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Critique de RogerRaynal


Bon, ici, on est dans la catégorie « poids lourds ». du Nobel en barre, ou peu s'en faut, 1200 pages d'absolu. Une suite de quatre romans qui s'étendent du Japon de 1912 à celui des années 1970. Une fresque somptueuse et parfois dérangeante, écrite avec une virtuosité confinant au génie par un auteur qui n'avait plus rien à prouver, mais tout à dire, comme on écrit un testament, un chant du cygne voulu et assumé.

Les quatre romans décrivent la vie de Shigekuni Honda, un homme dont la vie reflète l'histoire du Japon, qui va tenter de retrouver et d'entrer en relation avec les réincarnations successives d'un de ses amis de jeunesse, le beau Kiyoaki. C'est donc aussi l'histoire d'une amitié absolue, par delà la mort, guidée par le « journal des rêves » que tenait Kiyoaki et dont Honda héritera, s'en servant comme un guide tout au long de sa vie.

Neige de printemps, le premier roman, décrit l'histoire d'amour complexe entre Kiyoaki et la belle Satoko (ne me demandez pas pourquoi, mais je suis tombé amoureux de ce personnage féminin, au point de choisir son prénom pour être celui de l'héroïne de mon propre roman !). le bonheur est à portée des deux jeunes gens, tout semble aller de soi, et pourtant les tergiversations, l'indécision de Kiyoaki, incompréhensibles pour Honda, son ami intime, vont compliquer ce qui semblait si simple, et marquer du sceau de la tragédie cette histoire d'amour entrevue à vingt ans.

Chevaux échappés raconte comment Honda, à trente-huit ans, rencontre par hasard l'athlétique Iinuma, en qui il identifie la réincarnation de Kiyoaki. Iinuma se lancera dans des activités politiques basées sur un mysticisme assumé et un nationalisme forcené. Alors que tout lui souriait, son obstination à faire triompher ses vues le conduira à sa perte, dans les voies de l'honneur. Il est bien difficile au lecteur averti de ne pas voir en Iinuma Mishima lui-même, et l'annonce de ce qui advenir après la rédaction de la mer de la fertilité.

Le temple de l'aube décrit comment Honda retrouve l'âme de son ami dans le corps d'une fillette, Ying Chan, princesse thaïe (oui). Honda deviendra proche de la princesse, au destin étonnant, et organisera sa vie dans un seul but : avoir la confirmation de la réincarnation de son ami dans le corps de Ying Chan. Ce roman contient pas mal de détails sur les différentes doctrines de la réincarnation qui peuvent rendre sa lecture parfois un peu ardue, mais il n'y a rien là d'insurmontable (et des passages peuvent être sautés sans peine). Là aussi, la tragédie conclura cette histoire, malgré la fortune qui favorise Honda.

Dans l'ange en décomposition, C'est un Honda fatigué qui retrouve, à soixante-seize ans, l'âme de son ami de jeunesse dans un jeune homme, Toru Yasunaga, qu'il finira par adopter, et lui causera bien des déceptions. Pour Honda, c'est le temps des questions, de la réflexion et d'un certain désenchantement de vivre. le roman, et l'oeuvre, se concluront par la visite que Honda se décidera à faire à Satoko, dont la réaction sera des plus énigmatique, pouvant plonger le lecteur dans un certain embarras, voire une certaine déception. Une telle oeuvre ne se conclut pas en une minute. Deux ans après l'avoir lue, je réfléchis encore au sens des paroles de Satoko.
Au final, cette tétralogie n'est donc pas seulement un moment de distraction. Il n'a clairement pas été écrit pour cela. Ce sont les derniers mots d'un condamné qui a choisi son chemin, sa sentence et sa fin. C'est une oeuvre puissante et poignante. Je ne dirais pas que l'on en ressort transformé, mais, à coup sûr, on en vient à réfléchir à de nombreux points que, sans ce texte, on n'aurait sans doute pas abordés.
Chacun des quatre romans peut se lire indépendamment, mais je vous conseille de commencer tout simplement par le premier, le plus facile à lire, si je puis dire, le plus « beau ». le temple de l'aube est peut-être, au début, plus difficile à aborder, mais on est rapidement payé de ses efforts.
Pourquoi ce titre, au fait, la mer de la fertilité ? Je laisse la parole à Mishima lui-même : « j'ai fait la suggestion de diviser mes quarante-cinq années de vie, une vie si pleine de contradictions ! - en quatre fleuves, « l'écriture », « le théâtre », « le corps » et « l'action », qui tous finissent par se jeter dans la mer de la fertilité. »
Lorsque j'ai terminé la lecture de la mer de la fertilité, je me suis senti très triste, et une larme a bien failli couler sur ma joue. Je vous souhaite de vivre les mêmes émotions que celles que j'ai ressenties à sa lecture.

L'édition Quarto compte 1200 pages, c'est donc une longue lecture. Si vous voulez plus de détails, un numéro d'apostrophe, avec M. Yourcenar et Jean d'Ormesson, a abordé cette oeuvre.

La tradition voulait qu'avant de se faire seppuku, le samouraï vaincu ou déshonoré compose un poème. La mer de la fertilité est ce poème. Voici sa fin (qui ne révèle en rien l'intrigue, mais annonce paradoxalement la tragédie, bien réelle, qui s'ensuivit) « le plein soleil d'été s'épandait sur la paix du jardin ».
Une phrase dont, finalement, je ferais bien, après le dernier de mes jours, mon épitaphe...
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