En citation qui ouvre le livre, j'ai découvert sans doute selon moi le plus beau passage écrit et lu jusqu'à ce jour sur la beauté, un extrait du roman
Les Frères Karamazov de
Fiodor Dostoïevski. Puissant déjà !
Confession d'un masque est avant tout un texte d'inspiration autobiographique sur l'homosexualité de son auteur
Yukio Mishima. Se cachant derrière le narrateur Koshan, l'auteur évoque son enfance, son adolescence, sa jeunesse.
Il m'est difficile de mettre un peu d'ordre dans la confusion de mon ressenti après la lecture prégnante de ce livre. Je vais m'atteler à l'exercice si difficile de démêler mes sentiments, ce que j'ai beaucoup aimé de ce livre et ce que parfois je n'ai pas aimé, ce qui n'en fait pas un sentiment mitigé, mais bien deux ressentis nets et tranchés.
Les premières pages m'ont touchées, le narrateur évoquant la difficulté d'un enfant à assumer une homosexualité qu'il est contraint de refouler dans une société japonaise conformiste aux règles sociales codées et strictes, celle des années 1930 et 1940.
Gamin chétif, maladif, son attirance pour les déguisements de personnages féminins éveillent des plaisirs encore incertains, mais le regard déjà honteux de sa mère lui dévoile déjà une forme d'incapacité à accepter ce qu'il est ou ce qu'il doit être, jouer aux jeux de garçon, jouer gauchement à la guerre.
À l'âge où être enfant convoque l'insouciance, ici les plus lointains souvenirs du narrateur évoquent le chagrin comme déjà le pressentiment amer d'un plus grand chagrin, d'une exclusion à venir.
Devant l'image d'un livre qui représente un beau chevalier tenant une épée, il éprouve de la répugnance lorsqu'il apprend qu'il s'agit d'une femme, une dénommée
Jeanne d'Arc ! Plus tard il découvre une sexualité « invertie », - ce sont ses mots, dans l'odeur de sueur de soldats qui passent dans la rue, dans le plaisir procuré par les silhouettes de jeunes hommes à demi-nus sur une plage ou bien encore des images de statues grecques d'une revue de musée que lui prête son père. C'est d'ailleurs devant la gravure d'un martyre chrétien, le célèbre Saint-Sébastien de Guido Reni, qu'il découvre l'éjaculation, scène fondatrice à la fois drôle et touchante. L'enfance, puis l'adolescence vont ainsi se faire, dans cette sexualité refoulée où il se heurte au jugement des autres, face à l'expression de son besoin d'affirmer sa vraie nature, dans ce devoir social où il doit représenter ce qu'est l'image attendue d'un homme, on lui affuble ce déguisement, ce masque qu'il accepte de porter, traduisant ainsi l'impossibilité d'assumer son moi véritable...
Alors grandir est une étrange et déchirante inquiétude. Dans cette impossibilité d'assumer ce qu'il est véritablement, sur ce chemin tortueux, il acceptera même de mêler ses pas au côté de ceux d'une femme...
Confession d'un masque est un texte très beau, très sensible. L'écriture est de toute beauté. La description de paysages d'enfance, la mer, la neige, le ciel de la nuit traversé par les lumières des bombes, ce sont des scènes d'une écriture très poétique.
Dans une société cadenassée comme celle qui est décrite dans le livre, comment ne pas y voir l'éloge, un plaidoyer universel et intemporel à la différence ?
C'est une longue et vertigineuse introspection psychologique sous la forme d'une confession. le masque des convenances tombe, celui des choses refoulées. Vient alors par l'entremise des mots ce coeur qui souffre, qui parle, les affres de l'âme et de sa souffrance, l'expression d'une joie parfois violente aussi dans le désir charnel qu'il ressent...
Il y a quelque chose de prémonitoire aussi lorsque la narrateur évoque le suicide.
Ce sont les
confessions d'un masque que le narrateur s'est forgé pour affronter le monde, à commencer par celui des siens, survivre, tenir debout. Aborder la vie comme une scène de théâtre.
C'est un fulgurant et douloureux voyage introspectif d'une extrême acuité. D'une violence sourde aussi.
C'est aussi un texte qui dérange parfois non pas pour son thème, mais par le chemin que le narrateur emprunte parfois dans le dédale de ses émois.
C'est parfois un mélange de fascination et de répulsion qui façonne une lecture puissante et vous fait sortir de votre zone de confort.
Le malaise m'est venu à quelques endroits, lorsque le narrateur associe son désir sensuel et même sexuel à des images de souffrance, de morbidité, de sang et de mort... Mais ce malaise révèle aussi dans l'envers des choses toute la souffrance que l'auteur a pu éprouver dans sa chair presque à vif, cette chair taraudée par des pulsions qu'il tend difficilement à enfouir.
Et puis chez Mishima il y a parfois un côté extrêmement nombriliste dans sa façon d'écrire, qui peut agacer. À force, la confession devient ici narcissique... Mais ne compter pas sur Mishima pour déclencher de l'empathie, quoique les premières pages portant sur l'enfance douloureuse et des scènes pittoresques dans la seconde partie du livre, nous amènent parfois à regarder le narrateur avec émotion. Mais susciter l'empathie n'est pas ce que cherche l'auteur. Il veut nous livrer le monde tel qu'il le ressent, avec son intelligence, son acuité et ses mots.
Tandis que les autres autour de lui sont naturels, il lui faut jouer un rôle, jouer ce rôle jusqu'au bout, l'assumer, jusqu'à la scène finale du livre, comme celle de sa vie digne de la fin d'une tragédie antique.
Un texte âpre, exigeant, dérangeant, beau au final.