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sur 786 notes
Tel l'oiseau migrateur qui d'instinct se laisse porter vers des paysages familiers, j'ai retrouvé avec enthousiasme l'univers de Yukio Mishima.

« Confession d'un masque » est un roman intimiste écrit par l'écrivain japonais à seulement 24 ans et s'apparente à une autobiographie de la première moitié de sa vie. Certes j'aurais gagné en cohérence à le lire avant bon nombre de romans qui lui sont postérieurs, mais peut-être alors ne l'aurais-je pas autant apprécié !

Le narrateur, Kochan, est issu d'une famille tokyoïte relativement aisée au sein de laquelle émerge la personnalité étouffante de sa grand-mère paternelle.
De constitution frêle, le jeune Kochan aime se déguiser et les accoutrements féminins ont souvent sa préférence. Il adore regarder les livres d'images et n'aime rien tant que d'admirer les chevaliers intrépides, l'épée levée dans des combats sanglants.
L'année de ses douze ans une image du martyr romain Saint Sébastien, le célèbre tableau de Guido Reni, déclenche son premier émoi incontrôlé et deux ans plus tard il est fasciné par un camarade de classe de constitution athlétique un peu plus âgé que lui.
Alors qu'il souffre d'anémie, il croit son insuffisance sanguine liée à son péché quotidien d'onanisme et va jusqu'à imaginer un rapport inverse entre son « manque de sang » et ses songeries sanguinaires…

Perturbé par la découverte de son homosexualité et gagné par un sentiment de culpabilité, le refoulement de son véritable moi s'impose au jeune homme comme seule échappatoire.
En recherche d'une prétendue normalité, s'imposant l'obligation morale d'aimer une jeune fille, Kochan surnage tant bien que mal dans ses contradictions et ses faux-fuyants.
La personnalité du narrateur, âgé de 20 ans en ce printemps 1945, est à peine moins tourmentée que le ciel de Tokyo où s'intensifient les raids destructeurs des bombardiers américains.

« Confession d'un masque » est un roman rédigé avec intelligence, un formidable plaidoyer pour le droit à la différence. Avec sincérité, sans tabou, Mishima dévoile les pulsions inverties qui taraudent le narrateur depuis son enfance et, par là même, offre un témoignage parfois cru, terriblement réaliste.
La maestria avec laquelle le jeune écrivain s'empare d'un thème aussi sensible fait de ce roman une oeuvre magistrale, incontournable.

C'est le dixième livre de Mishima que je découvre cette année ; pardonnez-moi je vous prie, de souligner une fois de plus la beauté singulière du style de cet écrivain !
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Confession d'un masque est , c'est vrai , un roman sur la douleur d'un adolescent qui fait la découverte de son homosexualité et de la nécessité dans laquelle il se trouve , de faire le tri , de gérer les affects qui découle de ce voyage intérieur nécessaire .

Le texte est assez court et il est aussi absolument nuancé , très dense et ancré en profondeur dans la vie quotidienne d'un japon en guerre .
C'est le japon colonial , avec ses aventures continentales , Corée , Mandchoukouo , la seconde guerre mondiale , et l'effort de guerre qui est la conséquence d'un état de guerre continuelle de 1921 à 1945 finalement .

L'auteur oscille . Il fera lentement et de manière contrite le choix d'être diffèrent et marginal …
Difficile de ne pas « spoiler « donc : motus …

Cependant alors que le personnage principal s'affirmera et qu'il gagnera ainsi de la liberté , il devra aussi renoncer à exister entièrement ( avec intégrité ) d'un point de vue social .
C'est un roman très riche et subtil de ce point de vue .

La machine de guerre japonaise est l'armée par excellence , certes , mais elle est aussi tout un maillage politique , religieux et logistique d'un territoire , de sa population et des institutions privées ou étatiques .
Cette thématique est un vrai sujet dans ce texte . Ce japon (encore largement traditionnel) en guerre , n'est pas une simple tonalité de fond , c'est un véritable sujet , surtout si on connait l'auteur .

C'est une confession autobiographique romancée . L'auteur y aborde son identité de genre , mais aussi les fondements et les rouages qui ont alors commencé à le façonner politiquement , et à l'imprégner de valeurs conservatrices et traditionnelles en cours de modernisation ( avec l'exemple européen) .

C'est pour moi un texte qui porte sur le japon traditionnel en transition vers une modernité qui est foncièrement imprégnée par une impulsion très politique , très impériale , avec une tonalité autocratique .
C'est un témoignage intimement vivant sur le japon en guerre ( le japon profond ) .

C'est aussi évidement la découverte et la gestion d'une identité homosexuelle dans une société traditionnelle très normative , dans un cadre institutionnel non moins normatif .

Un texte puissant , assez court , qui vient démontrer que le tout , est souvent plus que la somme de ses parties .

De quoi parle ce texte ? :

-Du japon traditionnel en transition , et c'est passionnant , car c'est un témoignage de premier ordre qui est d'une finesse exceptionnelle .
-D'un point vue psychologique , je dirais que c'est d'un processus très analogue aux névroses d'intégration en psychologie clinique , dont traite ce texte .
- De l'identité de genre sur un mode confession intime romancée .
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En citation qui ouvre le livre, j'ai découvert sans doute selon moi le plus beau passage écrit et lu jusqu'à ce jour sur la beauté, un extrait du roman Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski. Puissant déjà !
Confession d'un masque est avant tout un texte d'inspiration autobiographique sur l'homosexualité de son auteur Yukio Mishima. Se cachant derrière le narrateur Koshan, l'auteur évoque son enfance, son adolescence, sa jeunesse.
Il m'est difficile de mettre un peu d'ordre dans la confusion de mon ressenti après la lecture prégnante de ce livre. Je vais m'atteler à l'exercice si difficile de démêler mes sentiments, ce que j'ai beaucoup aimé de ce livre et ce que parfois je n'ai pas aimé, ce qui n'en fait pas un sentiment mitigé, mais bien deux ressentis nets et tranchés.
Les premières pages m'ont touchées, le narrateur évoquant la difficulté d'un enfant à assumer une homosexualité qu'il est contraint de refouler dans une société japonaise conformiste aux règles sociales codées et strictes, celle des années 1930 et 1940.
Gamin chétif, maladif, son attirance pour les déguisements de personnages féminins éveillent des plaisirs encore incertains, mais le regard déjà honteux de sa mère lui dévoile déjà une forme d'incapacité à accepter ce qu'il est ou ce qu'il doit être, jouer aux jeux de garçon, jouer gauchement à la guerre.
À l'âge où être enfant convoque l'insouciance, ici les plus lointains souvenirs du narrateur évoquent le chagrin comme déjà le pressentiment amer d'un plus grand chagrin, d'une exclusion à venir.
Devant l'image d'un livre qui représente un beau chevalier tenant une épée, il éprouve de la répugnance lorsqu'il apprend qu'il s'agit d'une femme, une dénommée Jeanne d'Arc ! Plus tard il découvre une sexualité « invertie », - ce sont ses mots, dans l'odeur de sueur de soldats qui passent dans la rue, dans le plaisir procuré par les silhouettes de jeunes hommes à demi-nus sur une plage ou bien encore des images de statues grecques d'une revue de musée que lui prête son père. C'est d'ailleurs devant la gravure d'un martyre chrétien, le célèbre Saint-Sébastien de Guido Reni, qu'il découvre l'éjaculation, scène fondatrice à la fois drôle et touchante. L'enfance, puis l'adolescence vont ainsi se faire, dans cette sexualité refoulée où il se heurte au jugement des autres, face à l'expression de son besoin d'affirmer sa vraie nature, dans ce devoir social où il doit représenter ce qu'est l'image attendue d'un homme, on lui affuble ce déguisement, ce masque qu'il accepte de porter, traduisant ainsi l'impossibilité d'assumer son moi véritable...
Alors grandir est une étrange et déchirante inquiétude. Dans cette impossibilité d'assumer ce qu'il est véritablement, sur ce chemin tortueux, il acceptera même de mêler ses pas au côté de ceux d'une femme...
Confession d'un masque est un texte très beau, très sensible. L'écriture est de toute beauté. La description de paysages d'enfance, la mer, la neige, le ciel de la nuit traversé par les lumières des bombes, ce sont des scènes d'une écriture très poétique.
Dans une société cadenassée comme celle qui est décrite dans le livre, comment ne pas y voir l'éloge, un plaidoyer universel et intemporel à la différence ?
C'est une longue et vertigineuse introspection psychologique sous la forme d'une confession. le masque des convenances tombe, celui des choses refoulées. Vient alors par l'entremise des mots ce coeur qui souffre, qui parle, les affres de l'âme et de sa souffrance, l'expression d'une joie parfois violente aussi dans le désir charnel qu'il ressent...
Il y a quelque chose de prémonitoire aussi lorsque la narrateur évoque le suicide.
Ce sont les confessions d'un masque que le narrateur s'est forgé pour affronter le monde, à commencer par celui des siens, survivre, tenir debout. Aborder la vie comme une scène de théâtre.
C'est un fulgurant et douloureux voyage introspectif d'une extrême acuité. D'une violence sourde aussi.
C'est aussi un texte qui dérange parfois non pas pour son thème, mais par le chemin que le narrateur emprunte parfois dans le dédale de ses émois.
C'est parfois un mélange de fascination et de répulsion qui façonne une lecture puissante et vous fait sortir de votre zone de confort.
Le malaise m'est venu à quelques endroits, lorsque le narrateur associe son désir sensuel et même sexuel à des images de souffrance, de morbidité, de sang et de mort... Mais ce malaise révèle aussi dans l'envers des choses toute la souffrance que l'auteur a pu éprouver dans sa chair presque à vif, cette chair taraudée par des pulsions qu'il tend difficilement à enfouir.
Et puis chez Mishima il y a parfois un côté extrêmement nombriliste dans sa façon d'écrire, qui peut agacer. À force, la confession devient ici narcissique... Mais ne compter pas sur Mishima pour déclencher de l'empathie, quoique les premières pages portant sur l'enfance douloureuse et des scènes pittoresques dans la seconde partie du livre, nous amènent parfois à regarder le narrateur avec émotion. Mais susciter l'empathie n'est pas ce que cherche l'auteur. Il veut nous livrer le monde tel qu'il le ressent, avec son intelligence, son acuité et ses mots.
Tandis que les autres autour de lui sont naturels, il lui faut jouer un rôle, jouer ce rôle jusqu'au bout, l'assumer, jusqu'à la scène finale du livre, comme celle de sa vie digne de la fin d'une tragédie antique.
Un texte âpre, exigeant, dérangeant, beau au final.
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Confession d'un masque est l'un des plus forts roman de Mishima sur un thème délicat, celui de l'homosexualité refoulée. C'est une introspection brillante et douloureuse de l'auteur, qui nous fait vivre un grand moment de lecture qui ne laisse pas indemne le lecteur.

Au travers de ce premier roman autobiographique mais romancé, Kimitake Hiraoka, plus connu sous son pseudonyme Mishima, nous fait le récit de son enfance maladive sous l'emprise d'une grand mère possessive qui le force à rester auprès d'elle, le privant de sa mère. L'auteur se dévoile, enfant chétif, solitaire et rêveur ; puis nous raconte ses années de collège et d'étude . Mais, par dessus tout, Mishima nous fait le récit de son combat intérieur et extérieur contre son homosexualité, découverte avec les premiers émois de la puberté et que l'écrivain va s'attacher à masquer aux autres et à lui même, en s'interdisant ses désirs masculins et ses mauvaises habitudes, en acceptant une romance vouée à l'échec avec Sonoko, possible fiancée.

Cette confession d'un masque est fascinante et édifiante, car elle raconte la manière dont un individu est amené, par le poids de la société, à cacher une partie de ce qu'il est, par le mensonge et sa conviction personnelle que cette différence est une faute qu'il faut combattre. Toutefois, le personnage paie au prix fort les implications du mensonge c'est un combat contre sa nature profonde qu'il mène, combat exténuant qui est de toute manière perdu d'avance, puisqu'il amène la personne à se construire un univers artificiel, prêt à s'effondrer sous le retour de la réalité, ramenant de manière cruelle et définitive la personne à sa propre nature qu'elle s'est efforcée de combatte. Mishima, par le récit de son expérience personnelle, livre un message clair : un homme ne peut pas changer sa nature, au mieux peut il la masquer, ce qui ne saurait être qu'une solution provisoire.

Ce livre est aussi bouleversant, puisqu'il raconte la difficulté qu'a eu Mishima à assumer son homosexualité, ainsi que la souffrance subie du fait de cette homosexualité. On ne peut être qu'attristé de voir les mensonges qu'un enfant et qu'un jeune homme peuvent s'imposer. de plus, cette construction d'une identité parallèle parait compromise et s'écroule cruellement et lamentablement quand, dans la scène finale, l'auteur confronte son désir réel, les hommes virils, à celui qu'il s'était artificiellement créé pour la jeune Sonoko. La confrontation l'amène à voir avec lucidité que son homosexualité l'emportera toujours. Ce livre est donc hautement émouvant.

De plus, l'écriture de Mishima, raffinée et élégante, apporte une puissance émotive et tragique au récit, qui se lit toutefois avec fluidité, l'auteur restant dans une écriture volontairement franche et claire. On est impressionné par la maitrise stylistique de l'auteur pour son premier roman, et de l'audace de publier un roman largement autobiographique sur son homosexualité dans le Japon de l'après guerre, où il fit scandale, la pédérastie étant un sujet tabou. le gout de la transgression de Mishima semble déjà s'affirmer.
Le titre est génialement choisi : Mishima, qui a toujours occulté son homosexualité, la révèle ici dans un roman, faisant les Confession d'un masque. Homosexualité que l'auteur n'assumera d'ailleurs jamais complétement, puisque qu'il se mariera et aura des enfants ( comme de nombreux homosexuels de cette époque...).

Le dernier aspect intéressant de Confession d'un masque est qu'il préfigure les thèmes majeurs que l'écrivain abordera par la suite dans son oeuvre : le tiraillement entre un Japon traditionnel et l'occident, le gout pour les sujets audacieux, l'écriture du désir, l'attirance morbide, l'appétence pour le théâtre...
Ce livre nous donne en outre de précieux renseignements sur la jeunesse de Mishima, et nous donne quelques clés de compréhension pour la lecture de sa trajectoire personnelle et artistique.

Un livre magnifique et douloureux sur un thème délicat, traité avec distinction, honnêteté et douleur par Yukio mishima.
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C'est le deuxième livre de Mishima que je lis (après avoir été introduit à son oeuvre via "Dojoji et autres nouvelles").
Roman que l'on devine aisément fortement autobiographique si l'on compare la vie du personnage principal à celle de Mishima. Une vie sans grand soutien parental, un physique frêle et une santé plus que fragile font sentir dès sa naissance au héros -bien malgré lui- que la vie n'est pas exactement un cadeau (ou un empoisonné alors)... la 'cerise sur la gâteau' étant la découverte de son a-normalité, à savoir son homosexualité combinée à des tendances perverses, voire sadomasochistes. Il s'agit donc de confessions d'un être se sentant obligé de paraître 'normal', et de vivre ce qu'il considère comme une maladie sous les traits d'un masque. D'où le titre du livre ...
Parler d'un livre aussi dense n'est pas aisé; mais un paragraphe résume assez bien la vision que le héros (et donc Mishima) a de sa vie, ainsi que comment il envisage son (tragique) dénouement : "Les raids aériens devenaient plus fréquents. J'en avais une peur extraordinaire et pourtant j'attendais en même temps la mort avec une sorte d'impatience, avec une espérance pleine de douceur. L'avenir était pour moi un lourd fardeau. Dès le début, la vie m'avait écrasé sous un pesant sentiment du devoir. Bien que je fusse de toute évidence incapable d'accomplir ce devoir, la vie me harcelait, me reprochait ce manquement. C'est pourquoi j'aspirais à l'immense soulagement que sans aucun doute m'apporterait la mort si seulement, comme un lutteur, je pouvais arracher de mes épaules le lourds poids de la vie. J'acceptais avec volupté la conception de la mort en honneur pendant la guerre."
On l'aura compris, la vie de Mishima n'avait aucune chance de se terminer en conte de fées... Jusqu'au bout il aura tenu à donner à sa vie (et donc à sa mort) un côté théatral.
Quand j'ai appris que Mishima écrivit ce récit à ving-quatre ans à peine, je fus sidéré par sa maturité à sonder son âme et à analyser avec une telle finesse ses sentiments équivoques.
En résumé, un livre qui n'est certes pas simple à aborder; mais qui mérite le détour pour qui veut en apprendre plus sur les démons et contradictions qui ont hanté la vie de ce grand écrivain qu'est Mishima.

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Nul doute que Kochan, un garçon frêle et chétif, renvoie à Yukio Mishima lui-même. Il a écrit ce livre à 24 ans. Il en a fallu du courage pour laisser tomber le masque et publier ce roman dans le Japon conformiste de l'après-guerre.
Très tôt, Kochan comprend qu'il est différent. Dans la rue, ses yeux se portent sur de jeunes militaires ou des ouvriers, souvent de jeunes hommes bien bâtis. Est-ce cela la perversion ? En 1949 au Japon, probablement.

Kochan va jusqu'à tomber amoureux, mais d'un amour suscité par la beauté de Sonoko qui n'entraîne chez lui aucun désir. Il lui faudra se rendre à l'évidence : embrasser Sonoko n'engendre rien.

Confessions d'un masque se termine de façon abrupte et ne laisse pas le choix : il faut lire d'autres oeuvres.

L'écriture est somptueuse, il m'est arrivé de relire des paragraphes pour le plaisir des phrases.

Lien : https://dequoilire.com/confe..
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Déception.

Je n'ai pas du tout accroché à ce roman de Mishima dont j'avais pourtant déjà apprécié l'oeuvre.

Mishima fait ici le récit (autobiographique parait-il) d'un jeune homme qui repousse d'abord inconsciemment puis consciemment ses pulsions homosexuelles et sa fascination pour le sang et la mort, dans le Japon des années 30 et 40.

Ce n'est qu'introspection, égotisme, nombrilisme j'ai même envie d'écrire. Certes on peut y trouver peut-être une longue méditation sur l'amour, mais moi cela m'est passé bien au-dessus de la tête.

Je retiens juste quelques beaux passages, malheureusement trop peu nombreux, comme celui du contact de la main du jeune homme aimé sur la peau du protagoniste ou celui du ciel de Tokyo les soirs de bombardement.
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C'est un beau roman, complexe, torturé comme son personnage, Kochan, qui développe tout au long de ce texte, les multiples difficultés, angoisses, peurs à mesure qu'il découvre dès l'enfance, puis dans l'adolescence, son attirance pour les jeunes corps masculins, le premier d'entre eux étant figuré par le tableau de Guido Reni du martyre de Saint Sébastien, oeuvre à forte charge érotique, douloureuse et glorieuse, qui va le marquer à vie.

Le roman n'évoque aucune expérience homosexuelle du héros, seulement ses désirs devant les épaules, les aisselles, les torses blancs des éphèbes. Kochan recherche même une normalité en fréquentant une jeune fille, Sonoko, qu'il ne parvient pas à aimer mais avec laquelle il échangera néanmoins un baiser ardent qui ne peut le satisfaire. Il est donc pris en étau dans ses contradictions, recherche d'une norme et impossibilité d'aimer une femme.

Les échanges, les silences, les dialogues entre Sonoko et Kochan sont particulièrement intéressants, observés dans les dimensions respectives des ressentis des deux jeunes. Ils se poursuivront après le mariage de Sonoko, celle-ci continuant de rencontrer Kochan, sans doute dans un besoin inexplicable qu'ils ont de se voir, de se parler, de s'écouter. Leurs rencontres sont toujours très minutées et c'est un peu dommage pour la dernière qui se conclue à la dernière page du livre, avec une certaine frustration pour le lecteur qui aurait souhaité les suivre encore un peu.

L'ensemble se déroule en partie sur le fond de la deuxième guerre mondiale, avec la préparation militaire des jeunes hommes, des références aux avions zéros. Les bombardements des Tokyo du printemps 1945, avec leur nombre impressionnant de victimes, sont évoqués, de même que Hiroshima. Les ambiances familiales concourent à donner une image très prégnante pour le lecteur qui peut quelquefois s'égarer dans ce texte parmi les sentiments perturbés du jeune Kochan.
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Aussi loin que remontent ses souvenirs, Kochan, jeune japonais des années 40 et narrateur de Confession d'un masque, tente de comprendre quel germe implanté au fond de lui-même, quelle force maligne a pu inverser la polarité de ses affinités émotionnelles, au point de faire basculer son être intime dans "l'anormalité".

Avec la conscience adulte de celui qui écrit, et s'adresse parfois directement à son lecteur, Kochan tente de décoder les non-dits. Ce qu'il croyait imposé par une éducation traditionnaliste et puritaine étouffait en réalité une vérité inavouable. Dans ce roman, dont on ne doute pas qu'il puisse être autobiographique, Mishima décortique le lent processus de la prise de conscience d'une différence. Son innocence originelle pressent, puis identifie pour finalement se mortifier de son penchant homosexuel. La révélation s'est insinuée en lui selon un long processus de maturation émotionnelle. Il lui a fait négliger la silhouette bien prise et le soyeux de la peau des filles pour s'émouvoir à la vue du corps masculin.

Les muscles saillant sous une peau glabre, un "physique d'esclave et les traits d'un prince", la représentation du martyr de Saint-Sébastien, sera pour lui un symbole à plus d'un titre. Celui de la beauté du corps de l'éphèbe en premier lieu, le symbole du supplicié pour sa seule différence ensuite. Celui enfin d'un visage tendre et impassible qui a la volonté de ne pas mépriser ses bourreaux et reçoit la mort comme une délivrance.

Une fois avéré et admis, ce mauvais penchant n'inspirera finalement que le dégoût à Kochan. Il se prend alors à attendre alors la mort "avec une sorte d'impatience", convaincu d'avoir découvert "le véritable but de sa vie". Ce désespoir est vécu à la japonaise. Tout en pudeur et discrétion, sans épanchement, encore moins de lamentation. Les traits figés. Comme ceux d'un masque impassible plaqué sur un visage torturé.

Marguerite Yourcenar avait été intriguée par cette quête de l'issue libératrice. Avec Mishima ou La Vision du vide, elle scrutait dans l'oeuvre de cet auteur froid et talentueux les prémices de la mort planifiée de longue date. Mishima a mis un terme à sa vie vingt ans plus tard de la manière la plus violente qui soit. La fascination de Kochan pour le sang, la mort, le suicide sont évoqués à maintes reprises dans cet ouvrage. Sauf peut-être le décorum morbide et spectaculaire avec lequel Mishima passera à l'acte dans la plus pure tradition samouraï, le lecteur ne pourra envisager d'autre épilogue à telle vie de tourments.

Dans un style dépouillé, austère, Mishima décrypte cette sombre alchimie qui l'a rendu incapable de conjuguer sensualité et sexualité, attirance et convenance. Pourtant, de la capacité d'aimer son coeur ne manquait pas. Mais son penchant abhorré, imposé par une volonté supérieure, lui a dérobé la plénitude nécessaire à toute harmonie dans la vie affective.

Ce récit est d'autant plus touchant lorsque l'on sait que l'auteur est allé au bout de ses tendances suicidaires. Il a choisi pour mettre fin à ses jours de s'infliger la sentence traditionnelle de ceux dont l'honneur a été bafoué.

Le texte pourrait souffrir de quelques longueurs si le lecteur ne les percevait pas comme nécessaires à l'imprégnation du malaise vécu par son narrateur. Tout en retenue, cet ouvrage trouve sa beauté dans la pudeur qui l'inspire, même quand son héros y évoque ses "mauvaises habitudes".
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L'homme (comme la femme) ne choisit pas l'objet de ses désirs, il ne choisit pas sa sexualité. Yukio Mishima ne confesse pas une faute, il avoue que malgré tous ses efforts, sa vraie nature est la plus forte. Que porter un masque d'apparence n'apporte que souffrance et déception. Avec Mishima on est derrière le masque et derrière ce masque il y a l'Humain. Il fallait son génie pour analyser et mettre en mots, aussi justement, le tourment de ce jeune homme. Un livre intériorisé qui m'a vraiment touché, et par son contenu, et par la superbe prose poétique de son auteur. Une oeuvre magistrale.
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