'on est dehors, dehors bien sûr, dehors, qu'on pisse dehors, dehors, au milieu de ceux-là qui défilent dans nos jambes, qui s'attardent constamment, qui passent, qui passent, qui n'arrêtent pas de passer, tandis qu'on se dépêche, qu'on a peur de gêner, et alors qu'on a honte et qu'on ne peut même pas être seul et se cacher ».

Christina Mirjol, que je découvre avec ravissement, a réussi le tour de force de se mettre littéralement à la place de, à la place d'un homme, avec tout ce que ce titre contient de dignité et de bonté, en une écriture ciselée et poétique, une réflexion subtile et sans pathos, et une émotion à fleur de peau. Un homme qui parle à son caddie en une logorrhée empreinte de tant d'humanité et de vérités. Elle narre la rencontre avec un invisible, un SDF devant affronter les morsures du froid glacial, la douleur, la faim. Elle narre la rencontre éphémère d'une femme avec cet homme. Un homme. Comme il en existe tant dans les rues de nos villes, au sein de replis aux formes foetales, et dont on ne parle que si peu, démunis que nous sommes au mieux, indifférents au pire. A la fois si proches de nous et si radicalement étrangers.

« Il était comme une plaie enveloppée de cartons et de morceaux d'étoffe qu'on avait oubliée ».

L'auteure a l'audace de faire basculer le récit. Elle part tout d'abord des pensées de cette femme qui va au cinéma avec son mari dans le froid glacial, puis renverse subitement ce point de vue classique pour nous plonger dans les pensées de cet homme qu'elle a entraperçu. Un face-à-face entre deux mondes, une main tendue, du moins qui ouvre la porte. Pour l'homme il s'agit d'accepter cette main, sans perdre sa dignité. Sans se faire remarquer aussi dans ce monde qui n'est pas celui de l'homme, étant entendu que les autres habitent partout et que leurs possessions se déplacent avec eux. Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien…Mais ce face à face sera de courte durée, malgré l'empathie de la femme (de l'auteure nous pouvons nous le demander) et son dessillement, l'homme va reprendre son errance, cette errance qui lui colle aux jambes, « nomade jusqu'au sang », et subir une nouvelle humiliation. Seul.

« Ces nuits de pure défaite ne prodigueront jamais aucun conseil à l'homme qui se réveille en boule, effrayé à l'idée de devoir se lever, de devoir déplier ses membres cadenassés, qui, une fois libérés, iront frayer sans but ».

Le fait de faire commencer le livre par les pensées de la femme permet d'amplifier ensuite la tragédie que vit le SDF et de ne pas oublier que nous ne sommes pas de vraies victimes tant que nos vies conservent une certaine forme de légèreté… « Nos vies sont si légères qu'elles peuvent à tout moment voler vers un café, une tasse de chocolat ». C'est une bascule qui apporte beaucoup au récit, d'autant plus que nous attendons une sorte de happy end, pourquoi pas une action de cette femme vers le SDF. Christina Mirjol a imaginé une autre fin et j'ai aimé ce récit sans concession d'un réalisme froid.

A noter la très belle préface de Joseph Danan et la description de quelques photos d'oiseaux qui passent l'hiver en ville donnant l'élan à ce touchant récit intimiste où Christina Mirjol donne voix à l'homme, cet homme, jamais écouté, si peu entendu. « Ecrire pour faire parler, faire entendre des voix appelées à s'éteindre, je ne saurais donner une plus juste définition à mon acte d'écrire ». Quelle magnifique plume au service d'une si belle mission ! Un projet littéraire qui se fait troublant geste d'humanité…
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"Perché au bord du toit, l'oiseau regardait l'homme et suivait son manège, chaque matin."


Un oiseau? Un merle, un moineau, une bergeronnette?... Peu importe, le gai pinson sait qu'il trouvera toujours une miette de pain, que quelqu'un lui tendra... la main. Contrairement à cet homme, ce pauvre hère qui traîne sa jambe, dans ce froid terrible...


Le bec de l'oiseau émet un appel. Cui cui."Peut-être un cri plaintif."


Un couple attend l'ouverture d'un cinéma. Sur l'esplanade, il n'y a qu'eux et "le silence et le froid. L'air est glacial."


C'est alors qu'ils remarquent le SDF. "Le pauvre homme est gelé. Ses mains n'ont pas de gants. Sa veste est une veste d'été."


Le couple va tenir les portes ouvertes, pour laisser entrer le pauvre diable, avec son caddie, car il boîte.


Et peut être parce qu'on s'est soucié de lui (depuis si longtemps, personne ne le regardait plus, d'aucuns s'en détournaient, et tous l'évitaient...) l'homme blessé se met à parler.


A parler? A soliloquer... comme une pauvre loque, avec son caddie. L'homme n'a plus de compagnon ou d'ami, ( ni de famille?)
Il n'a plus rien, sauf... un bout de trottoir!
L'homme lorgne sur son bout de macadam, le sien! " Aucune place, aucune autre, sur la totalité des places de l'esplanade, dans ce froid, ne la vaut."... " Et elle est au SOLEIL"...


C'est un joli livre poignant et très poétique malgré le sujet. Il faut du talent pour écrire, aussi brillamment, sur ce sujet de société...


L'auteure est une amie Babeliote: "chris49" qui a obtenu le prix " Renaissance de la nouvelle", en 2012, avec "Les petits gouffres" et le prix "Thyde Monnier, la SGDL", en 2008, avec " Suzanne ou le récit de la honte."


Le 3 mars, la fondation Abbé Pierre a décerné les "Pics d'or" aux dispositifs anti-SDF devant les devantures de boutique, pour les empêcher de s'y coucher...
"Des champignons de Paris aux " Rails de métal", à Lyon ou de "Gros plots d'acier", à Lille, devant la MAE...mutuelle pour l'enfant et la famille! Personne ne veut voir un SDF, dénonce la fondation Abbé Pierre....
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Avez-vous vu ces notes après la préface à propos des oiseaux ? Les avez-vous lues attentivement ? Presqu'un poème. Nécessairement plus qu'une description de photographies d'oiseaux dans le froid... Voilà le décor de l'oeuvre planté, voilà la métaphore première de la fragilité humaine privée d'un logis, d'un abri, comme ces frêles oiseaux sous la neige. Voilà le premier regard, la première voix à l'oeuvre dans le texte.
Car l'homme et le froid sont bien les fils conducteurs de ce récit qu'accompagnent ci et là, quelques oiseaux frileux.
Ce sont, avec ce texte préliminaire, quatre regards, quatre voix, quatre dires qui forment ces quelques instants de la vie de l'homme. Jamais les mots itinérant, mendiant, SDF, vagabond, clochard, sans-abri..., jamais aucun de ces mots qui dégradent n'est utilisé pour le qualifier puisqu'il s'agit d'un homme... simplement.
Avec la seconde voix - 1re partie du récit, un narrateur externe raconte l'éveil de l'homme dans le jardin de la BNF - décor imposant ouvert aux vents.
La troisième voix raconte comment un couple aux prises avec le froid va simplement porter attention à cet homme qu'ils croisent transi puis lui tenir la porte que celui-ci puisse se réchauffer dans le hall d'un cinéma. Regard omniscient qui nous rapporte les émotions et le cauchemar qui s'ensuit de la femme qui l'épie.
La quatrième voix est celle de l'homme lui-même, démuni, aux prises avec sa jambe handicapée et son dénuement. Il s'agit d'un monologue à la Beckett, oserais-je dire, entre l'homme et son caddie où l'humanité réduite à sa plus simple expression reprend toute l'action déjà décrite mais cette fois-ci au ralenti, dans l'effort sinon la souffrance du malheureux.

C'est dans le choix des mots que Christina Mirjol nous partage toute sa compassion et plus encore la lumière, l'illumination que produit le combat de cet homme avec la vie. C'est avec son art de découper l'action, de répéter les moindres réflexions du monologue, de s'attarder pour finalement faire cheminer bien doucement le récit d'un petit geste à un autre que l'auteure nous livre une vision enluminée et quasi hagiographique de l'existence, de l'humain réduit à sa plus simple expression : malgré tout... avancer.

Un texte fort, à l'écriture travaillée autour de sa sincérité au point de sembler tout naturellement vécu.
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A part quelques recueils d'Alain Fleitour, c'est la première fois que je lis un livre dont l'auteur se trouve sur Babel. Christina Mirjol alias Chris49.
Une citation de Sonatem a suffit à me rendre ce livre indispensable tant le thème et l'écriture me parlent.

Le thème d'abord.
Un homme, enfin un invisible, un qui dérange. de ceux qui font tourner la tête, de ceux qui font faire un détour ou encore regarder ses pompes. Un homme qui fait peur car il rappelle à chacun que la déchéance guette tout le monde, qu'un rien peut enclencher l'engrenage et que tout peut aller très vite dans la descente aux enfers. Un homme qui fait peur car dommage collatéral d'un système où la plupart d'entre nous est capable d'accepter tout et n'importe quoi, jusqu'à l'inacceptable, pour ne pas en sortir.
Un homme qui inquiète et qui dénote dans le monde merveilleux virtuel que l'on nous vend à longueurs de pubs, d'infos ou de jeux télé débiles, un homme que les centres- villes veulent effacer des écrans (ceux qui nous surveillent).
Bref, vous l'aurez compris, le thème d' « Un homme », c'est la condition du sans abris, de celui qui par sa solitude, sa peur et sa détresse paye au prix fort les incohérences d'une civilisation.

Christina Mirjol donne dans un premier temps la parole à un couple (le sien?) « normal » qui ne tourne pas la tête même si comme souvent le premier réflexe est de ne pas vouloir voir. Un sourire, une parole, un geste, les trois peut être,,, ou pas, Et puis le retour à la maison, bien au chaud quand il fait si froid dehors et puis une pensée pour l'autre,,, ou pas, et un sentiment de malaise, de culpabilité, d'impuissance,,, ou pas.
Ensuite vient le couple maudit, le sans abri et son caddy. Monologue de l'homme qui s'adresse à ce bout de féraille. Bout de féraille qui offre sans pudeur la vie de l'homme, enfin ce qu ‘il en reste, à la vue de tous.
Je n'en dirai pas plus sur le contenu du livre, parce que j'aurais trop de choses à dire en rapport aux situations et à l'échelle des priorités des uns et des autres.
A chacun d'aller y voir, ou pas… (allez y).

L'écriture maintenant.
Pour tout dire je suis assez partagé. Autant la première partie, trop courte à mon avis (certainement parce que c'est celle que j'ai préféré) emporte tout sur son passage, tant par sa poésie, son style et son fond, autant je me suis « perdu » ensuite, surtout dans le monologue, avec des répétitions parfois à la limite de « mon » supportable.
Quoi qu'il en soit, le ressenti des uns et des autres est bien rendu et si chaque perception est différente selon nos histoires et nos sensibilités, le fond du bouquin s'il n'en fait pas un grand livre, en fait un livre utile pour lutter contre l'oubli, l'égoïsme, la peur et contre tant de choses qui font que les hommes se déshumanisent un peu plus chaque jour.
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Un livre qui dérange, comme dérange le sans-domicile-fixe (dérangeant tellement qu'on l'a raccourci en SDF, ce qui est tout de même plus convenable que ne l'était la version gaie du clochard, illustrée jadis par Michel Simon ou chantée par Gabin).
L'intrigue est minimaliste, la rencontre imprévue est brutale : « Dans ce matin glacé, nous sommes chaudement vêtus, quant à l'homme il grelotte dans des vêtements légers d'une minceur désarmante… » Que faire ? Que dire ? Lui tenir la porte de la galerie commerciale quand elle finit par s'ouvrir, attendre patiemment qu'il ait réussi à entrer en traînant derrière lui sa jambe paralysée, s'effacer en lui jetant un dernier regard à la dérobée, se réfugier dans la salle de cinéma, rentrer chez soi, ne pas réussir à le chasser de son esprit et imaginer le quotidien de cet intrus « saboteur des dîners entre amis ». le regarder traîner avec lui un caddie qui renferme tout son dérisoire patrimoine, et l'entendre confier à cet unique confident ses pensées et l'immensité de ses souffrances. C'est très bien écrit, absolument glaçant, et de telle façon que cet homme anonyme et silencieux, de ceux dont d'ordinaire on n'ose affronter le regard, devient par la magie de ce texte un héros homérique. Sa lutte permanente pour survivre éclipse tous les fades super-héros Marvel qui hantent nos cinémas.
Si vous n'en sortez pas avec un énorme sentiment de culpabilité, c'est que vous êtes de la trempe de ceux qui vont voler des masques à l'hôpital pour les revendre au marché noir. Mais vous qui me lisez, moi qui ai lu Un homme, nous ne sommes pas comme ça, nous avons des élans, parfois. Une piécette, un billet les jours de fête, « que font donc les services sociaux de mes impôts ? » les mauvais jours, et nous passons à autre chose. Il faut bien vivre (comprendre oublier) parce qu'au final, et on s'en rend compte au fur et à mesure que notre terminus personnel se rapproche, nous sommes bien seuls avec nos petites misères, nos espoirs déçus et notre angoisse devant le sablier qui se vide trop vite.
Ce roman nous parle de solitude, de misère extrême et nous fait rêver de solidarité. Pas de la solidarité de pacotille où on applaudit en choeur à vingt heures et où on signe à tour de bras des pétitions. De celle qui coûte et qui exige un vrai sacrifice. Celle qui, par exemple en réponse à l'idée de verser une prime à ceux qui sont encore au travail, verrait ceux qui applaudissent se lever et dire : nous allons nous cotiser pour financer cette prime. Ca pourrait commencer au sommet de l'Etat et puis cascader dans toute la société : le président, le gouvernement, les élus, les anciens présidents, les anciens ministres, les hauts fonctionnaires, les salariés à l'abri chez eux et les retraités.
Populiste ? Oui, oublions. Si tout le monde devenait réellement solidaire, qui se dévouerait pour maintenir à flots les pêcheurs de homards, pour éviter aux producteurs de champagne de boire le calice jusqu'à la lie, pour continuer à porter haut les couleurs de la haute couture, pour empêcher une sortie de route de l'automobile de luxe ou pour continuer à faire briller de tous ses feux la joaillerie ? Un député nous expliquait, il y a peu, qu'avec deux cent-cinquante euros on n'arrivait plus à faire un repas correct (et encore, sans le vin). Vous voyez bien que ma proposition confine (le mot de la semaine) à la folie.
Non, l'urgence, la vraie, c'est que les milliardaires du ballon rond retrouvent vite le chemin des terrains, qu'on puisse enfin s'entasser dans les stades avec nos peintures de guerre sur le visage pour avoir une chance de passer à la télé et se sentir moins seuls. Tandis que, confiné et solitaire, je parle à mon clavier d'ordinateur de L'Homme qui parlait à son caddie, j'imagine, qu'à l'hôpital, en réanimation, tout le monde retient son souffle pour que les malades retrouvent le leur. Pendant qu'à la maternité, de nouveaux destins s'éveillent en criant, on n'entend que des chuchotements à la morgue voisine. Notre comédie humaine n'est qu'une ignoble tragédie. Nous nous efforçons de ne pas le voir pour continuer à jouer nos petits rôles. Christina Mirjol met en lumière l'invisible, donne la parole à l'inaudible et fait tomber nos masques. Le choc est brutal, aurez-vous le courage de l'affronter ?
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Un hommeChristina Mirjol*****
Il y a des rencontres qu'on imagine et qui n'arrivent jamais, d'autres qu'on croit attendre mais à peine arrivées qu'elles s'en vont et on les laissent partir sans rancune sans regret. Il y en a d'autres qui nous font sentir que de tous les fils qui nous unissent, humains et non humains, certains sont précieux, ils se font ressentir comme un trouble et une envie d'y aller d'entrer dans la porte qui s'ouvre. le temps c'est un moment, l'espace va jusqu'à l'horizon et au-delà, et le temps racontera la suite. C'était ma rencontre avec Un homme, roman de Christina Mirjol, préfacé par le poète Joseph Danan.
Sans attente précise, la qualité de sa présence a ouvert un avenir, pas celui qu'on fixe à l'avance mais celui qu'on ressent, qui ne fait pas de promesses qui s'ouvre tout simplement.
Un livre qui m'a fait hurler de colère, contre le vent glacial qui s'engouffre dans des corps sans protection, contre l'indifférence qui se cache honteusement sous des masques ridicules, contre l'impuissance devant les misérables, et colère contre cette réalité qui continue d'exister. Mais l'amour que j'y ai trouvé est plus fort que ma rage, un amour immense que je garde pour les invisibles, les mis à l'écart, les oubliés.
Une pièce en trois actes où le personnage, un homme sans abri dans le froid glacial de février 2012, reste seul sur la scène, entouré par des passants mais invisible à leurs yeux. Un couple est saisi par cet homme en proie au froid, parlant à son seul compagnon de vie, un caddie. Les gens vont au cinéma à la Grande Bibliothèque, l'homme veut juste s'y abriter. « C'est un vent de colère très très noire, je te le dis, et qui vient de très loin. Car ce vent de malheur… qui est furieux, dit l'homme, qui n'a pas d'autre but, ce vent qui est furieux voudrait bien s'engouffrer, s'engouffrer dans une fissure. Ce vent voudrait bien s'engouffrer. »
Christina Mirjol, dans son écriture, sait cacher cette colère et rendre géante d'humanité une « vie minuscule ». Elle construit une tragédie d'où le pathos est éloigné. Les phrases sont courtes, des questions sans point d'interrogation se succèdent à la recherche de la chaleur, d'un retour qui ne vient pas, un homme parle à son caddie, comme s'il parlait à lui-même, ils sont deux à affronter le vent glacial, et tout aussi démunis. Répétitions de mots et phrases, du courage qu'il essaie de se donner en petits comprimés, en homéopathie, pour y croire, pour que ça fasse du bien, pour confectionner ce courage de rien , dans chaque répétition une énergie nouvelle, chaque répétition ressort enrichie de la chaîne et alimente à son tour la suivante et la renforce et la renouvelle. La loupe agrandit, l'échographie traverse une douleur profonde dont l'homme parle à son corps et à un caddie. Et le temps passe au ralenti, il s'arrête souvent comme paralysé par le froid et par la misère, attendri par un homme et son caddie, tous les deux présents, à peine vivants, complètement invisibles aux yeux des passants. « L'homme à la jambe démente et le petit caddie cahotent en bas de la rue, dans la nuit intolérable. Sous le grand vide cosmique, ils dansent comme des étoiles, brinquebalant leur malheur devant un parterre de témoins. »
« Les uns et les autres...ont besoin de changement et toujours de nouveauté. Leur insatisfaction est permanente, tu vois. Et nous qui sommes ici, perpétuellement logés au bord du même fossé, nous avons la rareté. Nous avons la rareté, dit l'homme à son caddie, sans l'ennui, tu comprends ?… Sans excès. Sans avenir. A force d'aller et venir, de refaire tous les jours ce qu'on a fait la veille, tout, nous le voyons mieux. Tout, nous le faisons mieux. Qui court après l'avenir ne connaît pas comme nous les fabuleuses distances du présent. »
Christina Mirjol est un oeil et une sensibilité, un regard qui saisit le détail, l'agrandit et le fait défiler en images répétées jusqu'au vertige, à l'obsession, jusqu'à ce qu'elles marquent ceux qui passent vite ou les aveugles volontaires. le point ne finit pas la phrase il la poursuit, l'ouvre, la multiplie à l'infini, éveille les endormis, encourage les fatigués, donne un répit à tous ceux qui en ont besoin. Chaque répétition, comme une graine d'espoir et de renaissance, garde debout les humbles, les fragilisés.
Comme « un sursaut de vie » qui nous est à chaque fois indispensable, Un homme l'est aussi, « il y a tant de beauté dans cette nécessité, tant de beauté, c'est vrai, et tant de cruauté. »
« On peut tout reconstruire à partir d'un seul mot, tout reconstruire, dit l'homme. La porte et derrière elle le monde tel qu'il était. »
« … nous arrivons, nous allons arriver. Nous approchons, dit l'homme, grâce à nos tâtonnements, grâce à notre courage... »
Christina, l'éternité fragile se trouve dans Un homme, sa permanence rendue par les mots de la littérature et par le geste humain. MERCI !
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